Violes de gambe, viole d’amour.

Lorsque l’on observe l’histoire des instruments de musique et plus particulièrement de cette famille de cordophones, on est confronté à quelque chose qui ressemble un peu à l’évolution animale, presque avec le même moteur : l’adaptation à l’environnement. Sauf qu’ici, il s’agit de l’environnement économique et social.
image ci-dessous trouvée sur le site : http://www.france-orpheon.org/

À  partir de modèles populaires, au cours du XVIe siècle, un groupe d’instruments basé sur le principe de cordes tendues sur une caisse, avec un manche, et mis en action par un archet, va voir le jour. Ils porteront l’appellation générique de « violes », mais se diviseront en deux familles qui coexisteront jusqu’au XVIIIe siècle : les violes « de gambe », ( « de jambe ») et les violes « à bras », c’est à dire tenues, pour les premières, verticalement entre les jambes, et tenues horizontalement sur les bras, pour les secondes. Les premières conserveront l’appellation de violes, et les deuxièmes donneront naissance à la famille dite du « quatuor », c’est à dire violon, alto, violoncelle (quatuor parce qu’on compte  2 violons).  La contrebasse est d’une construction différente et spécifique. Mentionnons tout de même qu’il a fallu près d’un siècle pour que l’on en arrive à cette rationalisation autour de quatre instruments seulement, en y incluant ou ajoutant plus tard la contrebasse. Les violons ont commencé par être de toutes tailles et de toutes tessitures, on en a compté au moins autant que de violes . Mais ce serait une erreur de voir dans la viole l’ancêtre du violon, les deux familles d’instruments sont apparues à peu près en même temps et ont longtemps coexisté.

Il faut savoir que la tenue du violon sous le menton est tardive, et jusqu’au XIXe siècle on le tenait posé sur l’avant-bras à moitié replié, comme encore parfois aujourd’hui en folk-music, quelquefois appuyé contre la poitrine ou l’épaule. C’était le cas du violon dit « baroque » dont la construction en porte la trace, avec notamment un angle  entre le manche et la caisse plus plat que sur le violon « moderne ». ( L’angle plus accentué a d’autres avantages, sur lesquels on ne s’étendra pas, notamment une pression plus forte exercée sur la table).

Sur cette gravure de 1688 le violon est appuyé contre l'épaule

Les violes de gambe ont été déclinées en plusieurs tessitures et plusieurs tailles. On en a dénombré jusqu’à sept, mais les plus courantes étaient au nombre de quatre.

Elles s’appelaient généralement  : violone (grande basse ou contrebasse de viole), basse de viole, viole ténor, dessus de viole.

Lorsque les instruments du quatuor vont, au cours du XVIIIe siècle supplanter les violes, l’instrument ténor de cette famille continuera à être utilisé pendant quelques temps, avant d’être définitivement remplacé par le violoncelle. Durant cette période, restant l’unique représentant de cette famille, il sera le seul à garder l’appellation de « viole de gambe »au sens strict, qu’il gardera jusqu’à nos jours

Les différences entre les violes et les violons ne résident pas seulement dans la manière de les tenir, elles sont nombreuses :

Les violons ont un fond et une table bombés, alors que le fond est plat sur la viole et la forme de la liaison entre le manche et la caisse est différente, plus progressive sur la viole.

  • Il y a quatre cordes sur les instruments du quatuor, six sur les violes (cinq pour le pardessus de viole, une septième a été rajoutée par le célèbre Marin Marais à la basse de viole ).
  • Le manche des violes comporte des frettes, des cases que n’ont pas les violons. ( Les frettes sont des petites barres perpendiculaires au manche, en boyau puis en métal qui délimitent une case de telle manière que le musicien en appuyant à n’importe quel endroit de celle-ci obtienne une note juste.)
  • L’archet est différent et n’est pas tenu de la même manière. Pour les violes, il est courbé dans le sens d’un arc par rapport à la mèche; pour le violon il deviendra recourbé dans l’autre sens au cours du XVIIIe siècle, très exactement à partir de 1775. L’archet de la viole est tenu main au-dessous de la baguette, pouce au-dessus, c’est l’inverse pour le violon. Enfin, il n’y a pas de hausse sur l’archet de la viole pour tendre la mèche de crin, ce sont les doigts de l’instrumentiste qui font ce travail. A noter que sur le violon baroque, l’archet qui est déjà muni d’un vis pour tendre le crin, le courbe dans le sens d’un arc comme pour la viole.

Voici une vidéo (en Anglais, hélas), qui montre précisément les différences de construction entre le violoncelle et le viole de gambe.

La tradition veut que le violon ait été inventé par le luthier de Cremone, Andrea Amati, aux alentours de 1560. Aux dernières nouvelles, ce ne serait pas aussi simple, plusieurs luthiers travaillaient à la même époque dans le même sens. Mais ce sont deux des apprentis de son petit-fils, Nicola Amati, (grand luthier lui-même), Antonio Stradivari et Andrea Garneri qui deviendront les luthiers les plus célèbres du monde, fondant, pour le deuxième, une véritable dynastie.
Il semble établi également que c’est Antonio Stradivari, devenu « Stradivarius » qui, après de nombreux essais, va fixer, et malgré quelques tentatives sans lendemain d’autres luthiers tout au long du XIXe et du XXe siècle, les caractéristiques définitives de cet instrument, tout en rappelant que violes et violons vont cohabiter jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, (et même au-delà pour l’instrument ténor, comme cela a été indiqué plus haut).

Du point de vue de leur efficacité, les violes de gambe présentent une différence très importante par rapport aux violons : ce sont des instruments beaucoup moins puissants… Aussi les violons, d’abord réservés aux ambiances bruyantes (fêtes, bals..), ont été considérés longtemps comme des instruments vulgaires et criards, par opposition aux violes qui étaient les instruments aristocratiques par excellence. Au point, d’ailleurs, que la création du pardessus de viole, la viole la plus aiguë, vers la fin du XVIIIe siècle, a eu pour but de permettre aux aristocrates de jouer le répertoire du violon….

Un prélude de Purcell joué sur pardessus de viole:

Une grande transformation économique et sociale s’accomplit à la fin du XVIIIe siècle : le public aristocratique d’invités qui fréquentait les palais où avaient lieu les concerts, est remplacé par un public roturier éclairé, beaucoup plus nombreux, qui paye sa place pour assister à des concerts dans des salles publiques de plus en plus grandes. La recherche de la puissance sonore des instruments de musique deviendra une véritable obsession des fabricants, luthiers et facteurs. Travaillant désormais pour un marché indéterminé de mélomanes, tous les intervenants, éditeurs, compositeurs, propriétaires de salles, entrepreneurs de spectacles, deviennent intéressés à augmenter le nombre de spectateurs en maîtrisant les coûts et en évitant de multiplier le nombre de musiciens qu’il faut payer. Ils seront donc très demandeurs d’instruments nouveaux, plus puissants, permettant de l’éviter en partie…

Tous ceux qui ont approché des instruments de musique Renaissance ou baroques sont frappés de leur faible volume sonore. Le violon fait figure d’exception : il fait un boucan de tous les diables, surtout comparé aux autres. Il n’est pas étonnant donc que cette famille d’instruments ait remplacé les violes, pourtant si agréables à l’oreille. On appréciera leur son si droit, sans ce vibrato qui pourrit toujours un peu la justesse mélodique et harmonique des instruments du quatuor…

La beauté de cet instrument est stupéfiante. Voici la si belle « Rêveuse » de Marin Marais, accompagnée au clavecin.

Un mot sur un instrument un peu à part : la viole d’amour.

Ce terme « amour » accolé à certains instruments baroques a une origine et une signification très peu claires. Si l’on s’en tient à la définition de l’encyclopédie de Diderot, cela désignerait des instruments qui seraient accordés plus bas, une tierce, que les instruments « normaux ». Mais Diderot de préciser que ce n’est pas toujours le cas…

La viole d’amour est une instrument tout à fait particulier en ce qu’il comporte des cordes sympathiques, et c’est le seul instrument occidental vraiment dans ce cas.

Elle a à peu près la taille d’un alto, un fond  plat comme toutes les violes, sept cordes de jeu en boyau et, en principe, sept cordes sympathiques en laiton qui passent à l’intérieur du manche, qui est creux et par des trous dans le chevalet, sous les cordes de jeu. Mais dans des versions dites « violettes anglaises » il pouvait y avoir jusqu’à onze ou quatorze cordes sympathiques. Elle est la seule viole tenue « à bras » comme les violons, et à ne pas avoir de frettes.

Vue des cordes de jeu et des cordes sympathiques.

Ces cordes dites « sympathiques » très fréquentes sur certains instruments indiens, notamment le sitar, ont la particularité d’entrer en résonance avec les cordes jouées et leurs harmoniques, créant une sorte de halo sonore autour du son principal, proche de l’effet de réverbération (pour donner une idée…). En réalité toutes les cordes d’un instrument à cordes sont susceptibles d’entrer ainsi plus ou moins en résonance, il est très facile de l’observer sur un piano en frappant une note, pédale forte appuyée. L’originalité ici, est qu’il y a des cordes, très distendues, qui ne servent qu’à cela et qui ne peuvent être jouées compte tenu de leur disposition.

Cet instrument discret dont on disait qu’il imitait le mieux les intonations de la voix humaine a eu beaucoup de succès au cours du XVIIIe siècle, pour être finalement abandonné comme toutes les autres violes. Les instrumentistes contemporains qui en jouent se plaignent que ce soit un instrument très difficile à accorder : lorsque l’on a fini de régler les cordes de jeu, puis les sympathiques, en général les premières que l’on a accordées sont devenues fausses et il faut tout recommencer…

Outre leur sonorité on observera les magnifiques lutheries ouvragées de ces instruments, notamment des têtes de manche qui représentaient généralement des figures de femmes.

trouvé sur http://www.france-orpheon.org/

Voilà, écouter du Tartini, m’avait envie de retrouver ce vieil article, écrit à l’époque pour Maboulvox, de le modifier un peu et de lui trouver des illustrations nouvelles.

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5 Commentaires
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Léon
Léon
8 octobre 2012 9 h 59 min

Du coup,vous l’avez sans doute constaté, j’ai mis deux morceaux d’Abel pour viole de gambe, accessibles par la vignette.

nogat
nogat
8 octobre 2012 10 h 03 min

Très intéressant.

Lapa
Administrateur
Lapa
8 octobre 2012 10 h 52 min

très intéressant oui. il y a une part de la théorie de l’évolution dans les instruments de musique. Les instruments trop complexes; trop longs à accorder, ou qui ne sont plus adapté à leur milieu tendent à disparaître. On peut se réjouir du retour de ces pratiques d’instruments anciens qui élargissent ainsi notre univers musical.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
10 octobre 2012 15 h 42 min

Je confesse que Monsieur Jordi Savall m’a fait vivre de grands moments.Il m’a conduit à lire un livre dont j’ai tiré cette pépite.
 » Tous les matins du monde sont sans retour »
….
En plus je vous joins en contrefaisant mon sentencieux fourgueur de liens, une heure de master class que je n’ai pas regardée ni écoutée .
J’suis occupé à aut’chose

……….
.
38′ et suivantes =>Le Canarios…

ranta
ranta
11 octobre 2012 22 h 10 min

Dans mon disque sur six pièces j’ai cinq accordages différents qu’elle dit la dame ! et je dois beaucoup réfléchir 😯 😯 Tu parles,beaucoup c’est certainement encore trop peu pour avoir une idée de ce que ça représente.