Je n’ai pas lu cet » Eloge littéraire d’Anders Breivik » de Richard Millet qui fait scandale et je n’ai aucune envie de le lire; mais je suis tout de même étonné par bon nombre de réactions. Certaines sont dignes de l’URSS des années 30, d’autres comme la tribune de Jean-Marie Le Clezio dans le nouvel Observateur sont étonnantes.
S’il est exact que le livre de Millet soit une apologie de Breivik, c’est effectivement répugnant et le meilleur sort que l’on puisse lui réserver est de l’ignorer… Mais on est quand même un poil agacé car visiblement, si l’on en croit par exemple Pierre Jourde, il se pourrait que la plupart de ceux qui tombent à bras raccourcis sur le livre de Millet, n’en auraient lu… que le titre ! On peut parier que c’est le cas de la plupart des 119 écrivains ( !) qui ont signé la lettre d’Annie Ernaux publiée dans le Monde dont on dira un mot aussi.
Il est bien possible que son » Eloge littéraire d’Anders Breivik » soit effectivement une saloperie destinée à faire mousser son auteur, mais peu importe, au fond, car le débat ne porte plus sur ce texte lui-même mais sur les questions qu’il semble aborder, à savoir la multiculturalisme et ce que l’on a pris l’habitude d’appeler « islamophobie », qui constituent l’essentiel de la tribune de Le Clezio et un point important de la lettre d’Annie Ernaux.
Je cite d’abord Le Clezio :
« Ces thèmes courent à nouveau, de moins en moins à couvert: le visage de l’antisémitisme est aujourd’hui celui de l’islamophobie, la propagande utilise les mêmes termes, les mêmes slogans, les mêmes obsessions: l’invasion des étrangers, la perte des repères chrétiens, la pureté de la race. Ces thèmes, ces obsessions sont exploités par une partie de la classe politique, et par un nombre grandissant d’intellectuels et d’artistes. Leurs arguments sont sans valeur. Ils se nourrissent de mensonges et de peurs, ils élaborent des théories fumeuses dont l’auteur le plus connu est Samuel Huntington. »
De la même manière, l’islamophobie en tant que rejet de la religion islamiste n’est nullement la haine des musulmans, qui en sont, il faut le rappeler avec force, les premières victimes ! Et ceci il faudrait le signaler à Annie Ernaux [1 ] qui ne se sent pas « menacée dans sa vie quotidienne » ! Ce n’est pas elle, effectivement que l’on obligera à porter des vêtements islamiquement corrects, que l’on ira marier de force au bled à l’occasion de vacances, que l’on traitera de « pute » parce qu’elle sera en short, dont éventuellement on excisera la fille, à qui on imposera, à l’occasion, des co-épouses, qu’on obligera à se voiler etc… Il faudra juste qu’Annie Ernaux qui a largement fait de l’impudeur, de l’émancipation féminine et de la transgression son fonds de commerce littéraire, nous explique pourquoi ce qui est bon pour elle, en terme de liberté, ne l’est pas pour d’autres ?
Ah, elle ne se sent pas « menacée par ceux qui lisent le coran » ? Je lui suggère de le dire à la famille du rabbin Jonathan Sandler ou à Albert Chenouff, ou aux proches des autres personnes tuées par Mohamed Merah. Elle devrait sortir un peu Annie Ernaux. Il serait fastidieux d’énumérer l’interminable liste des faits divers mettant en cause directement des musulmans au nom de leur religion : si elle veut vraiment se renseigner, tout est disponible sur le net.
Que les racistes, à la recherche « d’arguments » contre les maghrébins ou les arabes utilisent la critique de leur religion majoritaire, comme à peu près n’importe quoi d’autre, est un fait, mais les deux ne se confondent pas. Ce serait faire injure, notamment, aux arabes apostats, athées, aux féministes maghrébines qui tentent de se libérer du carcan d’une religion moyenâgeuse, qui sont eux et elles, mes frères et mes sœurs.
Deuxièmement, on invite M. Le Clézio à vérifier que l’antisémitisme n’a pas disparu au terme d’une soi-disant mutation en islamophobie. Qu’il interroge les associations représentatives juives, elles le lui diront et lui expliqueront aussi d’où il émane.
Certes on comprend que l’écrivain se sente plus concerné par la prose d’un confrère qui navigue dans le même microcosme littéraire que lui, mais nous fera-t-il une tribune pour exprimer sa condamnation de l’assassinat de l’ambassadeur américain de Lybie ? Et des autres violences qui ont suivi ?
J’en viens à un autre point, tout aussi convenu que le précédent.
La question du multiculturalisme, qui semble obséder si fort certains de nos politiques et quelques-uns de nos prétendus philosophes, est une question déjà caduque. Nous vivons dans un monde de rencontres, de mélanges et de remises en cause. Les mélanges et les flux migratoires existent depuis toujours, ils sont même à l’origine de la race humaine (la seule race). Le multiculturel tel qu’on le nomme en ce moment n’est plus suffisant. Il fabrique des ghettos, isole les cultures et favorise le durcissement de leurs radicalismes.
J.M. Le Clezio fait comme si la mondialisation libérale n’était pas un phénomène historique radicalement nouveau, que les mouvements démographiques et économiques avaient toujours existé avec cette ampleur et cette rapidité — regrettable et étonnante erreur d’appréciation pour un intellectuel de ce niveau, qui banalise et minimise les traumatismes qu’elle engendre, et dont le seul projet consiste à nous y soumettre sans aucun discernement.
Quant au multiculturel qu’il trouve insuffisant parce que encore trop cloisonnant, je cite : « »Dans la rencontre des cultures et des civilisations, chaque apport a son importance, et nous ne pouvons demander à personne de renoncer à la moindre part de son héritage. »
Que croyez-vous ? Certes, on ne construit rien sur du vide, mais sur ce qui nous a été transmis. Pour autant, chez nous-mêmes, les progrès démocratiques, humains, scientifiques n’ont pu se faire qu’en abolissant des pans entiers de nos cultures, de nos « héritages ». Comment l’héliocentrisme aurait-il pu émerger sans l’abandon du géocentrisme, comment la démocratie aurait-elle pu remplacer, en France, le despotisme sans la Révolution, comment l’évolutionnisme aurait-il pu ne pas renoncer à l’héritage du créationnisme ? Cela s’appelle le progrès, et vous nous emmerdez Monsieur Le Clezio avec votre apologie de l’arriération. Car ce que vous proposez c’est d’interdire à des milliards d’individus d’accéder à notre niveau de liberté, de confort matériel, de longévité.
C’est vrai que c’est tellement plus exotique…
Enfin, et ce sera une remarque en passant : l’actualité est cruelle pour les thèses que vous défendez, vous et A. Ernaux. Soyez cohérents, dites-nous que vous approuvez la flambée de violence qui vient de traverser les pays musulmans au prétexte qu’un film minable et ridicule aurait « offensé le prophète », offensé leur « héritage ». On n’y voit pas tellement que cet embrasement contredise les « théories fumeuses de Samuel Huntington », mais aurait plutôt tendance à les valider…
Dernière minute: je prends connaissance du texte de Pierre Jourde qui répond aussi à Le Clezio et Annie Ernaux. On vous le recommande.A titre personnel je ne le partage à 100% dans la mesure où il fait l’impasse sur ce que j’appelle le « droit d’inventaire », mais sur le reste il dit les chose bien mieux que moi.
_oOo_
j’ai lu le texte de PJ emprunt d’une grande naïveté et levant à peine quelques contradiction:
il est proche de l’apologie du métissage, qui n’est rien d’autre finalement que la même lubbie de recherche de la pureté pourtant critiquée. encore une fois la même antienne qui dira qu’un couple mixte est tout de suite plus remarquable dans un système d’échange culturel ou seul l’enrichissement est possible. Les purs, les « de souches » bref sont donc handicapés dès le départ car ils n’ont pas la chance d’avoir un père semi marocain et une mère indienne-auvergnat.
et malgré son invitation à ce que toutes les cultures et religions viennent en france, il cherche quand même à expliquer qu’il faut respecter la liberté dans un genre de processus d’échange forcément gagnant gagnant. Bien mais alors on accepte le couscous et la danse du ventre et on refuse l’excision et la polygamie; ok (et faudra le justifier légalement sans stigmatiser bien sûr! ) . Mais une culture n’est pas que des produits de consommation culturelle c’est aussi une manière de penser, propre à une histoire, à des principes…
Et là… grand silence.
Je rappelle quand même qu’une très large majorité de tunisiens vivant en France (et supposé être imprégnés de notre culture républicaine et laïque) a voté pour enhada et ses barbus. Quelque chose me dit que l’échange idéal n’a en fait jamais eu lieu.
Les cultures ne s’échangent pas en 20 ans comme on pourrait le croire dans notre monde globalisé et speed. Elles s’imposent sue le terme ou pas. On peut écouter du Ravel, partager un couscous et considérer toujours comme impensable le terme laïcité. Il y a d’un côté les apparences et de l’autre… la réalité ou une culture est appelée à prendre le pas sur l’autre à chaque contact.
En réalité je ne crois pas en l’équité de l’échange culturel et surtout à ne le limiter qu’aux coutumes apparentes et biens de consommation. Parce que tout cela oublie forcément la notion de valeur. Quelles valeurs importons-nous ? Quelles valeurs avons-nous en commun? Comment considérer certains valeurs comme plus importantes qi a priori « tout se vaut » ?
bref c’est toujours le même problème.
Bonjour Lapa,
Je ne voudrais surtout pas trahir la pensée de Pierre Jourde.
Je suis cependant très sceptique sur l’emploi du qualificatif « Naïf » à propos de Pierre Jourde.
Son analyse de « l’Affaire Millet » doit se comprendre d’abord dans une analyse interne au (petit) milieu littéraire parisien dans lequel les prise de position reflètent souvent des luttes de chapelles ou personnelles qui agitent le microcosme..
Dans ce milieu littéraire, l’affaire Millet est d’abord une affaire de liberté d’expression et de chasse aux sorcières.
PJ est une espèce de franc-tireur, polémiste et critique, qui s’est attiré de nombreuses inimitiés chez les écrivains (dont JMG Le Clezio et beaucoup d’autres suite à la parution de « Littérature sans estomac » et du savoureux « Jourde et Naulleau »), les critiques littéraires (Le Monde, etc…), les universitaires et les éditeurs.
C’est ce monde là que Pierre Jourde connaît et c’est d’abord à ce monde là qu’il se réfère et qu’il répond dans son analyse des suites de l’affaire Millet.
Son propos est fondamentalement contre la censure bien pensante et pour le distinguo entre qualité littéraire et idées véhiculées.
Il y a un deuxième niveau d’analyse sur le fond des propos de Millet qui est grandement dicté par sa situation personnelle, ses enfants métis, les heurts violents qu’il a connu dans son village du Cantal…
Son plaidoyer en faveur d’une société métissée est beaucoup plus une vision personnelle, un peu idéalisée certes, qu’une analyse sociologique de la société.
Mais il n’élude nullement les problèmes qui découlent du multiculturalisme.
Quant au dernier point, l’aspect « Religions » il ne l’aborde pratiquement pas.
Salut Buster,
merci pour ces précisions. effectivement il y a dans son discours quelque chose du « les élites parlent aux élites », du microcosme de salon parisien. Pour ma part je continue de penser qu’il y a une certain contradiction entre sa vision idéalisée du métissage glorieux des cultures et les choix qu’il demande de faire pour préserver les libertés fondamentales et les valeurs auxquelles nous adhérons. Jourde n’est pas naïf, mais son exposé l’est un peu. Au final il explique qu’il est juste pour la liberté d’expression avec moult lignes de sauf conduit mises en avant pour prévenir d’une accusation de racisme ou de droitisme. Mouais.
Je ne crois pas non plus que Jourde soit naïf
Je le vois plutôt mesuré et adroit.
Il sait être imparable dans ce qu’il dénonce au bon endroit et au bon moment.
.
J’ai retiré de son texte deux extraits.
.
.
.
.
Pour ma part je ne suis pas étonné que le gout pour l’exotisme de Le Clezio le conduise à ces dérives . Il parle de l’islam en oubliant la condition des femmes, en faisant le beau sur les terrasses. De loin, comme Sartre parlait des ouvriers ou de la résistance.
Mais je suis effondré qu’une artiste et une femme comme Annie Ernaux vienne en renfort d’une idéologie qui oppresse les femmes et en fait des personnes de second ordre .Une idéologie qui interdit la libre disposition de sa personne , de sa sexualité de son doit à la contraception etc etc….
Il faudrait ne pas l’avoir lue , elle et ses confessions sur sa vie privée pour la laisser déblatérer ainsi .
L’islam c’est loin pour elle car elle n’a pas à le vivre chaque jour dans la prison d’une vie familiale patriarcale étouffante et oppressive.
Il y a tout de même quelque chose de très significatif et de décidément pourri dans le climat intellectuel d’aujourd’hui : P . Jourde, pour « avoir le droit » d’écrire ces passages se voit obligé de consacrer presque la moitié de son texte à écarter par avance l’accusation de racisme de sa part en étalant son histoire personnelle.
oui pareillement ces deux points m’ont évidemment sauté aux yeux. Je les trouvais quand même enrobés de beaucoup de salamalecs. Ces deux extraits sont néanmoins d’une justesse imparables.
Prendre un peu de recul, faire parler davantage sa raison que ses sentiments, c’est le défi de notre époque. Passion et sentiments sont indispensables, mais s’ils ne sont pas modérés par la raison, ils conduisent à la guerre.
Notre culture encense Platon : les idées générales, les concepts, sont plus importants que le réel. On parle des juifs, des arabes, des musulmans, des chrétiens, des cons, des patrons, etc… j’ai envie de dire, un peu caricaturalement : stop à Platon et vive Ockham. A bas les universaux et vives les êtres singuliers.
On oublie qu’il ne s’agit que de mots de vocabulaire, pratiques, pour créer des séries, pour organiser le monde. On oublie qu’un concept, ça n’existe pas concrètement. Ce qui existe, c’est Mr ou Mme Untel. Est-ce important de savoir sa couleur de peau, sa généalogie, sa religion, son métier, la couleur de son slip ou son tour de taille ? Si on s’intéresse avant tout à Mr ou Mme Untel, le débat sur le multiculturalisme, les races, les religions, tout cela devient verbeux et inutile. On a de la sympathie, de l’indifférence ou de l’antipathie pour Mr ou Mme Untel, pour de multiples raisons, très subjectives et émotionnelles. Mais il est plus difficile d’être raciste quand on connaît Mr ou Mme Untel, sauf à apprendre à considérer Mr ou Mme Untel comme une entité abstraite et à les voir non plus comme ses voisins mais comme des juifs, des musulmans, etc. Ce qu’ont très bien réussi à faire les Hutu et les Tutsi, les Serbes et les Croates, et maintenant, probablement, les pro et les anti Assad.
Autre défi pour notre époque : où est la limite entre le respect pour les croyances d’autrui (qu’elles soient religieuses, politiques ou autres) et la liberté de parole critique ? Faut-il, par respect pour les croyants, s’interdire toute réflexion historique, toute critique ? Peut-on critiquer la politique d’Israël sans être immédiatement taxé d’antisémitisme ? Peut-on analyser le Coran et Mahomet comme on le fait de la Bible et de Jésus sans risquer d’être attaqué par des salafistes ? Le délit de blasphème contre la liberté d’expression ?
J’en ai marre de lire de plus en plus souvent que l’islamophobie de ce jour est égale à l’antisémitisme du passé.
.
Qui assassine? qui lance des condamnations à mort les fatwas, qui impose son ordre réactionnaire aujourd’hui comme hier .
Qui assassine le militant pro palestinien d’une ONG italien à Gaza?
Qui interdit les films ?
Qui agresse les médecins?
.
Les salafistes , les intégristes les islamiens .
.
Autrement dit on emploie chez les Quantiques les mêmes mots pour qualifier les persécuteurs , les étrangleurs et les égorgeurs
Les mêmes mots pour défendre les bourreaux d’aujourd’hui et les victimes d’hier.
Les bourreaux de ce jour sont ceux pour qui est insupportable la République , la liberté de conscience , la pleine puissance citoyenne des femmes .
Ce sont eux les agresseurs et les collabos sont aujourd’hui. ceux qui osent parler de charia modérée
L’argument des bienfaits du multiculturalisme par la « mixité » des couples doit aussi être relativisé. Il n’est pas rare que de bons gros machos épousent des femmes qui leur plaisent essentiellement parce qu’elles ont été élevées dans des cultures de la soumission au mâle et qu’elles sont bien dociles et « travailleuses ». Mais je connais aussi des cas inverses, de femmes vivant dans des sociétés tellement patriarcales qu’elles s’efforcent d’y échapper par le mariage avec un étranger.
Ceci étant dit, je crois que je partage le sentiment de Jourde. Je ne saurais dire pourquoi, mais j’ai aussi un a priori favorable, une sorte de joie immédiate et primitive devant un couple mixte. Qui ne dure pas forcément quand on connaît la vérité si elle n’est pas rose, mais c’est indéniable.