Jardins en Italie par George Sand

Vendredi 14 Septembre

En musardant comme tous les matins , une fois lue la presse et ses platitudes , j’ai rencontré ça.Une réflexion menée par George Sand sur le goût et les modes et quelques réflexions sur les jardin en Italie.

(VI) LES JARDINS EN ITALIE

Depuis cent ans, les voyageurs en Italie ont jeté sur le papier et semé sur leur route beaucoup de malédictions contre le mauvais goût des villégiatures17. Le président de Brosses était, lui, un homme de goût, et nul, dans son temps, n’a mieux apprécié le beau classique, nul ne s’est plus gaiement moqué du rococo italien et des grotesques modernes mêlés partout aux élégances de la statuaire antique. Sur la foi de ce spirituel voyageur, bon nombre de touristes se croient obligés, encore aujourd’hui, de mépriser ces fantaisies de l’autre siècle avec une rigueur un peu pédantesque.

Tout est mode dans l’appréciation que l’on a du passé comme dans les créations où le présent s’essaie, et, après avoir bien crié, sous l’Empire et la Restauration, contre les chinoiseries du temps de Louis XV, nous voilà aussi dégoûtés du grec et du romain que du gothique de la Restauration! C’est que tout cela était du faux antique et du faux moyen âge, et que toute froide et infidèle imitation est stérile dans les arts. Mais, en général, les artistes ont fait ce progrès réel de ne pas s’engouer exclusivement d’une époque donnée, et de s’identifier complaisamment au génie ou à la fantaisie de tous les temps. La complaisance de l’esprit est toujours une chose fort sage et bien entendue, car on se prive de beaucoup de jouissances en décrétant qu’un seul genre de jouissance est admissible à la raison.

Parmi ces fantaisies du commencement du dernier siècle que stigmatisaient déjà les puristes venus de France trente ou quarante ans plus tard, il en est effectivement de fort laides dans leur détail: mais l’ensemble en est presque toujours agréable, coquet et amusant pour les yeux. **C’est dans leurs jardins surtout que les seigneurs italiens déployaient ces richesses d’invention puériles que l’on ne voit pourtant pas disparaître sans regret:

Les grandes girandes, ( girandes = girandoles) immenses constructions de lave, de mosaïque et de ciment, qui, du haut d’une montagne, font descendre en mille cascades tournantes et jaillissantes les eaux d’un torrent jusqu’au seuil d’un manoir;

Les grandes cours intérieures, sortes de musées de campagne, où, à côté d’une vasque sortie des villas de Tibère, grimace un triton du temps de Louis XIV, et où la madone sourit dans sa chapelle entourée de faunes et de dryades mythologiques;

Le labyrinthe d’escaliers splendides dans le goût de Watteau, qui semblent destinés à quelque cérémonie de peuples triomphants, et qui conduisent à une maisonnette étonnée et honteuse de son gigantesque piédestal, ou tout bonnement à une plate-bande de tulipes très-communes;

Les tapis de parterre, ouvrage de patience, qui consiste à dessiner sur le papier le pavé d’une vaste cour ou sur les immenses terrasses d’un jardin, des arabesques, des dessins de tenture, et surtout des armoiries de famille, avec des compartiments de fleurs, de plantes basses, de marbre, de faïence, d’ardoise et de brique;

Les concerts hydrauliques, où des personnages en pierre et en bronze jouent de divers instruments mus par les eaux des girandes;

Enfin les grottes de coquillages, les châteaux sarrasins en ruine, les jardiniers de granit, et mille autres drôleries qui font rire par la pensée qu’elles ont fait rire de bonne foi une génération plus naïve que la nôtre.**

( Avez-vous remarqué que George bien avant Marcel nous fait une phrase à tiroirs entre les deux ** allant de [ C’est dans leurs jardins surtout que les seigneurs italiens…] à [ …une génération plus naïve que la nôtre;] J’en ai copié le texte tel quel dans la forme d’édition choisie par le site cité plus bas. George Sand évoque-t-elle le Bosquet de la Girandole à Versailles  dont elle n’a dû jamais voir les eaux, des candélabres ou des bijoux en girandoles? Qui saura?)

Les plus belles girandes de la campagne de Rome sont à Frascati, dans les jardins de la villa Aldobrandini. Ces jardins ont été dessinés et ornés par Fontana, dans les flancs d’une montagne admirablement plantée et arrosée d’eaux vives. Dans un coin du parc, on s’est imaginé de creuser le roc en forme de mascaron, et de faire de la bouche de ce Polyphème une caverne où plusieurs personnes peuvent se mettre à l’abri. Les branches pendantes et les plantes parasites se sont chargées d’orner de barbe et de sourcils cette face fantastique reflétée dans un bassin.

A la Rufinella (ou villa Tusculana), une autre fantaisie échappe au crayon par son étendue; c’est une rapide montée d’un kilomètre de chemin, plantée d’inscriptions monumentales en buis taillé. Et, chose étrange, sur cette terre papale dans la liste de cent noms illustres, choisis avec amour, on voit ceux de Voltaire et de Rousseau verdoyer sur la montagne, entretenus et tondus avec le même soin que ceux des écrivains orthodoxes et des poètes sacrés. Je soupçonne que cette galerie herbagère a été composée par Lucien Bonaparte, autrefois propriétaire de la villa. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle a été respectée par les jésuites, possesseurs, après lui, de cette résidence pittoresque, et qu’elle l’est encore par la reine de Sardaigne, aujourd’hui propriétaire.

En résumé, la vétusté de ces décorations princières, et l’état d’abandon où on les voit maintenant, leur prête un grand charme, et, de bouffonnes, toutes ces allégories, toutes ces surprises, toutes ces gaietés d’un autre temps, sont devenues mélancoliques et quasi austères. Le lierre embrasse souvent d’informes débris que l’on pourrait attribuer à des âges plus reculés; les racines des arbres centenaires soulèvent les marbres, et partout les eaux cristallines, restées seules vivantes et actives, s’échappent de leur prison de pierre pour chanter leur éternelle jeunesse sur ces ruines qu’un jour a vues naître et passer.

Note 17: Un de nos amis n’aime pas cette expression, qui était familière à Érasme. Nous le prions toutefois de considérer que c’est ici le mot propre et qu’il ne serait même pas remplacé par une périphrase. On entend par villégiature à la fois le plaisir dont on jouit dans les maisons de campagne italiennes, la temps que l’on y passe, et, par extension, ces villas elles-mêmes avec leurs dépendances.

http://www.gutenberg.org/files/13198/13198-h/13198-h.htm NOUVELLES LETTRES D’UN VOYAGEUR par GEORGE SAND (1877)

George Sand quelques années plus tôt était à Rome.Vous retrouverez l’intégralité du texte dans le recueil à l’adresse ci-dessus.Cette fois là , elle nous parle du jardin de la Villa Phamphili

(I) LA VILLA PAMPHILI

A***

Rome, 25 mars 185…

La villa Pamphili n’a pas été abîmée dans les derniers événements, comme on l’a dit. Ni Garibaldi, ni les Français n’y ont laissé de traces de dévastation sérieuse. ( C’est à la recherche de ces dévastations que j’ai rencontré ces lettres de George) Ses pins gigantesques sont, en grande partie,( encore debout. Elle est bien plus menacée de périr par l’abandon que par la guerre, car elle porte l’empreinte de cette indifférence et de ce dégoût qui sont, à ce que l’on me dit, le cachet général de toutes les habitations princières de la ville et des environs.

C’est un bel endroit, une vue magnifique sur Rome, l’Agro-Romano et la mer.

( Pour qu’elle vît la mer il aurait fallu qu’elle connût le concierge de la villa, villa funèbre de tous ses délabrements, qu’elle se fît ouvrir par ce dernier , qu’elle s’engageât accompagné du Cerbère dans les couloirs sombres et gravît les escaliers délabrés, pour qu’enfin sur le toit éblouis par la lumière, ils contemplassent la campagne vers l’ouest et aperçussent au loin la mer.Encore eut-il fallu que la chape de poussière et de brume fût, par exception , chassée par le vent.)

De petites collines un peu plantées, chose rare ici, font un premier plan agréable. Le palais est encore de ceux qui résolvent le problème d’être très-vastes à l’intérieur et très-petits d’aspect extérieur.

En général, tout me paraît trop petit ou trop grand, depuis que je suis à Rome. Quant à la végétation, cela est certain, les arbres de nos climats y sont pauvres, et les essences intermédiaires n’y atteignent pas la santé et l’ampleur qu’elles ont dans nos campagnes et dans nos jardins.

En revanche, les plantes indigènes sont d’une taille démesurée, et le même contraste pénible que l’on remarque dans les édifices se fait sentir dans la nature. On dirait que cette dernière est aristocrate comme la société et qu’elle ne veut pas souffrir de milieu entre les géants et les pygmées, sur cette terre de la papauté. Ces ruines de la ville des empereurs au milieu des petites bâtisses de la ville moderne, et ces énormes pins d’Italie au milieu des humbles bosquets et des courts buissons de la villégiature, me font l’effet de magnifiques cardinaux entourés de misérables capucins. Et puis, quels que soient les repoussoirs, il y a un manque constant de proportion entre eux et l’arène désolée qu’ils dominent. Cette campagne de Rome, vue de haut et terminée par une autre immensité, la mer, est effrayante d’étendue et de nudité.

[…………………]

Je vous entends d’ici. Permettez-moi de ne pas vous répondre encore. Nous sommes à la villa Pamphili, dans la région des fleurs. Oh! ici, les fleurs se plaisent; ici, elles jonchent littéralement le sol, aussitôt qu’un peu de culture remue cette terre excellente abandonnée de l’homme. Dans les champs, autour des bassins, sur les revers des fossés, partout où elles peuvent trouver un peu de nourriture assainie par la pioche, les fleurs sauvages s’en donnent à coeur-joie et prennent des ébats ravissants. A la villa Pamphili, une vaste prairie est diaprée d’anémones de toutes couleurs. Je ne sais quelle tradition attribue ce semis d’anémones à la Béatrix Cenci. Je ne vous oblige pas d’y croire. Dans nos pays de la Gaule, les traditions ont de la valeur. Nos paysans ne sont pas gascons, même en Gascogne. Ils répètent naïvement, sans le comprendre, et par conséquent sans le commenter, ce que leur ont conté leurs aïeux. Ici, tout prolétaire est cicérone, c’est-à-dire résolu à vous conter des merveilles pour vous amuser et vous faire payer ses frais d’imagination. Il y a donc à se métier beaucoup. M. B…, jadis à la recherche de la fontaine Égérie, prétend qu’en un seul jour, on lui en a montré dix-sept.

Il y a à Pamphili d’assez belles eaux, des grottes, des cascades, des lacs et des rivières. C’est grand pour un jardin particulier, et le rococo, dont je ne suis pas du tout l’ennemi, y est plus agréable que ce qui nous en reste en France. C’est plus franchement adopté, et ils ont employé pour leurs rocailles des échantillons minéralogiques d’une grande beauté. Tivoli et la Solfatare qui l’avoisine ont fourni des pétrifications curieuses et des débris volcaniques superbes à toutes les villas de la contrée. Ces fragments étranges, couverts de plantes grimpantes, de folles herbes, et de murmurantes eaux, sont très-amusants à regarder, je vous assure.

[………..]

En quittant le parc pour voir les jardins, je fus frappé pourtant de l’activité déployée par un vieux jardinier pour la réparation d’un singulier objet de goût horticole. Je n’ai jamais vu rien de semblable. On me dit que c’est usité dans plusieurs villas et que cela date de la renaissance. J’aurai de la peine à vous expliquer ce que c’est. Figurez-vous un tapis à dessins gigantesques et à couleurs voyantes, étendu sur une terrasse qui tient tout le flanc d’une colline sous les fenêtres du palais. Les dessins sont jolis: ce sont des armoiries de famille, entourées de guirlandes, de noeuds entrelacés, de palmes, de chiffres, de couronnes, de croix et de bouquets. L’ensemble en est riche et les couleurs en sont vives. Mais qu’est-ce que cette mosaïque colossale, ou ce tapis fantastique étalé, en plein air, sur une si vaste esplanade? Il faut en approcher pour le comprendre. C’est un parterre de plantes basses, entrecoupé de petits sentiers de marbre, de faïence, d’ardoise ou de brique, le tout cassé en menus morceaux et semé comme des dragées sur un surtout de table du temps de Louis XV; mais on ne marche pas dans ces sentiers, je pense, car ils sont trop durement cailloutés pour des pieds aristocratiques et trop étroits pour des personnes d’importance. Cela ne sert uniquement qu’à réjouir la vue et absorbe toute la vie d’un jardinier émérite. Les compartiments de chaque écusson ou rosace sont en fleurs faisant touffe basse et drue. Les plantes de la campagne y sont admises, pourvu qu’elles donnent le ton dont on a besoin. Une petite bordure de buis nain ou de myrte, taillée bien court, serpente autour de chaque détail: c’est d’un effet bizarre et minutieux; c’est un ouvrage de patience, et toute la symétrie, toute la recherche, toute la propreté dont les Romains de nos jours sont susceptibles, paraissent s’être réfugiées et concentrées dans l’entretien de cette ornementation végétale et gymnoplastique.

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Texte en extraits de George Sand

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11 Commentaires
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Léon
Léon
17 septembre 2012 18 h 27 min

Magnifiques textes, qui donnent bien envie de voyager. IL y a c’est sûr, dans le jardin, quelque chose du plus intime, plus que la chambre à coucher ou un salon.

Léon
Léon
17 septembre 2012 18 h 31 min

Les correspondances des ces écrivains sont bien intéressantes. Celles de musiciens aussi, même si la qualité littéraire n’est pas aussi bonne. Si j’avais un bouquin à offrir à Lapa, ce serait la correspondance entre Liszt et Wagner. Celle de Berlioz, aussi est intéressante.

Causette
Causette
17 septembre 2012 23 h 56 min

Mais c’est qui Marcel? 😳 la teuhon! à part La mare au diable et Les beaux messieurs du bois doré (que j’ai lu quand j’étais gamine), je ne connais pratiquement rien de George Sand, baronne Dudevant. T’as bien fait de me le rappeler 💡

Causette
Causette
18 septembre 2012 0 h 01 min
Reply to  Causette

J’en suis à ( Avez-vous remarqué que George bien avant Marcel …). Allez j’y retourne. On a pas grand-chose pour girandes / girandoles? J’ai trouvé Bassin de la Girandole pierres en cascades?

Causette
Causette
18 septembre 2012 0 h 59 min
Reply to  D. Furtif

aH! oui! Marcel! suis-je bête? 🙄 pareil que pour George 🙄

Bon là je me suis arrêté à L’expédition française, dans Le cimetière de Prague, Umberto Eco en parle.

Causette
Causette
20 septembre 2012 16 h 11 min

C’est intéressant à lire pour comprendre l’époque de George

J’avais rencontré cette Béatrix Cenci au cours de mes lectures
…les biens furent confisqués au profit de la famille du pape. On comprend mieux d’où vient l’immense patrimoine (immobiliers et autres) du Vatican. Dans la version anglaise un lien: liste des personnes exécutées par le saint-siège

..mais on ne marche pas dans ces sentiers, je pense, car ils sont trop durement cailloutés pour des pieds aristocratiques et trop étroits pour des personnes d’importance. Y connaissaient pas l’vieux campeur 😆