Dans l’épisode précédent, nous avons vu comment les langoustiers Cornouaillais, ont élargi leurs zones de pêche jusqu’en Mauritanie et le rôle majeur du capitaine Pernès dans le succès des campagnes Mauritaniennes. En 1914, la commercialisation de la langouste verte ne présente plus de difficultés. Plus d’une trentaine de dundees à viviers se rendent régulièrement sur les côtes du Rio de Oro et de Mauritanie pour des campagnes de pêche d’une durée de deux à trois mois. Leurs captures varient de cinq à douze tonnes par voyage, en fonction de la saison et de la capacité du vivier de chaque navire. Les salaires des marins sont à la hauteur de leurs peines.
En 1912, le capitaine Berrou à bord du Santez-Anna délaisse les filets trémails et embarque des filets droits. Après quelques adaptations, la technique de pêche est au point, elle sera adoptée par tous les langoustiers mauritaniens et ne variera plus.
Il est à noter qu’en 1913, le capitaine Bobinec fait route pour la Mauritanie à bord du Sainte Anne mais, une fois sur place, il décide de traverser l’Atlantique et s’en va prospecter dans les Antilles. Ce voyage est un échec et le Sainte Anne coulera lors du voyage de retour. Plus tard, d’autres s’en souviendront et reprendront la route qu’il avait ouverte.
Le déclenchement du premier conflit mondial met un coup d’arrêt aux activités des « Mauritaniens ». En 1917, les départs reprennent timidement et la situation se stabilise en 1922 qui voit 26 navires fréquenter les bancs du Rio de Oro et la côte du Cap Blanc contre 33 avant guerre.
Jusqu’à la seconde guerre mondiale, il y aura bien quelques tentatives encore pour trouver d’autres zones et en 1924 le capitaine François Pernès, à la barre de l’Avriot met le cap sur les Antilles. Après quelques mois, il revient avec 7 tonnes de langoustes roses qu’il aura toutes les misères du monde à commercialiser. Désormais la flottille concentre ses efforts sur la Mauritanie.
L’âge d’or
Peu à peu, les Camarétois et les Audiernais se détournent de ces lieux de pêche préférant se spécialiser sur la langouste rouge et la technique de pêche aux casiers. Ils explorent et exploitent d’autres zones comme le Maroc, la Méditerranée, l’Irlande et l’Ecosse. Ces deux derniers coins leur permettant d’ajouter le homard à leur tableau de chasse.
Les Concarnois et les Groisillons abandonnent cette pêche pour se spécialiser dans la pêche du thon germon dans le golfe de Gascogne en été et le chalutage du poisson de fond sur le plateau continental au large de la Bretagne et jusqu’en Irlande, en hiver.
La pêche à la verte devient une affaire exclusive des marins douarnenistes. Les campagnes de pêche se déroulent tout au long de l’année et durent entre 2 et 3 mois. Au terme de chaque voyage, le résultat de la vente de la pêche est partagé entre l’armement et l’équipage suivant le système de répartition dit « à la part de pêche ». Après quelques jours de repos, les marins réarment le navire et reprennent la mer. Le séjour à terre entre deux marées dure en moyenne trois semaines.
En 1933, M. Domenech de Celles, 17 ans, profite de longues vacances scolaires pour embarquer sur le Belle Bretagne, capitaine Baptiste Fiacre. Cinquante-cinq ans plus tard, il en donne un témoignage détaillé et passionnant :
« Dans ma jeunesse, j’ai été amené à faire pendant trois mois une campagne de pêche à la langouste sur les côtes de Mauritanie… »
En 1928, vingt-cinq bateaux débarquaient 220 tonnes de vertes à Douarnenez. En 1951, 361 tonnes sont livrées représentant 2% du tonnage mais 16% de la valeur des produits de la mer commercialisés dans ce port. Le faible pourcentage en tonnage s’explique par l’apparition de nouveaux métiers comme la palangre qui permet des tonnages importants mais de faibles valeurs.
Au niveau économique, le développement de cette pêcherie dynamise l’activité de ces quartiers maritimes :
Soit directement, de nombreux emplois de marins qualifiés sont créés avec des niveaux de salaires jamais atteints.
Soit indirectement, à terre les besoins en services et infrastructures augmentent, de nouvelles activités apparaissent.
La construction et le renouvellement continu de la flottille, avec des navires de plus en plus grands jusqu’ à 35 mètres, assurent des milliers d’heures de travail aux charpentiers de marine, aux forgerons, calfats… Les chantiers de construction navale tournent à plein.
La motorisation progressive des bateaux assure l’avenir des ateliers de mécanique marine qui commencent à s’installer.
Les différentes taxes, de port ou autres, financent les infrastructures.
Pour construire leurs bateaux les capitaines font appel à des quirataires. Les commerçants prennent des parts dans les bateaux.
Même les différents corps de métiers du bâtiment y trouvent leur compte et du boucher au paysan chacun en profite.
A cette époque, il est communément admis qu’un emploi de marin induit cinq emplois à terre.
En 1960, le port de Douarnenez arme 70 navires à la pêche en Mauritanie.
Le déclin et la fin de la verte
A la fin des années 50, la concurrence des queues de langoustes congelées en provenance du Cap portent un préjudice sérieux aux « mauritaniens ». Sur les côtes du Rio de Oro, les rendements diminuent et en 1960 la Mauritanie accède à l’indépendance.
La zone de pêche des langoustes vertes passe sous juridiction de la République Islamique de Mauritanie et par ce fait la flottille n’y a plus accès. Les langoustiers désarment.
Au début des années 60, une dizaine langoustiers obtient une licence de pêche et reprend la route du Cap blanc mais les temps ont changé. Le métier n’intéresse plus les jeunes marins qui ont trouvé mieux ailleurs. Le prix des licences devient de plus en plus élevé. Les financements se tarissent, le système bancaire, et notamment le Crédit Maritime, sont devenus incontournables et en 1970 les derniers « mauritaniens » à la verte jettent l’éponge.
Un seul tentera de poursuivre l’aventure. Toujours en 1970, l’ Ar Bec, capitaine Eugène Kernaléguen, passe sous pavillon de la RIM, l’équipage breton est remplacé par des marins du cru mais les savoir faire ne sont pas là et après une brève tentative sur la langouste rose avec un bateau inadapté, l’Ar Bec désarme définitivement en 1975.
Ainsi s’achève l’épopée de la pêche à la langouste verte en Mauritanie. Ce n’est pourtant pas la fin de la pêche à la langouste en Mauritanie. En effet, dans le milieu des années 50, les Camarétois, cette fois-ci, sont à l’origine d’une révolution. Ils reviennent dans les parages du banc d’Arguin avec d’autres techniques de pêche, des navires différents. Ils ciblent la langouste rose, finis les dundees place aux chalutiers-caseyeurs. Les douarnenistes, obnubilés par la verte, installés dans leurs habitudes, n’ont pas vu venir le coup mais ils vont se rattraper grâce à une jeune génération de capitaines qui s’est formée aux nouvelles techniques auprès de leur collègues de Concarneau.
La rémunération à la part
Dans ce système de répartition des produits de la pêche, il n’y a pas de part fixe ni de minimum garanti. Le marin est rémunéré uniquement sur les bénéfices.
Pas de bénéfices ? Pas de salaires ! Déficit ? Le marin assume sur ses fonds propres sa part du déficit. Ce système peut amener à des salaires négatifs.
Sans entrer dans les détails en voici le principe :
Au neuvage du bateau ou lors de changements des conditions d’exploitation de celui-ci, l’armateur fixe une clé de répartition des produits de la vente, par exemple 60/40. C’est à dire que 60% de la vente nette vont à l’armateur et les 40% restants sont partagés entre les membres de l’équipage.
Les 40% qui reviennent à l’équipage sont divisés en parts. A chaque fonction à bord correspond un nombre de parts. Exemple :
- Capitaine : 1,5 parts
- Mécanicien : 1,5 parts
- Deux matelots : 2 parts
Le total des parts est donc de : 1.5+1.5+1+1 = 5.
Le montant de la part est obtenu en divisant les 40% de la vente nette par le nombre de parts attribuées.
Exemple chiffré :
Un navire vend pour 1200, c’est la vente brute
Les frais communs (frais de criée, carburant, nourriture, matériel…) s’élèvent à 200
La vente nette est de : 1200 – 200 = 1000
La part armement : 60% de 1000 = 600
La part équipage : 40% de 1000 = 400
La part de pêche vaut : 400 / 5 = 80
Le capitaine* et le mécanicien reçoivent chacun 1,5 parts : 80 * 1,5 = 120
Chaque matelot reçoit une part : 80
Attention, les 60% dévolus à l’armement ne sont pas un bénéfice net.
* Le capitaine, responsable de la réussite de l’expédition maritime, perçoit jusqu’à 3 parts ou plus, en fonction de ses résultats. Les parts supplémentaires qui lui sont versées sont prélevées sur la part armement.
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Sources :
Je n’avais pas lu le premier chapitre, c’est chose faite.
Merci pour ces évocations.
Ifremer et Orstom sont des noms qui me ramènent 16 ans en arrière, à Tahiti…pfff, le temps file.
Bonjour castor et merci,
les langoustes de Tahiti sont de quelle couleur ?
Couleur langouste, il me semble, sauf peut-être à Moruroa !
J’avoue avoir été interpellé par la couleur verte que vous évoquez.
Couleur langouste, oui évidemment ! mais où avais-je donc la tête ? 😉
Bien documenté , très joli récit . Compréhensible et concis .
Pédagogique à donf .
Quirataire , non , très réussi !
Bravo .
Je donne pas ma langouste au chat .
Bonjour rocla et merci.
Bonjour tout le monde,
Quelques liens en complément :
– la différence entre filets droits et trémails
– La palangre
– quirataires et quirats
Bon, je déconne mais je n’ai jamais vu de langouste autrement que rouge écarlate, posée à côté de quelques crudités.
Quant à son régime alimentaire, et après étude régulière de son environnement immédiat, j’en ai rapidement déduit qu’elle se nourrissait de mayonnaise et de vin blanc.
Mais je peux me tromper.
Marrant, ça, mais j’en étais arrivé exactement aux mêmes conclusions que Castor.
A part ça, encore un article bien intéressant… On en veut encore !
Ah je suis saisi d’un doute affreux. Car j’avais remarqué que la langouste laissée seule en profitait pour brouter lâchement les feuilles de salade les plus appétissantes. J’ai dû confusionner.
Blague à part, merci à Xavier pour son article sur un sujet méconnu.
Philippe,
j’ai eu ce même doute au début de mes recherches, car la proximité de la feuille de salade pouvait laisser à penser que…
Mais j’en suis vite venu à considérer qu’il s’agissait là du milieu naturel dans lequel elle évolue (comme la jambon de Paris, d’ailleurs) et se cache du prédateur.
J’en veux pour preuve le fait que plus la langouste est grosse (et donc capable de se défendre), moins il y a de feuilles de salade dans l’assiette.
Judicieuse réflexion.
Il reste beaucoup à apprendre sur la langouste, notamment en se livrant à des recherches approfondies avec un de nos sens les plus efficaces: le goût.
Toujours très intéressant. Et ça prolonge un peu en biais le souvenir du baroudeur des mers et d’ailleurs Giraudeau qui est parti à la pêche aux anges ou à rien… En tout cas, pas grand-chose à voir avec la néo-pêche vacancière dans ce coin, et encore moins avec ça, et ça aussi bien qu’il soit toujours question de poissons…
Souvenir de pêche…
Le premier poisson que j’ai pêché à Bora était celui-ci.
Je logeais heureusement chez ce monsieur, qui s’est copieusement marré en voyant ma mine fière, ce poisson au bout de ma flèche.
J’avais bataillé une heure pour sortir ce bestiau de son rocher…pour, sur son ordre, le rejeter au lagon…
Il s’agit du Fugu qui aurait pu briser net mon expérience d’autosuffisance !
Je me suis heureusement rattrapé ensuite avec ça, cuisiné comme ça, puis avec quelques autres poissons, cuisinés comme ça…
J’ai eu à l’école primaire , une petite copine pleine de taches de rousseur. Je ne la savais pas Mauritanienne
Je fais un bref salut à l’auteur entre les bagages pour mon départ demain matin. Son article est excellent. Sur sa question sur le fil précédent, je regarderai le passage de 20 000 lieues sous les mers, je reviens lundi soir chez moi et ça ne devrait pas être trop long.