L’histoire de Yang.

Sortant rarement de ma tanière, je ne manque pas à chaque fois d’acheter un ou deux livres. Cette fois là c’est la 2èWW d’Antony Beevor que j’ai ramené à la maison. Cet livre met à l’honneur en page d’introduction la photo et la biographie en trois lignes de Yang Kyoungjong. J’ignorais tout de cet homme, deux mois plus tard je n’en sais guère plus .

L’ouvrage de Beevor se distingue de tous ceux que j’ai pu lire sur le même sujet par l’accent mis, aux cotés des grands mouvements et structures de la guerre, sur la souffrance individuelle dans sa diversité, son authenticité , son abjection parfois. La guerre totale , ces marées de sang jetées les unes contre les autres, avec au dessus quelques fétus qui surnagent , incongrus, catapultés d’une hécatombe à une autre.

Entrée dans l’histoire  dès l’antiquité classique la Corée contemporaine connaît le sort des Pays sud asiatiques et de l’espace chinois à la charnière du XXème siècle.Une exploitation effrénée par les occidentaux avec la complicité des élites indigènes. Comme le Vietnam une suzeraineté assez virtuelle de l’Empire Mandchou cède la place à une autre bien plus oppressante pour la population .Ce mouvement général connut pourtant un développement surprenant :la défaite de l’impérialisme russe face à la puissance naissante d’un nouveau venu = le Japon .

L’empire du Soleil levant s’installe en deux temps : un conflit victorieux contre la Chine suivi  des défaites russes de Port Arthur et Moukden qui aboutissent au cataclysme Tshushima 1905.

En 1910 un traité d’annexion met fin aux espoirs d’indépendance du peuple coréen. Le pays est mis en coupe réglée , pas une ressource pas un paysage pas un être humain qui ne soient  exploités au compte de l’Empire.

Soumis ou chassés de leur propre terres ( 40% des terres) les Coréens sont poussés à l’exode ou au travail forcé

Toutes les forêts coréennes, les pêcheries et même les zones de pêche passent sous le contrôle du gouvernement militaire japonais . Les manifestations d’indépendance sont réprimées dans le sang, près de 7000 tués et 50 000 arrestations

1931 : Profitant du faux incident du chemin de fer de Moukden ,( Tintien et le Lotus Bleu) le Japon entreprend la constitution artificielle d’un empire dit du Mandchukouo totalement soumis au Japon  avec à la tête un pouvoir fantoche confié à Pou Yi, le dernier empereur mandchou de Chine renversé par la révolution de 1912. Comme qui dirait : un véritable empire citoyen

1937 : D’incidents en provocations des services secrets , le Japon entreprend la conquête de  la Chine, la condition des Coréens empire. Le japonais devient langue obligatoire et les publications en langue coréenne sont interdites. L’assistance aux rites shinto devient bientôt elle aussi obligatoire et les chrétiens qui s’y refusent sont emprisonnés. Un service du travail obligatoire est imposé à plus de 4 millions de personnes sur le sol coréen , plus d’un million sont déportés au Japon comme main d’œuvre non qualifiée. L’occupation japonaise est assurée par près de 100 000 policiers appuyés par 200 000 auxiliaires. Les récoltes de riz sont raflées et exportées vers le Japon pour les 2/3 .Emprunts forcés et la collecte des métaux précieux sous couvert de campagnes patriotiques de contributions volontaires à l’effort de guerre en faveur de la Grande Asie orientale, c’est la sphère de coprospérité japonaise. On ne sait pas comment Yang s’est retrouvé dans les troupes Japonaises……….

Pendant ce temps des des dizaines de milliers de jeunes Coréennes sont embauchée ou capturées pour servir de « filles de réconfort » dans les maisons de plaisir réservées, dans toute l’Asie occupée, aux militaires japonais.

.

Comment Yang se retrouve-t-il au fin fond de la frontière Mandchoue/Mongole ?

On ne sait pas. Il n’en dira rien, ou, ceux à qui il l’a dit ne l’ont pas répété. La faim, la peur des violences policières, l’espoir d’échapper à une dénonciation, le caprice d’un officier, ils furent des milliers à se retrouver comme lui embrigadés dans l’armée de leurs oppresseurs.

Aux frontières de la Chine , les accrochages , les empiétements, voire les dépeçages font partie de l’histoire depuis la première guerre de l’Opium. Les Russes n’ont pas été les derniers à s’inviter à la table du festin Chinois. Ils se sont emparé à l’ouest du versant sibérien du Turkestan et poursuivent leur grignotage sur le Singkiang riche en minerais et en promesses de pétrole. À l’Est c’est la Mandchourie qu’ils convoitent. Hélas pour eux, les Japonais les ont stoppés, ce qui ne les empêchent pas d’établir leur contrôle sur l’immense Mongolie extérieure. Même si les joueurs ont changé du coté russe , le nouveau régime reprend à son compte les ambitions stratégiques du Tsarisme; en face la toute jeune République chinoise aux prises avec une guerre civile et les empiètements des seigneurs de la guerre souffre d’impuissance militaire . La farce du Mandchukuo ( Pou Yi) fait enrager les occidentaux qui n’ont pas osé prendre un si gros morceau et aiguise les appétits de Staline.Les accrochages armés aux frontières, coutumiers pour les Chinois, sont de plus en plus féroces entre les nouveaux voisins Russes et Japonais, ces derniers  désormais maîtres du terrain .L’URSS, officiellement le camp de l’amitié entre les peuples joue sur du velours face à l’ultra belliqueux régime Japonais. Le Japon a entrepris un guerre d’une brutalité inconnue jusque là contre la Chine, Bombardement des villes , massacres de prisonniers et de civils en masse sont revendiqués par une caste militaire raciste ou bien peu se distinguent par leur modération.La violence barbare leur tient lieu d’élégance

C’est plus par orgueil  idéologique que pas réel besoin militaire que Tokyo  décide de châtier une armée soviétique que le monde entier sait complètement décapitée par les grandes purges staliniennes et la liquidation de Thoukachevski . Eté 1938, un affrontement sérieux au lac Khasan au sud de Vladivostock a vu les Russes l’emporter mais au prix de pertes bien plus sévères que les Japonais. Staline veut y voir une trahison, il lui faut une victime. Le Maréchal Vassili Blücher arrêté et torturé rejoint dans la tombe les milliers d’officiers ayant connu le même sort depuis 2 ans

Au printemps 39 les japonais saisissent le prétexte d’un différend sur le tracé de la frontière dans la région de Nomohan et d’un petit fleuve local le Khalkin-Gol. Ils veulent que le tracé suive le fleuve 20 km plus à l’ouest alors que les troupes Russo mongoles défendent  le bassin versant au complet comme  faisant partie des territoires ancestraux de pâture des pasteurs itinérants de la région. Cent km² de steppe herbeuse voilà un bon prétexte pour s’affronter . On pourrait dire comme dans le film Fanfan la Tulipe. «  L’ennemi est d’accord sur le lieu de la bataille »

À la tête des troupes russo mongoles le général Jukov se demande bien pourquoi il a été jusque là épargné par la liquidation de ses pairs. Sauf à accepter de se reconnaître comme un sombre crétin, il sait que les meilleurs , tous ceux qui pouvaient faire de l’ombre à la dictature du Petit Père, ont été décimés. Les hommes ont disparu mais aussi avec eux les idées stratégiques et militaires russes de leur école de pensée .En ce qu’elles avaient de modernes leur absence expliquera les désastre de 1941 . C’est là qu’il faut chercher l’essentiel des raisons des désastres , dans  le caractère timoré et la nullité de l’encadrement que Staline avait bien voulu laissé à son armée.Perdu pour perdu Jukov s’applique. Son meilleur allié va, au début, être fourni par la confiance irréfléchie et le sentiment de supériorité des officiers japonais. Peu de préparation et peu de reconnaissance. Prête à tous les sacrifices la troupe fonce , obéit et s’acharne. Arrivés au contact sur la rive du Khalkin-Gol les japonais s’embourbent un peu perdant leur capacité de manœuvre. Les Russes les attendent dans leurs tranchées et les clouent au sol par une artillerie longue portée placée de l’autre coté du fleuve. Dans un mouvement Sud Nord les élément blindés et mécanisés contournent toute la ligne de front et entament un mouvement d’enveloppement qui les conduit sur les arrières japonais. Au sud le deuxième mors de la tenaille complète l’encerclement. C’est la déroute. Des milliers de japonais sont capturés..

Nous sommes fin Août 1939 , au cours de ces mêmes heures Staline signe le traité de non agression avec l’Allemagne Nazie. Que reste-t-il de l’alliance Germano Nippone ? Pas grand chose. Ce front restera gelé jusqu’en 1945 quand les soviétiques reprendront les hostilités à la demande maintes fois répétées des alliés . L’ironie voulut que ces derniers  s’en seraient bien passés   alors, mais c’eût été trop se dévoiler.

.

Dans ce désastre Yang eut le bonheur d’être capturé, peut-être indemne . Comme il n’a guère été prolixe nous n’en saurons pas plus. Nous ne le retrouverons que 4 ans plus tard, au Printemps 1943. À travers son cas nous avons la confirmation d’un usage curieux des belligérants des deux camps au cours de ce conflit mondial. Comme les soldats citoyens des cités antiques des servants portaient et briquaient les armes , aidaient les hoplites à s’équiper. Les armées modernes, elles, fourmillaient  de cuisiniers, de chauffeurs, infirmiers, porteurs de bidons de munitions, estafettes creuseurs de tranchées bâtisseurs de voies en bouleau dans les marécages, de chargés du ravitaillement en vivres et en munitions,estafettes, observateurs sous le feu de l’ennemi …etc….. La Wehrmacht en comptait un million. Du coté russe leurs propres civils , les milliers de prisonniers du Goulag jetés in extremis dans la fournaise aux portes de Moscou et ailleurs en faisaient office.

Comment , par quel hasard ou grâce à quelles protections , Yang a-t-il survécu ? On n’en sait rien .

Ce Coréens peut-il  être supposé parler le Japonais ? A-t-il trouvé quelqu’un pour l’entendre et comprendre qu’il n’était pas Japonais ? Parlait-il Mongol, ou Russe ? Où est-il passé de 1939 à 1943 ? A-t-il été réduit à la condition des autres prisonniers ? Il aurait donc échappé aux tueries du lac Ladoga , de la poche de Démiansk, à la boucherie de Stalingrad ? Nous le retrouvons au printemps 1943 dans la grande offensive droit devant , offensive à outrance ordonné par le Génial généralissime Père de tous les enseignements militaires, sur un axe Kharkov => Kiev. Désobéissant aux ordres obstinés de Hitler, il ne fut pas difficile à Manstein de concentrer à l’écart, au Sud de cette ruée, un groupe de blindés conséquent et dans une brusque attaque vers le Nord de couper en deux les masses russes désemparées. Au cours de ce qu’on appelle la troisième bataille de Kharkov la ville fut reprise et la Wehrmacht renoua avec les captures massives de soldats de l’Armée rouge.

Pendant des semaines j’ai pensé que la survie de Yang avait été due à une protection toute particulière de Jukov qui l’aurait pris à son servie personnel .Mais alors que faisait-il dans cette offensive mal préparée. Avait-il fâché son Maître ?

Toujours est-il que Yang fut capturé, comme Russe ? Comme Coréen ? Comme Japonais ?

Nous le retrouverons un an plus tard en Normandie sur les arrières des plages de UTAH beach portant l’uniforme de la Wechmacht et répondant à l’interrogatoire d’un soldat américain ( dans quelle langue?)

Né en 1920 à EUIJOO SINUIJU, au nord ouest de la Corée. , intégré en 1938 dans l’armée japonaise , il fut capturé comme soldat de l’armée rouge lors de la troisième bataille de Kharkov. On le retrouva sous l’uniforme de la Wehrmacht en juin 1944 au pied du Cotentin. Comme asiatique et présumé japonais il fut mis en détention en Grande Bretagne, d’où il émigra pour les USA . Il y mourut en 1992 en Illinois.

On peut estimer que le destin sournois qui l’a persécuté pendant des années lui a épargné de participer au conflit de Corée qui a ravagé son pays natal.

=========================

Ce blog prétend qu’il est retourné mourir en Corée

Au 6 juin 1944, on estime à 33 000 le nombre de Hiwis (auxiliaires volontaires) et d’Osttruppen en Normandie. Citons en quelques uns :
Ost-Bataillon561 (Russes) du III./920 Grenadier-Regiment de la 343.ID
Ost-Bataillons 795 et 797(Géorgiens) de la 709.ID
Ost-Bataillon 635 (Russes) de la 709.ID
Ost Bataillon 439 (Ukrainiens) du IV./726 Grenadier-Regiment de la 716.ID
Ost Bataillon 642 (Russes) du IV./736 Grenadier-Regiment de la 716.ID
Ost-Bataillon 441 (Ukrainiens) de la 716.ID
Ost-Bataillon 781 (Turkmènes) du I./731 Grenadier-Regiment de la 711.ID
liste non exhaustive

Ce livre m’a donné l’idée du Nartic


Lectures :9431
14 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments
Lapa
Administrateur
Lapa
15 avril 2013 13 h 03 min

Quel destin étonnant en tout cas.

Cosette
Cosette
15 avril 2013 19 h 20 min
Reply to  D. Furtif

Salut Furtif,

Ce récit m’a fait repenser au film Europa Europa de Agnieszka Holland, sorti en 1990. Le scénario est basé sur l’histoire de Solomon Perel, né en 1925 à Peine (Basse-Saxe) et lorsqu’il a 10 ans sa famille s’installe à Lodz. Il est capturé par une unité allemande et leur sert d’interprète russe/allemand.

Léon
Léon
16 avril 2013 8 h 44 min

C’est effectivement un bien étrange destin… Passionnant.

Léon
Léon
16 avril 2013 8 h 50 min

L’article me fait repenser à ceci: Slojénitsyne, dans « L’archipel du Goulag » considère la survie du régime soviétique après la déroute de 1941, comme la plus grande énigme historique, non résolue, du XXe siècle.

Cosette
Cosette
17 avril 2013 13 h 55 min

Je n’ai pas trouvé EUIJOO sur la carte.

« En 1945 la péninsule est libérée, mais pour soulager les Gi’s les Américains au Sud ont demandé l’aide des soviétiques au Nord… avec eux arrive Kim Il-Sung (1912-1994)héros de la résistance anti-japonaise… »
dans ce film-documentaire écrit et réalisé par Pierre-Olivier François (60minutes)

Cosette
Cosette
17 avril 2013 17 h 56 min

Etonnant!
Plus de mille photos de 1895-1905 ont été trouvées dans une benne à ordure. Le photographe pourrait être le châtelain de Villiers-de-Bâcle. (Le comte Eugène BIVER (1861-1929) et sa femme Marie-Hélène CAILLAT (1866-1938) y font valoir à partir de la ferme du Viviers contiguë, un vaste domaine agricole. Leur fille Marie-Hélène habitera le château jusqu’en 1985 -elle est inhumée avec ses parents au cimetière de Villiers où elle se rendait souvent par la petite porte du mur commun.)
C’est quand même pas l’actuel proprio de ce superbe château qui a jeté ces photos 😯

Cosette
Cosette
17 avril 2013 17 h 59 min
Reply to  Cosette

Oups! 😳 je chuis trompée d’endroit je pensais être au jardin reOups!