Marianne vient de remarquer [1] que le Projet de Loi de régulation bancaire et financière que l’Assemblée examine cette semaine inclut l’instauration d’une « titrisation » des prêts immobiliers consentis par les banques, d’une façon tout à fait similaire à celle des subprimes qui ont déclenché la crise financière actuelle, avec les dégâts que l’on connaît et qui n’ont pas fini de faire des petits.
Ce projet prévoit en effet de créer des « sociétés de financement de l’habitat »[2], établissements financiers auxquels les banques vendront leurs prêts immobiliers et qui émettront en contrepartie des obligations à l’habitat, titres de créances qui seront donc adossés aux prêts bancaires, qui pourront s’échanger comme toute valeur mobilière sur les marchés.
C’est précisément ce mécanisme, qui libère la banque de la nécessité de trouver des emprunteurs solvables, qui a conduit à l’écroulement du système US connu sous le nom de subprimes. La banque se dégageant du risque de défaillance de son client en revendant purement et simplement sa créance, elle peut fourguer tranquillement à des pauvres gens des prêts que de toute évidence ils ne pourront jamais rembourser, revendre son risque en même temps que sa créance, avec un copieux bénéfice au passage, et se laver les mains de la suite des événements.
Les acheteurs de ces obligations à l’habitat, qui recouvriront des situations totalement disparates et dont le risque sera impossible à évaluer, ne pourront qu’espérer que les prêts seront remboursés et que cette chaîne de dupes ne cassera pas comme celle des titrisations des subprimes sous l’effet de la rapacité des banques et d’un retournement du marché de l’immobilier.
Bravo M. Fillon, bravo M. Sarkozy : les financiers vont s’en mettre plein les poches pendant quelques années, jusqu’au moment où les créances deviendront pourries et où le système s’effondrera. Il est vrai que c’est sans doute alors le contribuable qui renflouera banques et fonds d’investissement, en toute logique libérale.
Ph. Renève
[1] http://www.marianne2.fr/Exclusif-les-banques-relancent-les-subprimes-a-la-francaise_a193573.html
[2] Extrait du projet de loi
« Les sociétés de financement de l’habitat
« Art. L. 515-34. – Les sociétés de financement de l’habitat sont des établissements de crédit agréés en qualité de société financière par l’autorité de contrôle prudentiel.
« Les sociétés de financement de l’habitat ont pour objet exclusif de consentir ou de financer des prêts à l’habitat (…)
Pour la réalisation de leur objet, les sociétés de financement de l’habitat peuvent :
« 1° Consentir à tout établissement de crédit des prêts garantis par la remise, la cession ou le nantissement de créances (…)
I. – Pour le financement des opérations mentionnées à l’article L. 515-35, les sociétés de financement de l’habitat peuvent émettre des obligations appelées obligations à l’habitat »
Lectures :5959
Ce serait malheureux de ne pas en profiter quand on s’est donné les facilités juridiques faites pour.
Beaucoup mieux qu’aux « States » , si on a dépénalisé le droit des affaires , c’est quand même pour en profiter…
C’est merveilleux la politique ,ça permet de faire des lois
ça permet de poursuivre les gens qui sont dépouillés, voire de les mettre à la rue ,
et ça permet de laisser courir les vautours.
C’est marrant ça me rappelle les farces autogestionnaires. La liberté pour les renards libres de gérer leurs affaires de renards dans un poulailler libre.
Remplacez poulailler par Marché.
Intéressant. Mais est-ce vraiment une titrisation ? Créancier, débiteur et contrat de prêt restent déterminés, non ? Un marché des créances hypothécaires a toujours existé. Je ne pige pas trop… La banque consent un crédit immobilier à un client et émet comment l’obligation qui permet de céder ce prêt ? C’est une obligation par contrat ou elle regroupe les contrats, ce qui serait effectivement une titrisation ?
Léon, la loi ne prévoit pas le mode d’émission des obligations ni ce qu’elles recouvrent. Sans doute un discret décret fixera-t-il tout cela hors la vue des représentants des citoyens… De toute manière, comment ceux qui achèteront ces obligations pourront-ils apprécier le risque qui pèse sur leur émetteur, qui a acheté des prêts immobiliers aux banques ?
Si on permet à une banque de revendre ses prêts, donc ses risques, elle va nécessairement être moins attentive à la solvabilité de son débiteur puisqu’elle n’en assumera pas la défaillance. Tôt ou tard, des banques, comme pour les subprimes, prêteront à des gens qui ne peuvent pas rembourser, pour faire un profit immédiat et après elles le déluge.
C’est ce système qui est pervers: il faut que le détenteur du prêt, quel qu’il soit, ait la faculté de juger du risque qu’il encourt; si ce n’est pas la banque, il ne peut pas.
La loi prévoit une hypothèque, mais que vaut-elle sur une maison invendable avant des mois ou des années et qui ne sera vendue qu’à la moitié de la valeur retenue pour le prêt ?
Il faut bien voir que tout le système de marché sur les créances repose sur l’appréciation possible et nécessaire du risque par le porteur. Lorsque l’émetteur est bien connu, public, analysé et noté, un marché sain peut s’instaurer puisque chacun a l’information (cf la concurrence..) pour apprécier ce risque.
Lorsque l’émetteur est un particulier ou des centaines de particuliers, qui ont emprunté auprès d’une banque plus pressée de faire du beurre que de le conserver, il est impossible de se faire une idée du risque de non-remboursement. On peut en estimer une probabilité moyenne à un instant donné sur le marché de ces prêts, mais rien ne garantit que la banque prêteuse a appliqué la moyenne des précautions dans l’octroi des siens; et si l’immobilier vient à dévisser comme aux USA, cette estimation n’a aucune réalité.
Donc constituer des sociétés de refinancement, même sans titrisation juridique des créances, va instaurer un mur entre porteur d’obligations qu’elles auront émises et risques liés aux prêts bancaires. Sans vision du risque, pas de marché sain.
Bien plus, une de ces sociétés pourra très bien acheter des prêts à des banques qui les vendent comme des hamburgers sans que personne n’en sache rien.
D’accord Philippe, mais, encore une fois ce marché des créances hypothécaires a toujours existé. Je ne pige pas où est l’innovation. Pour les effets de commerce, le créancier, si le débiteur est défaillant, peut se retourner contre l’un quelconque des endosseurs. Peut-être est-ce le cas ici aussi ? Ou peut-être pas.
A suivre en tous cas…
Non, Léon, là, la loi prévoit bien qu’il y a cession pure et simple de créances. On n’est pas dans le système des effets de commerce qui ne sont qu’endossés.
C’est bien ce que les banques adorent: si le débiteur est défaillant, c’est le seul porteur qui en fait les frais.
Et on n’est plus dans un marché de créances hypothécaires: c’est une société qui achète les prêts bancaires en se finançant par l’émission d’obligations.
Si dans le premier le porteur connaît le débiteur et peut juger du risque, dans le futur système le porteur de l’obligation n’aura pas des yeux pour voir mais pour pleurer. Ouaf ! 😀
D’accord. Faudra suivre cette histoire bizarre.
Bien sûr. Mais à mon avis on n’en entendra guère parler, sauf par quelques pieds dans le plat comme celui de Marianne…
Personne et surtout pas la finance n’a intérêt à faire des vagues là-dessus: on dira que c’est technique, et circulez…
Du reste, tu vois bien qu’il n’y a guère que des vieux croûtons d’économistes râleurs comme nous pour être intéressés ! 😉
Le problème, Philippe, ce n’est pas une question de « vieux croûton », c’est que les profanes en économie ont cru remarquer, depuis la nuit des temps ( :smile:) qu’en matière économique on pouvait dire tout et son contraire, et même PRÉdire tout et son contraire, qu’il adviendra aussi bien n’importe quoi (que son contraire – sourire…), et vice versa (re-sourire). D’autant que les effets d’annonce (« immatériels ») ont eux-mêmes des conséquences (« matérielles ») sur l’économie, avec toutes les prédictions auto-réalisatrices que l’on voudra…
Colre, il n’y a pas que les « profanes en économie » qui ont remarqué ça… 😆
Bien vu Colre !
C’est justement grâce à cet esprit irrévérencieux ( limite misanthrope ) que j’ai pu réussir un rendement à 3 chiffres entre l’automne 2008 et l’été 2009 en boursicotant pourtant pour la 1ère fois de ma vie.
Bon, en chiffres absolus, ça ne m’a pas fait des tonnes car je ne suis pas millionnaire, et ma mise était donc limitée, mais le « coup » m’a fait plaisir, et j’en ai d’ailleurs un peu parlé sur avox dans certains articles consacrés au sujet.
En fait, j’ai tout simplement acheté à prix cassés des actions de banques dites systémiques au beau milieu de la panique générale, en pariant sur le fait que les états ne pouvaient pas les laisser tomber. Et c’est ce qui s’est passé.
Il y avait qu’un seul risque à mes yeux à l’époque, c’est qu’Obama ne soit pas élu. Mais dès qu’il l’a été, j’ ai acheté à donf. Et ce, malgré qu’à l’époque ( automne 2008 à début 2009 ) la plupart des médias et des économistes chantaient en choeur le « this is the end » de « Apocalypse now ».
Tu parles, Charles …
Et je n’ai jamais suivi un cours d’économie de ma vie.
Seulement voilà, l’économie repose sur des principes existentiels assez darwiniens, et des « cours de survie », ça, j’en ai eu ma dose 😉
Tall,
La stratégie boursière repose tout entière sur la formule « acheter au son du canon, vendre au son du violon ».
Une question d’oreille…
Eh oui, Tall…
Sinon, bonne formule, Philippe, je crois que j’ai dû l’entendre un jour dans la bouche de mon père qui avait surtout comme principe (comme TAll) de ne JAMAIS écouter les conseils des banquiers. Ou plutôt, me disait-il, j’écoute, et puis je fais exactement l’inverse.
Salut Philippe
Jolie formule …
Pour être tout-à-fait honnête, j’ai eu dans ma jeunesse une expérience des paris sur les courses hippiques côté coulisses, comme assistant d’un bookmaker.
Ce qui fait que quand j’ai commencé à feuilleter les médias boursiers en comparant leurs dires et « conseils » d’experts avec l’évolution des cours, l’analogie avec le Paris-Turf m’apparut rapidement. Il y a eu à une époque une rubrique dans le Paris-Turf dont le titre était tout-à-fait adorable : « CONFIDENTIEL » ça s’appelait. 😆
D’ailleurs, si ça vous intéresse, je pourrais vous proposer éventuellement un article racontant une véritable arnaque du turf qui s’est passée en Belgique en 1976. Ca pourrait entrer dans la rubrique « métiers » ( bookmakers ). Dites-le moi si vous êtes preneurs.
étant entendu que je changerais juste ce qu’il faut pour qu’on ne puisse pas reconnaître les acteurs de l’époque même si ça date de 34 ans déjà
J’ai aussi l’impression que les mesures économiques, c’est souvent comme un paquebot lancé à pleine vitesse et que les actions du capitaine prendront effet à la Saint-Glin-Glin, à un moment ou la véritable cause de l’effet ne sera même plus reconnaissable en tant que telle : on dira que c’est la faute à l’inflation, ou à la récession, ou aux fonctionnaires, ou à Mitterrand, ou au taux de change de la veille… que sais-je ?
(Pouvez-vous me rappeler précisément la blague de l’économiste, du genre « l’économie est la science capable d’expliquer demain la cause d’un événement qu’elle n’a pas su prévoir la veille » ?…)
Non, non, non, je m’inscris en faux contre cette formule.
L’économie est la science qui explique pourquoi ce qu’elle prévoyait hier ne s’est pas réalisé, et pourquoi ce qu’elle prévoit pour demain est inéluctable.
Blague à part, il faut tenter de distinguer entre les très nombreux (mauvais) journalistes (vaguement) économiques et les économistes (un peu) sérieux.
C’est heureusement assez aisé: les seconds n’ont la parole qu’après avoir eu raison.
bien sûr qu’il y a d’excellents économistes
mais si on a fait un achat gagnant, c’est que l’autre a fait une vente perdante, ce qui jette une certaine suspicion sur les « conseils ».
Pas tout à fait: le vendeur aurait pu gagner plus, c’est tout. Mais il a peut-être acheté quelque chose qui a plus monté, ou a fait un bon gueuleton avec l’argent gagné… Il a donc pu avoir plus de satisfaction que l’acheteur !
oui dac, j’ai choisi une illustration bien trop simpliste, mais bon, je suppose qu’on est dac sur le fait qu’il existe des infos qui rapportent bien + si elles restent confidentielles, de même qu’il y a des mensonges qui, rendus publics, peuvent rapporter gros aussi
et je ne craindrais qu’une chose en disant ça, c’est d’émettre une plate banalité
Dans un grand mouvement libéral on va mettre en vente des titres au même prix intéressant pour tous…Mais certains auront les lunettes pour voir ce qu’il y a dedans et d’autres pas.
Et qui aura les lunettes?
Le vendeur de ces titres bien sûr , pas l’acheteur.
Toute cette histoire a déjà été racontée , tout le monde connait la fin…Ça ne fait rien on continue ….
Le but est de donner une bouffée d’oxygène, même fictif , juste pour donner une illusion de reprise, même à très court terme, un semblant d’activité , une fausse embellie en papier buvard mâché…Quelques articles dans les journaux , quelques chroniqueurs sur la 5 et hop ça vous fait un mouvement d’opinion. On s’en fout que ça ne tienne pas longtemps ça colle parfaitement avec les plans de ceux qui montent ce barnum.C’est pas fait pour durer c’est fait pour servir vite ➡ fin 2011 printemps 2012 on remballe et on passe à autre chose…