Avant Jeff Koons, il y eut Botticelli (et beaucoup d’autres avant Sandro, souvent anonymes; et beaucoup d’autres après Sandro, Rembrandt par exemple – séquence auto-promotion). Un concept commun : Un nom qui sonne comme une marque, un atelier, des collaborateurs spécialisés, une étude du marché, la recherche de débouchés commerciaux, la création de produits dérivés, la (re)production sous licence… C’est de ce point de vue qu’a été montée l’exposition parisienne
Botticelli, artiste et designer
Musée Jacquemard-André (Paris)
Mais autant laisser le clavier à Ana Debenedetti et Pierre Curie, les deux commissaires de l’exposition. Après tout, ils sont les mieux placés pour en parler :
Botticelli est l’un des peintres les plus illustres de la Renaissance italienne malgré une certaine part de mystère qui entoure toujours sa vie et l’activité de son atelier. Sans relâche, il a alterné création unique et production en série achevée avec l’aide de ses nombreux assistants.
L’exposition montre l’importance de cette pratique d’atelier, laboratoire foisonnant d’idées et lieu de formation, typique de la Renaissance italienne. Elle présente Botticelli dans son rôle de créateur, mais également d’entrepreneur et de formateur.
Première exposition en France depuis celle de 2003 au Musée du Luxembourg, « Botticelli, artiste et designer », selon un parcours chronologique et thématique, illustre le développement stylistique personnel de Botticelli, les liens entre son oeuvre et la culture de son temps, ainsi que l’influence qu’il a lui-même exercée sur les artistes florentins du Quattrocento.
DE L’ATELIER DE FILIPPO LIPPI À L’INDÉPENDANCE
Cette première section rassemble les premières oeuvres de Botticelli encore très influencées par son maître Filippo Lippi (1406-1469), le dernier grand représentant de la peinture du premier Quattrocento, mais également par ses contemporains tel qu’Andrea del Verrocchio.
Aux côtés de Filippo Lippi, le jeune Sandro acquiert la technique de la peinture de chevalet mais également celle de la fresque. C’est à travers la thématique de la Vierge à l’Enfant,
sujet généralement destiné à la dévotion privée, que Botticelli crée ses première oeuvres, à l’image de son maître.
Élève prodige, le jeune artiste acquiert rapidement une grande maîtrise des volumes et des couleurs. S’il assimile pleinement les leçons de son maître, Botticelli déploie néanmoins une vision déjà très personnelle, comme en témoigne ici la mise en regard de la Vierge à l’Enfant de Filippo – présentée pour la première fois hors d’Allemagne- et la copie qu’en propose son jeune élève.
Lorsque Filippo Lippi part pour Spolète effectuer ce qui sera sa dernière commande, Botticelli ne le suit pas et c’est sans doute à cette date, vers 1465, que le jeune homme ouvre son atelier à Florence, au rez-de-chaussée de la demeure paternelle située via Nuova d’Ognissanti (aujourd’hui via del Porcellana).
Il règne alors une grande effervescence artistique à Florence et les échanges sont nombreux entre les ateliers. Absorbant les leçons des artistes de son temps, Botticelli donne une nouvelle inflexion à un sujet dont on saisit toute la portée dans la Madone au Livre, l’un des grands chefs-d’oeuvre des années 1480.
PEINTRE D’HISTOIRES
La deuxième salle ancre Botticelli dans la tradition des commandes florentines : de nombreux tableaux décoraient les demeures patriciennes. On les retrouvait par exemple dans le mobilier ou bien insérés dans les lambris qui recouvraient les murs. Leur mode d’exécution reflète la répartition des tâches entre le capobottega (chef d’atelier), qui conçoit la composition des scènes, et ses collaborateurs à qui il délègue l’application des couches picturales sur le support, mais aussi parfois le report de son dessin préparatoire.
Le plus doué et plus célèbre d’entre eux, Filippino Lippi (1457 – 1504), était le fils de son ancien maître qu’il recueillit à la mort de ce dernier, en 1469.
Filippino prend rapidement une place de premier plan au sein de l’atelier de Botticelli, ainsi qu’en témoignent les oeuvres qu’ils réalisent ensemble, comme les panneaux de cassone illustrant l’histoire d’Esther, et le dialogue artistique qu’ils vont entretenir tout au long de leur carrière.Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510) et atelier, Le Jugement de Pâris, vers 1482-1485, tempera sur bois, 81 x 197 cm, Venise, Fondazione Giorgio Cini, Galleria di Palazzo Cini, Venezia © Fondazione Giorgio Cini
Cette répartition des tâches n’exclut cependant pas que le maître lui-même intervienne sur un panneau en cours de réalisation, comme dans le Jugement de Pâris où certains passages de grande qualité révèlent sa participation directe. Une autre pratique d’atelier est assez répandue : l’exercice de la copie, qui relève autant d’un exercice d’apprentissage que d’une stratégie commerciale. Certaines compositions particulièrement appréciées du public, tel le Retour de Judith à Béthulie, sont ainsi plus largement diffusées.
Les conditions d’exécution des oeuvres au sein d’un atelier du XVe siècle remettent donc en question la notion d’oeuvre originale telle que nous l’entendons aujourd’hui. Toute oeuvre sortie de l’atelier est le fruit d’un travail de collaboration, mais n’en est pas moins une oeuvre « de Botticelli », car elle est conçue selon son dessin et porte sa marque de fabrique.
L’ATELIER POLYVALENT
Depuis le début des années 1470 et jusqu’à la fin du siècle, Botticelli déploie également son talent dans le domaine des arts appliqués, témoin de son intérêt pour une expression artistique variée dans tous ses aspects.
Parallèlement à ses commandes florentines, Botticelli exécute plans et dessins pour une
série d’objets dans des techniques variées allant de la tapisserie à la broderie et par la marqueterie. Le caractère linéaire du style de Botticelli, hérité de sa formation d’orfèvre, rend ses dessins particulièrement transposables dans des techniques diverses, ce qui lui permet de déployer ses talents à l’ensemble de la production artistique de son temps.
S’il ne réalise pas lui-même les broderies, tapisseries et autres marqueteries dont il conçoit
les modèles, il supervise parfois l’exécution qu’en font les artisans spécialisés.
Pour différents supports, Botticelli puise à un large répertoire de figures qu’il adapte en fonction des procédés utilisés. L’artiste peut ainsi décliner une grande variété de compositions autour de motifs récurrents. Par exemple, le « personnage » de Minerve, déesse de la guerre, de la sagesse et des arts, l’une des figures centrales du mythe dont les Médicis entourent leur dynastie, est transposé par Botticelli dans une large gamme de techniques pour répondre à une multiplicité de commandes, allant de la tapisserie à la porte marquetée du Palazzo Ducale d’Urbino, reproduite dans cette salle.
Pratique courante au sein des ateliers du Quattrocento, cette stratégie de duplication et de réutilisation des modèles nécessite un perpétuel effort d’innovation pour ne pas lasser. Botticelli, véritable génie du réemploi, y excelle grâce à une inventivité sans cesse renouvelée.
BOTTICELLI ET LES MÉDICIS
Entrepreneur audacieux, Botticelli se distingue dès le début des années 1470 sur la scène artistique très compétitive de Florence. Son style très personnel et sa manière inégalable lui attirent rapidement les faveurs des Médicis, riche famille de banquiers dont la puissance connaît son apogée sous le gouvernement de Laurent le Magnifique (1469-1492). Les Médicis et leur cercle soutiennent l’émulation artistique au coeur de la cité par de nombreuses commandes.
L’activité de portraitiste de Sandro Botticelli nous est connue à travers une petite dizaine de tableaux sur bois dont aucun n’est signé ou daté, les belles « têtes » peintes à fresque sur les murs de la chapelle Sixtine (1481–1482) et enfin quelques rares effigies visibles sur des panneaux à sujet sacré. Le plus célèbre est sans doute le portrait de Julien de Médicis, assassiné en 1478, connu en plusieurs exemplaires.
Botticelli imprime à ses modèles un charisme communicatif inédit, s’engageant au fil des années dans une voie toute de sobriété et de dépouillement. Il élabore dans les années 1490 des portraits d’une plasticité très sculpturale, dont celui du poète et guerrier Michele Marullo Tarcaniota offre l’exemple le plus accompli.
L’intérêt de Botticelli pour la Divine Comédie de Dante Alighieri (1265 – 1321), oeuvre majeure de la littérature italienne, coïncide avec une vaste entreprise d’appropriation du poète par les humanistes proches du cercle des Médicis. Dans ce contexte, Botticelli est associé à deux entreprises d’envergure : l’impression de la première édition illustrée du poème, pour laquelle il aurait fourni une série de dessins, et un cycle inachevé de plus de 92 dessins, dont la destination reste encore inconnue. Vestiges extraordinaires de sa grande maîtrise du trait et de la forme, ces dessins révèlent les préoccupations intimes d’un artiste sensible à la culture de son temps.
VÉNUS, LE MYTHE HUMANISTE
À partir de 1470, Botticelli inaugure une période de création intense qui s’étendra sur plus d’une vingtaine d’années et fera de lui l’un des meilleurs représentants du renouveau artistique promu par les Médicis et leur entourage. Les grandes scènes mythologiques comme La Naissance de Vénus (conservée aux Offices à Florence) incarnent cette synthèse remarquable entre le mythe antique et la philosophie poétique des humanistes florentins.
Fidèle à une stratégie de réemploi de motifs, Botticelli reprend la figure centrale de Vénus pour en renouveler la représentation, tout en répondant à la demande de la clientèle.
Selon les premiers biographes de Botticelli, on pouvait admirer dans les demeures patriciennes de Florence de nombreuses « belles femmes nues » de la main du peintre. Des deux Vénus exposées ici, celle de Berlin, au canon très antiquisant, s’impose comme le nouveau prototype de la série de Vénus dites pudiques. Celle de Turin, plus simple mais apprêtée d’un voile qui souligne sa nudité plus qu’il ne la cache, a sans doute été réalisée à partir d’un même carton, avec une plus grande collaboration de l’atelier.
Le succès de ce modèle botticellien est aussi attesté par une version réalisée à la même époque par Lorenzo di Credi.
Cette production s’accompagne, au cours des années 1480 et 1490, de portraits « allégoriques », en réalité des figures féminines évanescentes jusque dans leurs connotations métaphoriques ou symboliques, comme en témoigne le portrait dit de la Belle Simonetta. Cette production illustre le génie créateur de Botticelli et le rôle important qu’il jouait en tant que promoteur d’un répertoire cher aux Médicis, devenu de nos jours emblématique de la Florence de la fin du Quattrocento.
LA PEINTURE RELIGIEUSE, DU TONDO AU RETABLE
Peu connue du grand public, la production de grands retables d’église ne faisait pas exception dans l’atelier de Botticelli qui en a produit plusieurs dans la lignée héritée de ses maîtres.
Le retable (pala en italien) joue un rôle fondamental dans l’économie de l’atelier de Botticelli. Placé dans l’espace public, au-dessus de l’autel d’une église ou d’une chapelle, il fait partie des commandes les plus prestigieuses qu’un artiste puisse recevoir. Par sa visibilité, il assure la diffusion du style et des inventions du peintre, tout en constituant une démonstration parfaite susceptible de susciter l’engouement de nouveaux clients.
Le Couronnement de la Vierge avec saint Juste de Volterra, le bienheureux Jacopo Guidi de Certaldo, saint Romuald, saint Clément et un moine camaldule (vers 1462), destiné à l’église de Volterra, réalisé par Botticelli et son atelier dans les années 1490, lorsque le peintre atteint la pleine maturité de son art, en est un exemple emblématique.
Une autre spécialité de l’atelier de Botticelli est la production de tondi, un format circulaire particulièrement prisé à Florence. Botticelli excelle dans la maîtrise de ce format complexe, innovant dans le choix des compositions et les jeux de perspective. Ces panneaux ronds, qui se prêtent particulièrement aux sujets religieux destinés à la sphère privée, témoignent aussi de certaines pratiques d’atelier.
Pour répondre aux commandes qui se multiplient, Botticelli s’emploie à rationaliser sa production. Le recours aux livres de modèles et aux cartons (dessins préparatoires à échelle réelle) lui permet de déléguer à ses assistants l’exécution des tableaux tout en se réservant la conception seule, comme le montrent les variantes de la Vierge et saint Jean-Baptiste adorant l’Enfant ou encore la réplique de format réduit de la Vierge du Magnificat. C’est pourquoi l’on peut qualifier Botticelli de designer, au sens moderne du terme, puisque c’est l’invention, toujours renouvelée, qui est au coeur de l’oeuvre.
LA DERNIÈRE MANIÈRE : UNE ESTHÉTIQUE SAVONAROLIENNE ?
À la fin des années 1480, le pouvoir des Médicis est ébranlé par l’audience croissante du moine Savonarole (1452 – 1498), dont les sermons apocalyptiques ont une violente incidence sur la population florentine. À la chute de Pierre l’Infortuné, fils aîné de Laurent le Magnifique, une nouvelle république s’installe en 1494. Savonarole occupe une place de plus en plus importante au sein de la vie publique jusqu’à son excommunication et sa condamnation à mort en 1498.
La question de l’adhésion de Botticelli au mouvement savonarolien fait toujours débat. Il est certain que l’esprit créatif du peintre ne pouvait que réagir vivement aux visions prophétiques et à l’éloquence tourmentée du moine. À la fin du XVe siècle, l’oeuvre de Botticelli traduit un réel questionnement esthétique : les formes autrefois harmonieuses et élancées se tassent, les beautés mélancoliques se voilent de pudeur, les compositions renouent avec une hiérarchie des rôles passée d’usage, comme dans Judith tenant la tête d’Holopherne (fin des années 1490).
Malgré ces archaïsmes, le style botticellien conserve une empreinte de douceur, à l’oeuvre dans le Retable du Trebbio ou dans le Crucifix, (vers 1490) du Diocèse de Prato, encore jamais présenté en France, qui propose une interprétation sublimée et apaisée du thème sacrificiel cher à Savonarole.
Les dernières années sont marquées par une emprise plus grande de l’atelier sur l’activité du maître qui, relativement âgé et affaibli, ne peut sans doute plus contribuer autant qu’il le voudrait à la réalisation de ses oeuvres. Les variantes d’atelier, aux figures de plus en plus monumentales, tentent de perpétuer la vision originale de Botticelli sans réussir à en conserver toute la grâce. C’est dans ce contexte qu’après avoir incarné un art résolument « moderne », Botticelli tombe dans l’oubli pour être finalement redécouvert au XIXe siècle, avec une fortune artistique et critique qui ne s’est pas démentie depuis.
Merci au service presse de Culturespaces pour la richesse de leur dossier de presse.
Et merci à Furtif pour son accueil amical sur Disons.fr
Botticelli, artiste et designer
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Une œuvre moins connue
Une Tentation du Christ
À l’extrême gauche, le diable, vêtu comme un moine, met Jésus au défi de prouver son identité en transformant des pierres en pain.
Au milieu, le diable, habillé en moine, tente Jésus de se jeter du haut d’un précipice. La dernière tentation,
à l’extrême droite, montre le diable offrant à Jésus tous les royaumes du monde.
https://fr.aleteia.org/2020/07/26/la-tentation-du-christ-la-fresque-meconnue-de-botticelli-dans-la-chapelle-sixtine/
Evidemment , comme tout bon Parisien je n’ai jamais mis les pieds dans ce Musée.
Profitez de l’adresse donnée par Lavigue pour en visiter méticuleusement le site
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Au passage un des trésors qu’on y rencontre.
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Elle mérite le détour la belle Simonetta Vespucci
https://fr.wikipedia.org/wiki/Simonetta_Vespucci
Par Piero di Cosimo
[…] surtout insistant avec moult détails sur le rôle de son atelier, de ses assistants (« Botticelli, Inc.« ) : une forme de démystification historique du génie de l’artiste, qui […]
Lunettes rouges !
quelle heureuse visite .!
Si vous saviez
Je vous ai croisé sur un site où nous partagions les mêmes illusions.
J’en ai été chassé pour antifakirisme Steinerien et vous……
Vous avez disparu peu de temps après.
https://www.lemonde.fr/blog/lunettesrouges/2021/10/16/botticelli-ladorer-ou-labhorrer/
Commenter sur votre site exige des formalités d’une complexité effrayante pour ma candeur