A part la Marseillaise, le « God save the Queen » et l’hymne américain il n’y guère que les hymnes russe, israélien et quelques autres parmi ceux de nos voisins qui nous soient un peu connus. Mais si l’on veut bien prendre le temps de se plonger, comme je l’ai fait, au sein des hymnes nationaux du monde entier, des 192 pays recensés par l’ONU, on effectue un voyage musical et historique à la fois passionnant et plein de surprises.
Votre serviteur s’est donc infligé le pensum de les écouter à peu près tous et de se renseigner autant que possible sur leur histoire, leur origine et les éventuelles curiosités qu’ils pouvaient receler.
Les musiques.
Les hymnes doivent obéir à un certain nombre de contraintes comme rester assez simples pour être chantés par tout le monde et jouables par une fanfare. Mais cela n’explique pas totalement leur relative médiocrité musicale d’ensemble. La principale raison est sans doute qu’un très grand nombre d’entre eux n’ont pas été composés par des musiciens dignes de ce nom.
Il y a toutefois quelques rares et notablesexceptions.
Citons l’hymne allemand emprunté à un quatuor de Haydn ou celui de l’Autriche sur une musique de Mozart.
Il arrive que le grand compositeur intervienne seulement sur l’arrangement ou l’harmonisation, mais cela en améliore beaucoup la qualité musicale. C’est le cas de Berlioz pour la Marseillaise. [1].
C’est aussi le cas du splendide hymne israélien (Hatikvah), mélodie d’Europe de l’Est, revue, corrigée et harmonisée par le compositeur Smetana telle qu’il l’a intégrée dans son œuvre La Moldau. Si l’on est un tout petit peu musicien il suffit de l’écouter pour immédiatement se rendre compte à quel point on est en présence d’une harmonisation très fouillée.
Les hymnes du monde se répartissent en deux catégories presque exclusives : les marches militaires, donc construites sur des rythmes à deux temps, (avec des exceptions notables là aussi, dont la Marseillaise qui est sur une mesure à 4 temps !), et les cantiques inspirés de formes religieuses. En gros, donc, c’est soit sabre soit goupillon ; avec parfois l’astuce d’une marche au tempo lent, ce qui lui donne une majesté proche du cantique, comme l’hymne russe actuel ou le bel hymne bulgare.
On notera du point de vue rythmique ces deux ovnis : l’hymne américain, construit sur une mesure à six temps (6/4 ! ) et, beaucoup plus curieux, l’hymne du Bangladesh qui est le seul hymne du monde à être une valse ! [2]
L’exemple type de l’hymne-goupillon est bien sûr celui du Royaume Uni ; mais, particulièrement en Europe de l’Est, on en trouve de très beaux comme l’hymne récent de la Bosnie-Herzégovine qui présente une particularité devenue rare, celle d’être un instrumental, de ne pas avoir de texte. (A noter que c’est aussi le cas de l’hymne espagnol, mais là, c’est que, depuis la fin du franquisme, il n’a plus de paroles..)
Lorsque de vrais musiciens n’interviennent pas dans la composition ou l’arrangement des musiques des hymnes, on trouve à peu près n’importe quoi, tout particulièrement en Afrique, mais aussi en Amérique latine : des hymnes composés ou écrits par des curés, des ethnologues, des hommes politiques, particulièrement des militaires arrivé au pouvoir dans des circonstances pas toujours très démocratiques. Des ecclésiastiques pour le Benin, le Burundi, la République populaire du Congo, le Lesotho, Madagascar ; des hommes politiques (plutôt pour les textes) pour la Republique Centre-africaine, le Burundi, le Sénégal.
Mais le plus choquant, à mon avis, dans les musiques de ces hymnes est l’impérialisme culturel occidental sur le reste du monde…
Il est, par exemple, à la fois stupéfiant et navrant que le pays qui est l’un des foyers principaux de la musique classique arabe, l’Egypte, le pays d’Oum Kalsoum, ait choisi pour son hymne une musique de Verdi… Et cette tendance, absolument révoltante, à adopter pour leurs hymnes, des musiques occidentales, étrangères parfois à leurs propres systèmes musicaux, se vérifie quasiment partout.
Comment des pays comme l’Inde, ou le Pakistan (ou le Bengladesh, on l’a vu) qui possèdent l’une des plus grandes musiques du monde par sa complexité et sa richesse ont-ils pu se doter d’hymnes d’une telle pauvreté, minables imitations de quelconques cantiques de leur ancien maître colonial ?
Comment se fait-il que le sultanat d’Oman ait un hymne dont la 2e partie ne soit rien d’autre qu’un plagiat de la Marseillaise ? Pourquoi l’hymne syrien semble-t-il composé au bord de la Volga ? Celui du Pakistan pour les curistes de Vichy sous le Second Empire ? Que dire de celui du Yemen, aux allures de chanson paillarde française ?
On pourrait ainsi égrener les trois quarts de hymnes d’Afrique et d’Asie, tous totalement colonisés par la musique polyphonique occidentale, même si certains pays, comme l’Afghanistan ou le Turkmenistan parviennent à faire des allusions à leur musique traditionnelle (ou le Tadjikistan, d’une manière plus explicite).
Certains pays, (très peu nombreux) ont tout de même essayé d’y échapper.
Notons, par exemple, que deux hymnes d’Afrique noire (Sénégal, Republique Centre-africaine) sont signés de l’ethno-musicologue français de l’IRD, Herbert Pepper, [3]qui a sans doute essayé d’y introduire quelques éléments traditionnels, mais avec des résultats assez peu convaincants. Le lecteur jugera sur l’hymne du Sénégal qui commence pourtant par : « Pincez tous vos koras, frappez les balafons » sur une musique où l’on serait bien en peine d’y reconnaître un seul de ces instruments…
Comment se fait-il par exemple qu’il n’y ait pas un seul de ces hymnes d’Afrique noire qui ait été conçu avec une partie importante de percussions ? Le seul qui en comporte vaguement est celui du Nigeria.
Il faut vraiment chercher pour trouver des hymnes qui prennent pleinement en compte des traditions musicales non occidentales du pays concerné. En fait j’en n’ai trouvé que deux.
Le premier est le Japon qui respecte, sur une mélodie traditionnelle, son mode pentatonique à la chinoise, mais qui cède tout de même à une harmonisation à l’occidentale en son milieu.
L’autre exception, d’autant plus extraordinaire qu’elle est unique, est l’hymne de la Mauritanie.
La musique mauritanienne est une musique savante, héritée de la musique arabe, comportant de nombreux modes et styles pas faciles à assimiler par un musicien occidental. Les autorités mauritaniennes ont voulu, au moment de l’indépendance en 1960, un hymne authentiquement national et se sont adressées à un musicien français d’origine russe du nom de Tolia Nikiprowetzky qui était un spécialiste des musiques africaines, afin qu’il leur compose un hymne. En voyant les difficultés auxquelles il s’est heurté, on comprend mieux les raisons, cette fois de pure technique musicale, pour lesquelles il y a si peu de musiques authentiques hors de la sphère occidentale pour les hymnes.
En l’espèce, il fallait composer une marche, donc sur un rythme à deux temps, simplisme qui ne se rencontre que très rarement dans la musique mauritanienne, mais aussi l’harmoniser (ce qui était également étranger à sa tradition musicale) pour une fanfare militaire. Le compositeur a inventé une harmonisation qui respecte la structure modale d’une mélodie empruntée à des fragments de musique mauritanienne qu’il est allé recueillir sur place.
Pour expliquer dans la mesure du possible : la gamme mineure sans dièse ni bémol, celle de la mineur, s’établit ainsi : la, si, do, ré, mi, fa, sol. Le mode traditionnel mauritanien utilisé dans la mélodie de l’hymne est : la, si, do, ré#, mi, fa, sol#, et l’harmonisation évite les tierces, ce qui donne certainement l’hymne le plus étrange et le plus dissonant du monde.
Le poids de l’impérialisme culturel s’exerce aussi par et dans sa technologie instrumentale….
La plupart des instruments des fanfares, actuellement fabriqués uniquement pour jouer les musiques occidentales, ne peuvent vraiment prendre en compte, par exemple, des intervalles inférieurs au demi-ton, et de ce fait reproduire la subtilité des modes caractéristiques d’un grand nombre de musiques orientales. Mais après tout, on impose bien à des musiciens indiens de jouer des musiques polyphoniques occidentales totalement étrangères à leur culture ; on ne voit donc pas pourquoi, ne serait-ce que d’un point de vue protocolaire, il n’y aurait pas une réciprocité imposée à la musique de la Garde Républicaine ou de la Royal Navy qui les obligerait à jouer des partitions comportant des quarts de tons par exemple !
L’hymne en général, (mais la musique en a sa part), voudrait être, à tort ou à raison, un facteur d’identification du caractère national, réel ou fantasmé. Il est donc à la fois une manière pour chaque nation de se représenter à elle-même et une façon de se raconter aux autres. De ce point de vue, l’existence de ces hymnes « colonisés », ne serait-elle pas l’aveu d’une culture et d’une identité qui le demeurent ?
Pour changer de registre on peut faire quelques constatations amusantes : comparons la musique terrifiante, genre peplum à la Cecil B. 2000 de l’hymne du Montenegro, et les musiques presque comiques ou dérisoires de nombreux hymnes d’Amérique Latine, ( par exemple celui du Paraguay). Il est difficile de ne pas les associer à une volonté d’expression des traits de caractère nationaux. Après tout, n’est-ce pas la fonction d’un hymne, précisément ? cette sorte de drapeau sonore ?
Histoires d’hymnes.
Les hymnes, comme les drapeaux, sont le produit de l’histoire particulière de chaque pays. Ils apparaissent en même temps que les Etats-nations, au XVIIIe et surtout au XIXe en Europe, puis par vagues, au fur et à mesure que des pays accèdent à l’indépendance.
Certains pays ont le même hymne depuis toujours, d’autres pour des raisons diverses en changent souvent.
Les Russes par exemple ont changé 6 fois d’hymne depuis le début du XIXe, soit au niveau du texte soit au niveau de la musique. L’hymne le plus ancien, dit « Prière pour le Tsar » a été adopté en 1815… sur l’air du God save the Queen ! Mais, incidemment, il y a eu plus de 20 pays en Europe qui au cours du XIXe en ont fait autant; et c’était le cas de la Suisse jusqu’en 1961 ! (Il existe encore quelques doublons : par exemple la mélodie actuelle de l’hymne du Lichtenstein est toujours celle du God save the Queen, et le premier hymne du Luxembourg a eu, jusqu’en 1895, la même musique que l’hymne américain. La Finlande et l’Estonie ont également actuellement la même musique…)
En 1833, les Russes tout en gardant le même texte, choisissent une musique originale et c’est devenu l’hymne tsariste « Dieu, sauve le Tsar ». Belle prière, à la manière orthodoxe, comme ils savent faire.
A la Révolution, l’hymne des bolcheviks, il faut le savoir, a été d’abord la Marseillaise, vite remplacée par l’Internationale, puis en 1944 par l’hymne dit « soviétique » dont le texte a été modifié en 1977 pour en faire disparaître la référence à Staline. Sous Eltsine, en 1991, c’est un hymne entièrement nouveau qui a été adopté, mais depuis 2000, c’est l’ancien hymne soviétique, « désoviétisé » dans le texte, qui est redevenu l’hymne officiel de la Russie.
En France, la Marseillaise n’est devenue définitivement l’hymne officiel que sous la IIIe république, en 1879. Mais à elle seule, elle mériterait un article, tant sur le plan musical que historique. On peut au moins en dire qu’elle a été composée au violon et que la version originale de Rouget de Lisle est différente, à plusieurs endroits, de la mélodie actuelle. Certains intervalles, jugés trop difficiles à chanter, ont été changés et simplifiés.
L’expérience montre que les gens sont très attachés à leur hymne national : lorsqu’on les consulte, il est rare qu’ils acceptent d’en changer.
Je n’ai pas lu les textes des hymnes des 192 pays en entier, mais au moins un couplet par-ci, par-là pour me faire une idée. Ils sont parfois le fait de poètes ou d’écrivains nationaux. Par exemple celui de l’hymne sénégalais est de Léopold Sedar Senghor. Dans l’ensemble ce n’est pas de la grande littérature… Toujours un peu la même chose, on y exalte la liberté, la patrie, ses citoyens, leurs vertus guerrières, domestiques et morales, la grandeur de ses rois, la puissance de la nation…
Quelques textes parfois plus poétiques… Signalons celui de la Lituanie qui ne comporte aucune référence guerrière mais qui appelle à répandre la vertu et la vérité, et surtout (ah, celui-là je l’aime !) celui de la Slovénie dont le titre veut dire « Santé ! » et dont chaque strophe, par les longueurs appropriées des vers qui la composent, forme le dessin d’un verre de vin…
Un peuple qui se choisit de tels symboles pour son hymne ne peut pas être fondamentalement mauvais, je vais y demander de toute urgence l’asile politique !
Quelques hymnes cités, dont les liens ne sont pas dans le texte de l’article :
Vous trouverez tous ces hymnes à l’adresse suivante.
[1] Il faut, toutefois signaler que l’arrangement actuellement en vigueur est celui du colonel Pierre Dupont, chef de la garde Républicaine dans l’entre-deux guerres. Il y a eu 144 arrangements différents déposés à la Sacem, y compris celui de Berlioz !
[2] Le God save the Queen, par parenthèse, est aussi construit sur une rythmique assez atypique : écrit en mesure 3/4 c’est rythmiquement plutôt un mélange de 6/4 et de 3/4.
Lectures :9740
Va savoir si Lully aurait aimé…
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Article très intéressant.
Au sujet de notre hymne, une parole dont trop peu de gens comprennent la signification : qu’un sang impur abreuve nos sillons
J’ai pris le premier lien sur affiché sur la toile, rien ne vous empêche de chercher ailleurs …
Effectivement c’est une interprétation tout à fait plausible, a fortiori si on considère que le chant était offert à des volontaires…
Un temps où à Marseille ,seuls les adversaires de la République sifflaient et huaient la Marseillaise, tout comme aujourd’hui.
très intéressant. Merci Léon!
Cette question m’intriguait depuis longtemps.
Quand Léon nous a offert son article, elle revint….mais je ne sus pas en sortir à l’époque….
Il faut que demain soit le 1er Août pour que la réponse me soit enfin donnée
Wikipédia
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En fait , il n’y a pas d’Hymne national anglais.J’approchais de la solution chez Lapa quelques jours avant