« La carte et le territoire », Michel Houellebecq

Voici, sans prétention, mon sentiment sur ce livre.

Houellebecq est, presque par principe, et surtout parce qu’il a du succès, peu apprécié des critiques. Encore que, pour une fois, on en trouve quelques-uns qui soient plutôt élogieux pour son dernier roman « La carte et le territoire ».

J’ai été quant à moi ému et bluffé par un livre qui, à travers une question difficile à traiter (qu’est-ce qu’un artiste ?) nous invite à une réflexion sur  l’humain, mais aussi sur l’humanité perdue par la modernité, par l’économie.

Ce roman, malin dans sa construction est, paradoxalement, d’une profondeur presque vertigineuse et d’une pudeur touchante, fouillant au plus profond de l’acte artistique sans le réduire à ce défoulement psychanalytique qui serait « sublimé ». Ceux qui prétendent que Houellebecq n’est pas un écrivain, au prétexte que l’on peut effectivement y relever quelques défauts n’ont certainement jamais essayé d’écrire une ligne de leur vie. Que valent quelques médiocrités d’écriture face à l’inspiration de ce livre… Et il a une acuité dans l’observation, une précision dans la description qui confinent parfois au génie.

Les fans de  Houellebecq risquent toutefois d’être désorientés par la gravité de ce roman, par son thème inattendu qui aborde des questions aussi lourdes que le travail, la représentation, le marché de l’art, la soumission de l’artiste à des intuitions qu’il ne contrôle pas, sa solitude en définitive absolue face à son art qui le dévore, la frustration de l’œuvre jamais vraiment terminée…
«  Il se demanda fugitivement ce qui l’avait conduit à se lancer dans une représentation artistique du monde, ou même à penser qu’une représentation artistique du monde était possible, le monde était tout sauf un sujet d’émotion artistique, le monde se présentait comme un dispositif rationnel, dénué de magie comme d’intérêt particulier. »
Je n’ai pas trop envie de raconter ce roman ou d’en faire un résumé sinon de vous dire que c’est l’histoire d‘un peintre d’abord photographe qui découvre un jour que les cartes Michelin constituent des bases bouleversantes d’œuvres d’art, puis qui abandonne la photographie pour une peinture qui s’efforce de saisir le travail des humains.
Mais sa troisième partie reste encore pour moi partiellement une énigme : ayant fait la connaissance de Houellebecq ( !) à qui il demande de rédiger la présentation du catalogue de son exposition, le héros du livre  le paye avec un portrait de l’écrivain et ce dernier est assassiné dans des conditions atroces… mais artistiques.

On a un peu peur de ce que cela pourrait vouloir dire… Chez Houllebecq, les épilogues sont importants, car ils donnent généralement la clé de compréhension de ses livres. On ferme donc ce roman un peu terrifié tout de même par ce que l’on peut qualifier de « statut social »  de l’artiste…

Il y tellement de mauvais livres, dont on parle pourtant beaucoup, que pour une fois, on peut acheter celui-ci dont on parle tout autant.

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D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
1 octobre 2010 10 h 59 min

Houellebeck reprendrait-il à son compte le coup de tonnerre de Hegel?Pourquoi pas . L’art serait alors le domaine réservé de la rencontre , ( de l’interprétation) libre , inouïe,farfelue ou terrorisée entre l’homme et l’univers.

Marsupilami
Marsupilami
1 octobre 2010 11 h 54 min

J’aimais bien les deux premiers romans de Houellebecq. Après, j’avais décroché, un peu comme pour Dantec. Là, je me dis que je vais peut-être m’y remettre dès que j’ai fini de ne pas lire le dernier Amélie Tothomb…

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
1 octobre 2010 11 h 59 min

Vain dieu Charpak est mort lui le scientifique qui se proposait de trouver le moyen d’entendre les potiers athéniens en écoutant/lisant la pâte figée qui les avait entendus.N’aurait-il capté que le souffle c’était celui de l’histoire.

Florentin Piffard
Florentin Piffard
1 octobre 2010 13 h 06 min

Léon, Je crois que vous avez raison d’écrire que la troisième partie du livre est une énigme. Dans cet ouvrage, Houellebecq met malicieusement dans la bouche d’un critique de l’oeuvre de Jed Martin l’idée selon laquelle il faut considérer et comprendre son unité pour en apprécier l’ampleur. c’est valable pour H. lui-même. Je pense que l’on apprécie vraiment la portée de la dernière partie du livre qu’à la lumière de ses oeuvres précédentes, Les Particules élementaires et Ennemis publics notamment, sa poésie aussi. J’ai commencé à rédiger ce que m’inspire ce livre mais ça prend un temps tel que j’ai du m’arrêter si je veux à la fois continuer à gagner ma croute et fréquenter mes proches…

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
1 octobre 2010 15 h 24 min

En effet Florentin , il est très dur d’avouer son infériorité par rapport à l’auteur qui écrit un Nartic tous les jours, voire deux, qui rédige des dizaines de commentaires , qui surveille les autres articles et leurs commentaires et tient des fiches sur les autres auteurs et les autres sites ….et tout ça à 57 ans avec un enfant de (encore une fois cette rentrée) 7 ans et les copains de celui qui en aurait 20.

Je ne sais pas trop pour vous , mais je me sens si petit en comparaison.

Léon
Léon
1 octobre 2010 13 h 14 min

Tiens, Piffard, nos messages se sont croisés…. Que c’est difficile d’écrire sur ce livre ! J’attends avec une certaine gourmandise ce que vous allez en dire…

Causette
Causette
1 octobre 2010 14 h 03 min

bonjour, ben voilà que vous me donnez envie de lire ce livre plus rapidement que je le voulais.
Je ne sais pas si c’est grave, docteur Léon, mais quelquefois (souvent) j’ai 3 ou 4 livres en cours de lecture, et j’aimerais bien pouvoir arrêter cette manie :mrgreen: (en fait, je reprends la lecture de tel ou tel livre selon mon humeur du jour).

De Michel Houellebecq je n’ai lu que Plateforme. j’ai donc beaucoup de retard à rattraper pour découvrir les oeuvres de cet auteur.

Léon
Léon
1 octobre 2010 14 h 44 min

Causette, cela m’arrive (mais pas plus de deux livres livres à la fois )et seulement lorsqu’il s’agit de livres de nature très différent : un roman et un essai politique par exemple.

chantelois2010
chantelois2010
1 octobre 2010 16 h 32 min

Léon. Houellebecq est venu au Québec pour promouvoir son dernier livre. Comme il l’avait fait pour son précédent. Ses entrevues sont passionnantes. Il est d’une grande humilité lorsqu’il est en terre québécoise. Qu’en est-il lorsqu’il est en France? Il reconnait avoir maille à partir avec la critique. Au Québec, son livre, la carte et le territoire, a été très bien accueilli.