La grande grève de 1953, c’était il y a 60 ans. Honneur à nos parents qui ont su mener jusqu’au bout , jusqu’au bout du possible le combat pour ce qui fut le cadre de notre existence
Aux débuts des années 50, la IVème République a beaucoup de mal à rentrer dans ses incontestables pantoufles , ses possessions coloniales , ses coupons, ses jetons et ses profits comme « à l’ancienne ». Un nouveau président du conseil de droite Joseph Lainiel va déclencher un conflit qui va exploser dans l’une des plus grandes grèves générales ayant enflammé notre pays, celle de l’été 1953.
Ce Laniel député du Calvados de 1932 à 1958 connu pour avoir voté les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940 « atterrit » dans la Résistance quelques années plus tard comme le firent certains hommes politiques de la IIIe République lorsqu’ils sentirent le vent tourner.
Pour combler le déficit budgétaire aggravé lourdement par la guerre en Indochine, il avait inventé (déjà) un plan d’austérité. : une réforme du statut de la fonction publique, un recul de l’âge du départ à la retraite pour tous les fonctionnaires ( alors fixé à 58 ans pour tous les services actifs). Il promettait beaucoup , il promettait tant et tant : le blocage des salaires et des licenciements chez les postiers non-titulaires.
La formule était « les sédentaires » verraient leur retraite à 55 ans transformée en celle des « sédentaires » à 60 ans.
Le 4 août , malgré la division syndicale, les postiers de Bordeaux se réunissent et décident la grève. Celle ci se répand comme une traînée de poudre. Les postiers alors tiennent les standards . Le lendemain l’appel à la grève générale lancé par la fédération FO offre un puissant levier à la volonté générale, volonté bloquée souvent par les atermoiements et la division organisée par les directions des centrales.
Quand Maman entrera comme factrice quelques mois plus tard, la fédération des postiers FO de Bordeaux sera restée un phare pour tous les travailleurs tant pour la défense de leurs intérêts que pour la capacité à unifier et rendre effective la solidarité entre les travailleurs. Elle adhérera quasi automatiquement à FO. Cela n’ira pas sans poser quelques problèmes au militant poujadiste qui lui servait de mari . Ce dernier refusait de cotiser à je ne sais plus quelle caisse mutuelle de secours maladie , se vantant de n’être jamais malade. Quelques mois plus tard, la qualité d’ayant droit sauvait la famille de la misère. Maman nous couvrait. Chaque matin, été comme hiver elle partait au travail sur sa mobylette qu’elle avait eu la permission d’acheter , mon père ayant signé les traites, en ayant lui seul, le droit.
Le 6 août Le mécontentement est tel dans le pays que c’est toute la fonction publique qui se lève contre la tentative du gouvernement d’utiliser la vieille arme des décrets-lois. Les milieux proche du pouvoir s’inquiètent du caractère spontané et massif de ce mouvement.
Le 11 août Les travailleurs sont des vrais gens , avec des amis des parents des voisins….Avec eux ils partagent les mêmes conditions de vie et les mêmes problèmes. Le gaz , l’électricité , les mines , la SNCF entrent dans la grève générale
Le 12 août C’est au tour de la RATP, Air France, les services hospitaliers, les employés municipaux qui sont suivis le lendemain par les employés de la Sécurité sociale , ceux des banques et des assurances…
.
L’immense majorité du pays est à l’arrêt. Malgré les freins et les obstacles issus de leur propres rangs les travailleurs ont réussi à imposer leur unité dans l’action. Le déferlement irrésistible des grèves donne la mesure des capacités combattantes contenues par la réalisation dans ce premier échelon des luttes. Il faut comprendre la double tâche des militants sur le terrain : faire face aux menaces et aux intimidations du gouvernement mais aussi en même temps savoir décrire et expliquer devant tous, tous les coups tordus , les manœuvres dilatoires de division des directions traîtres qui n’abandonnent pas les estrades bien au contraire.
Contre cette conjuration des adversaires de la grève générale, une seule méthode permet d’avancer et en même temps contrôler le mouvement = le comité de grève élu par la base.
À l’atelier , au service , à l’entreprise puis par centralisation successive le comité central de grève.
À chaque étape , il faut toujours expliquer et ré expliquer que les syndicats et Partis ont leur place dans la grève , que leur présence est indispensble. Tout l’appareil technique et matériel , locaux , machines d’impression et reprographie ,téléphones, véhicules des syndicats, a été payé par les cotisations des travailleurs . Il leur appartient. Ils sont là pour aider la classe ouvrière dans son mouvement et non pour l’entraver. C’est ce double combat : contre l’adversaire du pouvoir et contre l’obstacle bureaucratique interne , que le travailleur d’avant garde doit être prêt à mener, voire à conduire.
……..
Le 12, Laniel choisit le passage en force et s’adresse au pays : « Je dis non à la grève ! » Et il pose comme préalable à toute reprise des discussions, la fin du mouvement de grève.
Hélas pour lui , le 13, la grève s’étend à la métallurgie et aux mines, aux banques, aux assurances, à la construction navale ; le 14, au bâtiment et à l’industrie chimique. Dans le Midi, les viticulteurs dressent des barrages, menacent de s’emparer des préfectures. Il y a maintenant quatre millions de grévistes. Les ordures ménagères commencent à s’amonceler sur les trottoirs.
Laniel reste et s’obstine .
Le 17, , après le passage en force il choisit le coup de force ==> il réquisitionne . Les employés des services publics, les cheminots, les postiers, tous se lèvent . La réaction est instantanée : partout en France, spontanément cortèges ou rassemblements se forment. Le CNPF, ancêtre du MEDEF, encouragé par le comportement du gouvernement, refuse d’entendre parler d’augmentations salariales dans le secteur privé.
Alors, dans toutes les villes importantes, des milliers de travailleurs se rassemblent chaque jour devant la Bourse du travail où siègent les comités de grève. Ce ne sont plus les seuls travailleurs mais une population entière .
De plus en plus du sein des travailleurs en lutte se dégagent les hommes qui savent tirer les leçons de cette expérience . Ils sauront plus tard analyser la conjonction curieuse et contre nature des refus des possédants et des magouilles des dirigeants diviseurs.
Le 17août , le chef du gouvernement, par un discours particulièrement agressif, donne une fin de non recevoir aux tentatives de FO et de la CFTC qui cherchent une solution acceptable pour terminer ce mouvement qui leur échappe.
Car à la CFTC, on redoute que cela n’aboutisse à un triomphe communiste. Nous sommes en pleine guerre froide . Guerre froide bien utile pour permettre aux uns de qualifier d’inacceptable et terroriste la simple demande d’accéder à une vie décente et aux autres de dévoyer vers la défense de l’URSS ou des conflits coloniaux la lutte bien présente et bien actuelle qui se tient en ce moment et ici.
- a)Nous sortons des affrontements de Berlin opposant la police et l’armée de Berlin Est aux travailleurs du bâtiment et toute la classe ouvrière de cette ville sous la botte de l’Armée rouge
- B) en Iran la CIA et tous les serives occidentaux fomentent la destitution et le jugement de Mossadegh
Au chapitre des intimidations:les dirigeants de FO, à l’origine du mouvement, craignent d’être arrêtés. Finalement dans la nuit du 20 au 21, le ministre des Travaux Publics “capitule” : aucune sanction ne sera prononcée contre les grévistes qui ont refusé d’obéir aux ordres de réquisition sauf pour ceux qui se seraient rendus coupables de fautes graves. Mais les journées de grève ne seront pas payées. Et les salaires seront discutés plus tard.
Bien que largement repris par tous l’appel à un comité central nationale de grève fut repoussé par l’alliance des bureaucraties
Le 21 août, à 13 heures, la CFTC ordonne la reprise du travail,
suivie à 20 heures par FO.
La CGT, ignorant ces mots d’ordre, tente de poursuivre la grève. Mais, finalement, le 25 aout elle invite ses adhérents à reprendre le chemin des usines et des bureaux.
Chez les grévistes, l’amertume est grande. Un peu partout des ouvriers déchirent leurs cartes syndicales. On parle de trahison, on attribue l’échec du mouvement au manque d’unité entre les centrales syndicales et aux rapports trop étroits des leaders syndicaux avec les partis politiques.
.
Quelque fût sa force , ce mouvement avait manqué à une de ses tâches : démembrer , armé de son expérience et de sa réussite dans l’unité, les obstacles internes de division issus de son histoire.
En France la plaie est encore béante de la récente scission du mouvement syndical ( en 1947) entre les deux principales branches de la CGT qui aboutira à la création de la CGT Force Ouvrière. Les militants anciens et nouveaux qui se battent dans l’optique du tous ensemble dans l’unité des revendications symbolisée par le comité de grève élu par tous voient se liguer contre eux venant de toutes parts ceux dont les convictions et les intérêts sont hostiles à cette reprise en main des outils forgés par l’histoire du mouvement ouvrier. La ville de Nantes en connut l’ébauche elle en conservera le souvenir 15 ans plus tard.
Être soumis aux décisions des assemblée générales, ça va une fois, pour se faire élire , mais une fois en place , ils aspirent tous, Staliniens, socialiste crypto chrétiens de la CFTC , au nirvana du statut de permanent syndical . Un comité de grève qui réussit c’est un permanent qui est obligé de se remuer le cul et de demander leur avis à ses mandants .
Et ça ??? Bin ça le rend malade le petit bureaucrate.
Cette grève se terminera avec le retrait du décret loi sur les retraites.Mais aussi mais surtout elle se terminera, pour quelques centaines de combattants ouvriers, par une expérience acquise , expérience de la puissance de l’Unité Ouvrière qu’ils me transmettront 15 ans plus tard. Le petit bourgeois idéaliste attardé , fils d’ouvrier, avait bien besoin de ce grand bain de précision historique et politique pour le débarbouiller de ses illusions mystico idéalistes.
Lectures :6450
P…. une grève en plein mois d’août 😆 aujourd’hui on croirait au poisson d’avril 😆
Dire qu’il a fallu un poujadiste pour me raconter et me le raconter souvent combien cette grève avait été impressionnante. 😉
Evidemment ce fut bien plus tard que j’appris comment les évènements de Berlin et d’Iran encadraient et donnaient tout son sens à ce qui se passait en France.
En 1953 je vivais au milieu de la brousse africaine entouré de serpents, gazelles et éléphants et je n’avais jamais entendu parler de cette grève…