Sebastiao Salgado, le dessinateur de lumière
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Dans Art et Géopolitique
Sebastiao Salgado, le dessinateur de lumière ©Renato Amoroso0020.2019
Le photographe Sebastiao Salgado expose à la Philharmonie de Paris ses prises de vues de l’Amazonie. Paysages et populations, une immersion dans la complexité amazonienne.
La Philharmonie de Paris présente jusqu’à fin octobre une exposition du photographe franco-brésilien Sebastiao Salgado consacrée à l’Amazonie. Disposés sur les murs ou suspendus au plafond, les tirages éblouissants de ce spécialiste du noir et blanc dardent une lumière si puissante qu’on la croirait sortie d’un écran. Les paysages aériens somptueux d’une luxuriante nature tropicale se mêlent à des portraits d’autochtones d’une dignité saisissante. Les jeux d’ombres et de clarté signalent constamment le regard du photographe et semblent donner vie aux scènes qu’il dessine.
Car il s’agit bien de dessin. Au début du documentaire Le Sel de la terre qui porte sur l’œuvre de Sebastiao Salgado, le réalisateur allemand Wim Wenders renvoie l’auditeur à l’étymologie du mot « photographie » qui veut dire « dessiner la lumière » (du grec photos, la lumière ou la clarté et graphein, dessiner ou peindre). La photographie est en fait une image artistique qui surgit d’un regard et fixe le temps. C’est pour cette raison qu’au-delà du potentiel symbolique qu’il peut cacher, un tirage est beau quand il exprime la vie telle qu’elle est, quand il manifeste avec densité ce qu’une posture, une expression de visage ou même un simple objet peut avoir de concret et d’unique. Le travail de Salgado en est un émouvant témoignage. Ses photos ne mentent jamais. Ses portraits semblent dépouiller dans une force invraisemblable toute la vérité de l’existence humaine.
Pour en arriver à ce degré de représentation de la vie, Salgado a dû traverser des étapes douloureuses comme reporter-photographe de la misère. Que ce soient dans les mines d’or du Brésil, durant les famines en Éthiopie ou au Sahel, durant la guerre dans les Balkans ou le génocide du Rwanda, il a cherché pendant tout son parcours à exprimer l’inexprimable. Devant la férocité qu’est capable de déployer l’être humain et le mystère des souffrances injustifiables qu’elle provoque, il s’est attaché à désigner à la lueur de son noir et blanc la dignité de l’être humain, qui demeure jusque dans les pires horreurs de la bestialité. À la suite du génocide rwandais, Sebastiao Salgado s’éloigna des phénomènes sociaux pour se consacrer à la beauté de la nature et à la singularité des peuples primitifs. Cette exposition baptisée Amazônia en est le dernier fruit. Elle est accompagnée d’une création sonore composée à partir des bruits de la forêt tropicale qui permet au spectateur de mobiliser ses sens vers l’objet de son attention.
Les organisateurs et Salgado lui-même insistent sur les objectifs contemporains de ces photos à savoir la protection de l’environnement, celle des peuples primitifs de l’Amazonie et la lutte contre la déforestation. Toutefois, la beauté de ces photographies par leur simple pouvoir d’ « apparition » (comme dirait Hannah Arendt) impose à l’observateur une certaine distance dans laquelle s’évanouit l’objectif utile ou politique. D’ailleurs, dans les dernières lignes de son autobiographie, Sebastiao Salgado le dit très clairement : « Ma photographie, ce n’est pas un militantisme, ce n’est pas une profession. C’est ma vie[1] ».
[1] Sebastiao Salgado et Isabelle Francq, De ma terre à la terre, Pocket, 2013, p.150.
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