A propos de Malik
lundi 17 mars 2014, par Grosse Fatigue
Hier soir je ramène les gamins du basket. Je dois déposer Malik et les autres à l’arrêt de bus. Mon gamin est reparti dans sa croisade anti-homos. Je lui précise à nouveau qu’on ne peut pas reprocher aux gens leur nature, c’est bien là notre seule limite. Malik me demande alors ce qu’est un « bougnoule ». Je lui explique la sémantique, le Sénégal, les troupes coloniales. Malik est très surpris. Un incertain Kévin lui a dit un jour, à propos de son ballon de football : « Les bougnoules ont pas le droit de jouer avec mon ballon ». Mais comme Malik ignorait le sens péjoratif de l’épithète, l’effet escompté s’est estompé. Malik s’en fout. Je suis un peu énervé. Mais enfin, personne ne lui dit rien à ce Kévin ? Mais non papa, on s’en fout. Mais faut lui apprendre ! On n’a pas le droit de dire ce genre de trucs ! Mais papa, laisse tomber ! C’est un gros naze, il est toujours en joggings ! Et alors ? C’est pas une raison ! C’est pas parce qu’on est toujours en joggings que l’on a le droit de proférer des insultes racistes ! Je commence à engueuler les gamins, mon fils, Malik, Etienne et les autres. Bon sang ! Vous n’avez donc aucun sens moral ! On n’insulte pas les gens comme ça ! On peut traiter de « blaireau », mais pas de « bougnoule » ! On est la France quand même ! On n’est pas n’importe qui ! Et quoi d’autre demain ? Le retour du Youpin ? Du Négro ? Mais enfin les enfants ! Réveillez-vous ! Il faut lui faire la morale à votre Kévin ! Le dire aux profs d’histoire ! Au prof principal ! Au proviseur ! Je vais lui écrire !
Les gamins ont tous remis leurs écouteurs dans leurs oreilles bien enfoncées. Me voilà seul au volant de mon diesel, émiettant mes particules dans l’air frais du soir embouteillé, si je puis dire.
Je fulmine, sorte de condensation personnelle de « culminer dans la fumée », ou de « brûler de l’intérieur ». Je tape sur mon volant comme un con, je klaxonne sans le faire exprès. Une manif à moi tout seul. Ton père est fou lui disent-ils….
Je leur demande d’enlever les écouteurs, il faut que je leur parle. Mais papa, ça fait dix minutes qu’on a compris ce que tu voulais nous dire !
Et alors ?
Mais papa, on s’en fiche complètement. Parce que Kévin, c’est un Gitan !
Ah merde. Je continue mon laïus moraliste dans le vide, genre « air guitar », juste pour moi, Santana. Il faudrait avoir prise sur ses enfants mais aussi sur l’époque. Je ne savais pas qui étrangler, et puis je conduisais.
Django Reinhardt aussi c’était un Gitan !
C’est qui ?
Et Birelli Lagrène ?
On connaît pas. C’est pas grave papa, c’est juste un Gitan !
Je trimballais dans ma voiture japonaise la France de souche et la France des branches, bref : la France, la seule, la vraie, la France en herbe. Il n’est pas encore temps d’en être fier, il reste du travail aux gens de bonne volonté…
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J’adore…
J’aimerais pouvoir démêler la vraie vie comme Fatigue semble savoir le faire ou parfois y renoncer.