Rémi Géniet n’est pas un garçon ordinaire : reçu l’année dernière premier au concours d’entrée au conservatoire national supérieur de musique de Paris, il fait des études pour devenir pianiste-concertiste. C’est à l’occasion de son retour à Montpellier pour les vacances que j’ai pu bavarder un peu avec lui. J’avais beaucoup de questions à lui poser, on connaît mal, en effet ces filières d’excellence en matière musicale.
Ses études.
Il suit des cours au conservatoire ( CNSMDP) et à l’école Normale de musique.
Au conservatoire, les études sont organisées conformément aux cycles universitaires, licence, master, doctorat et comportent pas mal de matières théoriques comme la composition, la déchiffrage ou l’histoire de la musique, alors qu’à l’Ecole Normale l’orientation est beaucoup plus centrée sur la pratique de l’instrument. C’est variable d’un musicien à un autre, mais globalement il m’a dit faire entre 6 et 7 heures de piano par jour, (en sus, bien entendu, des apprentissages théoriques), ce qui est à peu près le maximum que ses muscles peuvent supporter. Un kinésithérapeute spécialisé le suit régulièrement. Ce rythme de travail ne semble pas le traumatiser du tout…
Je lui pose la question de la mémoire, étant tout de même impressionné par la longueur et la complexité des œuvres que les concertistes retiennent par cœur. Il me répond qu’en ce qui concerne le piano, plusieurs « mémoires » interviennent, visuelle (de la partition : il n’est pas rare qu’un concertiste « répète » dans le train ou dans l’avion en lisant seulement la partition), auditive et physique, celle des mains. Mais il souligne que la compréhension de la structure de l’œuvre, de la manière dont elle a été composée, de sa logique musicale en quelque sorte, intervient d’une manière essentielle dans la mémorisation de l’œuvre.
Des préférences ?
Je lui ai demandé aussi, et la question a eu l’air de le surprendre, s’il avait des préférences dans ce qu’il interprétait ou s’il considérait que son futur métier consistait à pouvoir jouer n’importe quelle œuvre du répertoire. Il m’a répondu que, par goût, il n’était pas pour l’instant spécialisé, aimant butiner assez largement, faisant même des incursions dans la musique contemporaine. Mais selon lui, il est rare qu’un concertiste soit bon dans tous les styles et pour tous les grands compositeurs classiques. Aussi il y a de fortes chances, pense-t-il, que comme presque tous les autres, il se révèle meilleur pour certains et moins bon ailleurs. Il a malgré tout, m’a-t-il dit, une petite préférence pour Rachmaninoff, ce qui confirme décidément tout le bien que je pense de ce garçon… Il me parle de la difficulté d’exécution des œuvres pour piano de ce compositeur qui tient essentiellement à leur polyphonie : contrairement à Liszt par exemple, il y a beaucoup de voix en même temps qui imposent des écarts importants entre les doigts, même dans les passages très rapides. Rachmaninoff était connu, en effet, pour ses mains gigantesques.
Une vie différente
À tous ces jeunes qui se soumettent très tôt à des disciplines terribles on pose toujours la même question, celle de leur vie « pas comme celle des adolescents de leur âge » et je n’y ai pas manqué. Sa scolarité a été assez vite aménagée et au fur et à mesure qu’il avançait en âge, l’essentiel de ses cours s’est fait par correspondance. Bon, il a tout de même sauté la classe de 4e et réussi son bac S à 16 ans avec mention très bien, mais tout cela est de la broutille pour lui… Ma question, évidemment, était banale, on a dû la lui poser des centaines de fois. Sa réponse au sujet des filles, des copains et des sorties en boîte qui lui manqueraient l’a été beaucoup moins : « Je n’ai pas été éduqué ainsi, aussi cela ne me manque pas », m’a-t-il répondu avec un grand sourire…
J’avoue avoir été enthousiasmé par ce garçon attachant et lumineux qui semblait si bien dans ses baskets là où d’autres ne verraient que contraintes et souffrances inutiles. On ne dira jamais assez le poids de l’éducation, des miracles qu’elle réalise parfois, et des abîmes que crée son absence ou sa négligence.
À tête reposée je me suis reproché de ne pas lui avoir demandé ceci ou cela, et cela encore…
En réalité je venais de faire une expérience étrange, celle d’être intimidé, à l’âge de 65 ans par un adolescent de 17 ans , tant ce qu’il avait dans la tête et au bout de ses mains était totalement hors de ma portée.
Sa bio est ici :
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J’ai retrouvé un passage particulièrement difficile de Rachmaninoff qui correspond à ce que dit Remi sur sa « polyphonie » . Ici, par W. Horowitz. Concerto n°3 sauf erreur de ma part .
Lectures :13931
Entre le génie qui écoute son père et le génie qui rejette son père, ce dernier sera le + fort.
Tall,
J’ai bien peur que tu ne généralises un peu.
Il y a tellement de sortes de pères, tellement de fils possibles.
Je ne retiendrai pour ma part qu’une chose, c’est qu’il est parfois plus facile de rejeter que d’écouter, tout dépend de la teneur du message, de la qualité de transmission de l’émetteur et de la capacité d’écoute du receveur.
salut castor
‘tention, je parle des génies, pas de mr tout le monde
donc de gens qui ont un réel talent naturel quelque part
et quand je dis « le + fort », je serais + précis en disant : le + créatif
surtout dans le domaine des arts
Tall,
me situant personnellement sur l’échelle de l’évolution entre l’éponge de mer et la moule de bouchot, je ne peux valider ta théorie.
argument imparable 8)
Les « génies » commencent toujours par écouter leur père et le rejeter ensuite. Quand je pense à l’éducation musicale exceptionnelle qu’a reçue Mozart de son père…
oh non, pas toujours .. il y a beaucoup de contre-exemples
bien sûr, au départ, le génie doit toujours écouter un minimum de quelqu’un pour apprendre les techniques de base
mais très vite, il verra qu’il est + fort que les profs, et tracera d’autant + vite sa propre route qu’il sera « naturellement » enclin à rejeter l’autorité
et cette capacité de « contre » lui sera aussi très utile pour passer au-dessus de tous les égos qui le jalousent
car ce n’est pas facile d’être un génie sur le plan social
un génie est un marginal
un peu de mégalomanie, voire de misanthropie ne le desserviront pas nécessairement
tu as écrit sur Janis Joplin un bon billet qui allait dans ce sens, Leon
Bonjour à tous je vous redonne le lien qui semble un peu coincer ce matin
http://remi.geniet.free.fr/bio.html
Passionnant ce garçon, merci Léon.
On lui souhaite de réussir dans ce domaine difficile: il semble bien qu’il le mérite !
Philippe, je ne me fais pas trop de souci pour lui: sa réussite sera plus ou moins éclatante mais il en fera son métier et en vivra au moins tout à fait correctement.
Voilà une question intéressante: est-ce que pour lui vivre correctement de son art suffirait ou bien souffrirait-il de ne pas être un « tout grand » ?
L’un et l’autre se comprendraient; question d’ambition, de besoin de reconnaissance: peut-on être modeste et être un grand artiste ? !
Très intéressant et très juste. Bonne continuation à lui et que sa passion puisse le nourrir et le rendre heureux.
Tall, entre le génie qui écoute son père et le génie qui rejette son père, il me semble revoir Mozart. Est-ce le propre des musiciens talentueux? Et que dire du père de Beethoven qui instruisait son fils entre deux visites à la taverne pour en faire un Mozart? Léon. Il semble bien que nous entendrons de plus en plus parler de ce jeune prodige qui me paraît très rigoureux pour son âge… les filles, les sorties en boîtes… Faut espérer qu’il ne vivra pas son adolescence à cinquante ans? 🙂 🙂
très impressionnant ..
un surdoué,passionné,concentré,reconnu par les grands,certainement une carrière éblouissante pour l’avenir …
mais sa vie de jeune homme dans tout ça ? il a bien du sang dans les veines et des glandes,non ?
la soeur de ma femme,surdouée elle aussi,études littéraires,linguistiques,historiques très poussées,deux doctorats,plusieurs postes d’enseignement supérieur à l’étranger ..
pas de vie affective,ni sorties durant sa jeunesse,certainement vierge à plus de 30 piges,s’était fait faire un môme certainement avec le premier venu,que nous avons connus,lui aussi même personnage surdoué hors de tout ce qui est pratique et bassement matériel de la vie courante ..
maintenant,ma belle soeur a 60 piges,sa fille dont elle ne s’est jamais occupée,et qui lui fait la gueule,et se rend contre qu’elle a totalement loupé sa vie,au point de picoler pour tout oublier !
maxim et Pierre : les jeunes qui s’engagent ainsi dans des cursus exigeants sont tous logés à la même enseigne : ils vivent leur adolescence un peu plus tard. Je n’ai pas d’inquiétude pour Remi. Ce garçon a l’air très bien dans ses baskets. J’ai été impressionné par son calme, sa sérénité : il aura un peu plus de temps pour d’amuser lorsqu’il aura fini ses études.
Pourquoi diable toujours vouloir associer l’adolescence à l’amusement ?
pourquoi donc vouloir à tout prix mettre des gens dans un moule supposé être la normalité d’ailleurs tiens. ❓
cette sollicitation bienveillante des autres « a-t-il tiré un coup?, connait-il les joies de vomir dans les chiottes d’une boîte de nuit au vacarme assourdissant?…etc… » qu’on retrouve tout au long de nos vies « quand allez-vous faire des enfants? j’espère que vous êtes déjà allés à l’étranger, rester 10 ans dans la même boîte c’est pas terrible…) et plus tard encore « si à 50 ans t’as de rolex, t’as raté ta vie… » ça revient à imposer une vision assez étriquée dans une société où l’on est supposé être libre de choisir.
Comme quoi le conditionnement se retrouve parfaitement dans nos pseudos libertés individuelles.
Bien vu, Lapa.
On s’imagine trop qu’un jeune doive forcément porter des fringues griffées, l’écouteur vissé sur les oreilles toute la journée avant d’aller se pinter entre deux joints.
Il n’est ni ringard ni bourge que certains trouvent leur épanouissement dans la satisfaction d’activités d’adultes, artistiques ou manuelles, au lieu de mener cette vie que nous autres vieux croûtons avons tendance à attribuer aux ados. Il faut dire que tout est fait pour nous en persuader: dans les pubs, dans les fictions de TF1 et M6, le jeune s’éclate, profite de la vie, en un mot consomme tant qu’il peut. Tout ça fait vendre, et devient une « culture » supposée des jeunes, sans que personne s’interroge sur sa réalité.
D’où aussi le rejet de ces jeunes imaginaires par beaucoup d’adultes, qui confondent pub et sociologie. 😉
Bien vu, Philippe, d’accord avec toi.
Oui voilà, le point commun de tous ces chemins est la consommation (de filles, de loisirs, de biens…), c’est pour cela que semble étonnant à certains le fait qu’un jeune de de 17 ans ne consomme pas avant tout, mais crée et apprend; bref, se construit.
Bonsoir Léon, belle recontre à Montpellier
tout à fait d’accord avec votre conclusion:
» On ne dira jamais assez le poids de l’éducation, des miracles qu’elle réalise parfois, et des abîmes que crée son absence ou sa négligence. »
(pour ce qui est des filles et des boîtes… :lol:! à chacun ses préférences et ses passions)
non attendez..pas de confusion ….
il est bien evident que lorsque l’on a un enfant surdoué,ou passionné à un point tel que l’on est certain qu’il est promis à un avenir brillant,que son milieu familial le protège,l’aide au maximum dans sa quête de perfection,on ne va pas lui dire » tiens mon garçon,va t’amuser et voir les filles sinon tu risque de mourir idiot ! »
ceci dit,c’est une question de tempérament ,on peut très bien être studieux à l’extrême et décompresser de temps en temps …..
mon fils aîné,bosseur comme pas un a fait une école d’ingénieur,obtenu son diplôme,puis est allé à Coetquidan faire les EOR,y a même été instructeur..ensuite a bossé comme ingénieur dans une grosse boîte,puis entré sur titre à l’EOGN de Melun,pour ensuite prendre le commandement en second d’un escadron,puis après avoir préparé le concours d’entrée pour l’ENSTA où il a été admis,puis en stage à Polytechnique Montréal,et enfin obtention d’un deuxieme titre d’ingénieur,et chef de projet au sein de Gendarmerie nationale,et également bon vivant de temps en temps,durant tout son cursus, et idem avec certains de ses amis ayant choisi une autre voie mais également sujets brillantissimes pour certains,sans oublier de temps en temps des moments de détente ,ne serait ce que pour décompresser .
bien que sorti de nulle part,j’ai voulu que mes enfants s’en sortent en ayant une bonne éducation,avec mon épouse nous avons mis un point d’honneur à ce qu’ils aient tous de bonne armes pour démarrer dans la vie,ce que nous avons fait,mais nous avons également admis le fait qu’un enfant,devient un adolescent,puis un jeune adulte,et que les » besoins qui arrivent avec cette transformation physique et mentale des individus,peuvent de temps en temps lui commander d’aller vivre sa vie de jeune homme sans pour celà necessairement se saouler et aller tirer son coup n’importe où et n’importe comment ! »
pour en revenir à ce jeune génie Remi Geniet …je ne peut lui dire que bravo l’artiste,et lui souhaiter toute la réussite qu’il mérite amplement !
J’ai retrouvé un passage particulièrement difficile de Rachmaninoff qui correspond à ce que dit Remi sur sa « polyphonie » . Ici, par W. Horowitz. Concerto n°3 sauf erreur de ma part . Je l’ai ajouté à la fin de l’article.