Les orgues ont toujours été victimes des vicissitudes de leur époque…
Quand l’incendie de la charpente de la cathédrale s’est déclaré, la crainte chez tous les mélomanes a été grande pour la disparition des orgues que l’édifice contient. Au vu des terribles images, il était même impensable qu’ils s’en sortissent sans dommages (1).
Un ami me disait: ce n’est pas grave ils reconstruiront. Évidemment, on peut toujours remplacer la charpente millénaire, on peut retailler des pierres, reconstruire physiquement à l’identique pour sauver les apparences. Mais on ne peut reconstruire un instrument. Il faut bien comprendre que leur voix est unique à un moment donnée, et une fois perdue, ne se retrouve jamais. Voici ce qu’il faut comprendre:
Une histoire unique sur une période de plusieurs centaines d’années
Les grandes orgues de la cathédrale possèdent une histoire riche, qui n’est pas exceptionnelle, mais qui est unique. Les boiseries dates du XVIIIème siècle. C’est à cette époque que l’instrument du moyen-âge est remplacé, mais les facteurs conservent à chaque fois une partie des strates antérieures.
De nombreux jeux du XVIIIème auront donc aussi été conservés par Cavaillé-Coll qui reprendra en 1868 l’orgue ayant échappé aux vandalismes des sans-culottes (en mettant en musique les chants révolutionnaires) au XIXème. Une instrument touché par Cavaillé Coll équivaut à un violon touché par Stradivarius, autant dire que le classement MH de la partie sonore, voire parfois technique, est acquis.
L’instrument s’est également modernisé tout au long du XXème sous l’influence de ses excellents titulaires, concertistes renommés dans le monde entier (1905, 1932, 1965). Cependant la dernière intervention des années 90, inaugurée en grande pompe par Jack Lang comme preuve du modernisme est plus justement critiquée. En effet le relevage de la tuyauterie s’est accompagné d’une informatisation de la commande des notes et jeux. Dans le culte de l’apparence, cela donnait un résultat époustouflant (l’orgue était capable de jouer seul), mais dans la recherche de la pérennité ce fut désastreux puisque l’informatique évolue à une vitesse nullement comparable à celle d’un instrument de musique. Les systèmes et disquettes étaient déjà obsolètes au bout de 5 ans. L’entreprise n’existait plus et côté robustesse, le système était d’une fragilité inadaptée au monde hors bureautique.
Les grandes orgues ont été de nouveau restaurées entre 2011 et 2014, des jeux ont été ajoutées et la console a été entièrement changée à la surprise générale. Le système informatique a été remplacé par un système d’automatisme industriel bien plus robuste.
En tant que telles, les grandes orgues sont un instrument composite réussi qui comporte des témoignages du moyen-âge jusqu’à la période technologique actuelle. Cet amalgame est unique, ce qui fait que le reconstructeur aurait d’énorme difficultés à recréer ce qui aurait été perdu. Mais au delà du matériel, un autre aspect est à prendre en compte.
Une voix ne vient pas uniquement du matériel
L’orgue est un instrument qui peut difficilement faire corps avec son interprète, même si l’expressivité existe, il faut bien se rendre compte que l’action mécanique, pneumatique, électrique ou électronique pour le passage du vent dans les tuyaux ne tient pas compte du talent de la personne qui appuie sur les touches.
Néanmoins il existe un autre artiste dont l’importance est énorme dans la qualité de l’instrument et du son produit: l’harmoniste et l’accordeur. Ce sont eux qui vont, à partir du matériel sonore, créer une voix unique, combinaison des multiples voix individuelles que représentent les tuyaux. Imaginer qu’il y a, à Notre Dame, près de 8000 tuyaux à accorder. De quelques centimètres à plusieurs mètres de haut (un 32′ ouvert fait 10mètres). Évidemment tout ce beau monde interagit physiquement suivant leur fréquence, leur diamètre, leur position dans le buffet ce qui complexifie la tâche de rendre un ensemble cohérent et harmonieux. C’est là tout leur talent. Les choix sont faits (pression, spatialisation, hauteur…) pour donner à l’ensemble de l’ouvrage un timbre unique reconnaissable entre tous. Ce travail-là est évidement une œuvre unique, une signature. Elle n’est donc pas reproductible.
Qu’a-t-on vraiment évité ?
Bien évidemment nous avons évité la destruction de l’instrument, c’est à dire la perte totale qui aurait pu arriver si le feu de la tour Nord n’avait pas été rapidement maîtrisé. Mais nous avons évité également d’autres destructions qui sont les corolaires des incendies d’églises. En effet, il ne suffit pas que le feu prenne à l’instrument pour le perde. Les tuyaux métalliques sont d’alliage d’étain et de plomb. Ils fondent à 450°C et se plient bien avant, ce qui aurait provoqué la perte du matériel sonore séculaire par simple proximité avec un foyer intense. L’effondrement de la voute sur l’instrument est également un risque non négligeable qui va anéantir les tuyaux et tous les systèmes de traction et transmission. A ce stade d’ailleurs on peut se poser la question s’il ne serait plus sûr de déposer en caissons l’instrument, comme les rosaces, pour éviter les dégradations ultérieures.
Quand la flèche s’est effondrée, la voute a cédé mais n’a pas atteint, miraculeusement oserais-je dire, l’orgue de chœur qui eut été détruit sur le champ. Cet orgue de chœur est un bel instrument d’une trentaine de jeux, mais n’a pas l’importance patrimoniale, ni la qualité des grandes orgues de tribune. Cependant deux effets indirects des incendies sont destructeurs pour les orgues:
Tout d’abord, l’eau. utilisée en force par les sapeurs pompiers, dégrade irrémédiablement les systèmes électriques, les soufflets et peaux, les vergettes mécaniques, les sommiers; bref, l’ensemble de l’instrument est généralement abimé par la pression de l’eau et le choc hygrométrique des parties en bois ou en peau.
Ensuite la combustion liée à l’incendie dégage des suies qui sont totalement néfastes à la tuyauterie et aux système de l’instrument. Malgré leur tailles immenses, les orgues sont des mécaniques sonores fragiles et sensibles. Il est évident qu’il faut a minima enlever cette suie qui s’est infiltrée partout.
En conclusion et au vu des images, nous pouvons dire que ces instruments ont eu de la chance. Ils sont effectivement abimés et hors service, mais leur matériel historique est resté intact. Il y aura une longue période de silence, puis une restauration nécessaire avec une nouvelle harmonisation, une nouvelle voix, proche de celle de 2019 mais obligatoirement différente.
(1) Nota: N’oubliez pas que orgue est masculin au singulier et au pluriel s’il désigne plusieurs instruments. Le féminin au pluriel est emphatique et sert à désigner un seul instrument.
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Merci Lapa de nous rassurer un peu
J’ai chercher des concerts des orgues de Notre Dame sur the tube mais il n’y en pas, seulement quelques petites séquences.
Le chantier devrait donc durer bien plus de 5 ans (n’en déplaise aux sponsors et valets du Cio corrompu)
https://www.youtube.com/watch?v=YS5QAplcnM4
il y a pas mal d’extraits des auditions du WE. les concerts complets semblent plus être soumis à des droits…
Je me demande toujours comment les pignons Nord et Sud du transept ne se sont pas effondrés…
Il me semble bien avoir vu les flammes venir lécher la face Est ( intérieure ) de la Tout( beffroi) Nord…
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Qu’un incendie accidentelle se déclenche , est toujours possible ______mais qu’il se répande de cette façon____ je ne comprends toujours pas.
Où étaient les systèmes anti incendies
Bonjour Lapa et Furtif
A mon avis, les principaux responsables de ce désastre sont L’Etat et la mairie de Paris : sécurité insuffisante.
Oui, ce sont quand m^me des instruments incroyables. Personnellement je n’en suis pas un fan absolu, je trouve les musiques pour orgue à cause de l’acoustique des églises, souvent trop confuses. Elles virent assez vite à une espèce de bouillie sonore, dès que ça joue un peu vite. Mais quand même, ces instruments sont de vrais chefs-d’œuvre !
Salut Léon!
ah bah, là pour ND tu as 7 secondes (!!) de réverbération quand la nef est vide.
C’est énorme évidemment, d’où le choix des tempos et des morceaux.
Mais il existe de nombreux orgues dans les salles de concert et qui n’ont pas cette problématique, on est trop marqué église en France.
idem pour les petits instruments qui accompagnent les orchestres baroques.
Merci pour la bonne nouvelle, cela met du baume au coeur. Quelle que soit l’objectif d’une déambulation dans la ville, j’aime entrer et m’asseoir lors des répétitions lorsque le son de l’orgue s’entend depuis la rue.