Heureux comme les Dieux à Rome (3) Les cultes dits orientaux

Un constat s’impose. Ce peuple aux institutions rustiques comme son caractère, à l’esprit tenace mais étroit, a avalé le Sud de la Gaule, l’Espagne, l’Afrique carthaginoise, la Grèce et l’Asie mineure. En 150 ans ! Jerphagnon nous dit « On ne monte pas ainsi sans changer de nature »

« Le choc en retour de la conquête sur les conquérants » Marcel Bordet.

L’ancien s’adapte au nouveau venant de l’extérieur. Il l’inclut tout en l’imprégnant des caractères indigènes anciens. En même temps les cultes anciens subissent les influences nouvelles. Un Melting à l’ancienne. Ce qui n’est après tout que l’histoire de la Méditerranée depuis bien avant l’Histoire écrite On n’a pas qu’une rudimentaire opposition entre l’ancien et le nouveau mais interaction pénétration et dialogue.

«  ♫♫ Et tout ça, ça fait d’excellents romains ♫♪ »

Une question d’actualité avec des vrais morceaux de religion dedans

Venus d’Asie ou d’Egypte, Mithra, Isis, Serapis, Dolichenus, Cybèle etc… s’établissent à côté des cultes traditionnels depuis la fin du IIIème siècle av JC dans le monde romain et épousent son évolution. Leur succès et leur vaste diffusion étaient-ils une réponse au besoin de spiritualité que n’apportait pas la religion traditionaliste. ?

Faudrait-il voir en eux une anticipation du christianisme, venu lui aussi d’Orient. Les Romains se seraient-ils brusquement découvert une âme, une âme vide réclamant son quota de spiritualité, de mystère et de salut ? Cette apparente similarité avec le christianisme ne manquera pas d’être exploitée par les pères de l’Eglise.

Pour éviter de tomber dans un « christo-centrisme »  il faut souligner 3 faits

  • 1- Les cultes de provenance orientale n’ont rien d’exclusifs. Ils apportent mystères, initiation et salut mais ils acceptent la cohabitation avec les autres cultes, notamment ceux de la religion traditionnelle que les chrétiens appelleront païens. Nous y reviendrons dans l’examen du culte impérial.
  • 2- Les cultes nouveaux offrent une plus grande proximité avec la divinité (une intimité ?) mais contrairement au christianisme la vie après la mort n’est qu’un horizon rajouté, très lointain, loin du centre qui demeure : une réponse au présent,  une amélioration de la vie présente
  • 3- Ces nouveaux cultes s’inscrivent toujours dans une dévotion et une pratique individuelle, ils ne construisent rien de semblable à l’Ecclésia  ou l’Eglise des chrétiens : communauté cohérente et solidaire qui se veut différente et en marge.

Dans l’ensemble ces cultes orientaux apportent leur pierre à l’édifice du monde romain, ils le modifient sans l’ébranler. Ils ne le sapent pas, eux.

Il n’empêche que…

Les modes de vie subissent de plein fouet ces influences nouvelles. Cela ne se fera pas sans réactions ombrageuses des Vieux Romains attachés à l’ordre ancien. On les retrouvera dans l’opposition dite « républicaine » à César.

Nous avons vu Cybèle ses prêtres eunuques et ses Jeux : Ludi Megalenses .

L’époque de Sylla vit l’introduction de celui d’Isis, toujours renaissant malgré les 5 interdictions de 65 à 48. (Voir le commentaire et l’illustration jointe de Causette). Son succès était irrésistible surtout auprès des femmes. Cette nouvelle religion véhiculait des notions anciennes de déesse-mère mais aussi comme en Orient des notions très prégnantes de mort et de résurrection .

Par pure politique anti/Antoine, Octave interdit ce culte étranger à l’intérieur du Pomœrium. Il faudra attendre Caligula (par ailleurs arrière-petit-fils d’Antoine) pour assister à l’implantation définitive de l’Iseum sur le Champ de Mars. Deux siècle plus tard Caracalla connut l’édification du temple de Sérapis (version romaine d’Osiris compagnon d’Isis et ressuscité par elle) sur le Quirinal.

La cérémonie évoquait cette reconstitution miracle par Isis  du corps d’Osiris dépecé par son frère Seth. Évidemment les premiers chrétiens ne s’interdiront pas de voir dans leur fils Horus une préfiguration du Christ. Le culte avait suffisamment de succès pour faire vivre une armada de moinillons tout de lin blanc vêtus et le crâne rasé.

Métaphysique simpliste mais métaphysique quand même. Les initiés avaient l’impression en étant les témoins de la cérémonie de cette mort symbolique, de pénétrer les secrets de la vie et de comprendre les liens qui unissaient existence terrestre et séjour souterrain. En quête d’une spiritualité que ne pouvaient plus offrir les dieux traditionnels, les Romains étaient toujours plus attirés par des religions venues d’ailleurs.

« ♫ ♪ Comme la mode était à l’anglais, on l’appela Battling Joë ♪♫ »

Bin,  en ce temps-là, la mode était à l’Orient

Renan nous parle d’un culte exclusivement masculin dont le succès ne fut stoppé que par la force militaire officielle quand cette dernière se fut rangée au service du Christianisme

Mithra, une divinité originaire d’Iran  apparait en Asie Mineure au siècle avant notre ère et à Rome dès la fin du 1er siècle après J-C. Les sanctuaires se multiplient dans l’Urbs : plus de 40, à Ostie 19. Son succès chez les soldats et les employés du fisc explique les trouvailles archéologiques dans les villes de garnison de York jusqu’à la Syrie en passant par le Rhin et le Danube et dans les ports fluviaux ou maritimes.

Le Dieu est représenté souvent sous un ciel constellé d’étoiles  sacrifiant un taureau, vêtu d’un costume asiatique, portant pantalon perse et bonnet phrygien. À ses côtés deux dadophores (porteurs de torches) symbolisent le soleil ascendant et le soleil descendant. Dans un syncrétisme accueillant il est représenté aux cotés de Saturne et Zeus foudroyant les géants. Mithra, né d’un rocher, accepté comme  allié par le Soleil, il sacrifie dans son antre le taureau source de toute fécondité malgré les forces du mal incarnées par la présence au sol du  scorpion et du serpent.

Il devient  ainsi le héros du bien et l’agent de la création.

En immolant dans une grotte le taureau et en se partageant les chairs de la victime (communion), les initiés  avaient conscience de continuer, de prolonger l’œuvre du Tauroctone en se fortifiant solidairement contre les ennemis de la Vie. L’initiation suivait sept degrés, figurés par sept planètes, et s’accompagnait de purifications, d’épreuves et de prières au Soleil. On manque de textes pour le confirmer mais cette victoire du bien sur le mal conduisait à une promesse d’immortalité. Loin des complexités du mythe iranien originel, ce culte proposait donc au myste (fidèle initié)  un itinéraire simple vers une transcendance aisément compréhensible et donnait un sens moral à son existence terrestre.

Les chrétiens des origines craignirent beaucoup ce Dieu là, ils y virent une œuvre du Démon singeant leur Culte qu’ils voulaient unique.

  • Les mauvais démons ont imité cette institution [l’eucharistie] dans les mystères de Mithra : on présente du pain et une coupe d’eau dans les cérémonies de l’initiation et on prononce certaines formules que vous pouvez savoir.

Justin, Première Apologie, 66, 4, trad. L. Pautigny

L’écrivain chrétien Justin (moitié du IIe s. après  JC) affirme que la liturgie du culte de Mithra, dans laquelle apparaissent le pain et l’eau, est tellement proche de l’eucharistie chrétienne, où l’on utilise le pain et le vin, qu’elle semble avoir été créée par inspiration diabolique : la similitude trompe les esprits des fidèles qui ne peuvent plus distinguer l’unique bonne religion de ses imitations maléfiques.

On comprend mieux en une formule.

Le problème n’était pas la divergence, mais bel et bien : la concurrence

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Léon
Léon
17 septembre 2012 18 h 00 min

Perso, je trouve cette série passionnante. Habitués à nos monothéismes on a bien du mal à imaginer des religions fonctionnant de la sorte.

Causette
Causette
17 septembre 2012 21 h 26 min
Reply to  Léon

MonothéismeS si on veut, car avec les anges, les saints, les vierges, les djinns, les prophètes etc, on se retrouve comme dans les cultes anciens avec une tripotée d’objets d’adoration. Et puis ces monothéismes sont basées sur les mêmes histoires, le dernier copiant méchamment les premiers.

Finalement toutes ces croyances ont débuté avec l’adoration du soleil et l’observation des astres, en les personnifiant avec des mythes de plus en plus complexes. ça commence à peu près comme: Horus dieu soleil (3000 av. jean-claude) avait un ennemi: Seth l’incarnation des ténèbres, la nuit.

Constellation du Taureau
Dolichenus: dieu hittite de l’orage sous le nom de Tesub-Hadad. Le taureau sacré commun dans toute l’Anatolie était son animal signature, représenté par sa couronne à cornes ou par son coursiers Seri et Hurri , qui a attiré son char ou l’ont porté sur leur dos.

Le Baal de Dolichè semble avoir eu ses origines en tant que hittite dieu de l’orage connu sous le nom Tesub-Hadad. Teshub est représenté tenant un triple coup de foudre et une arme, généralement une hache (souvent à deux têtes ) ou le macis . Le taureau sacré commun dans toute l’Anatolie était son animal signature, représenté par sa couronne à cornes ou par ses coursiers Seri et Hurri.

signe zodiacal du Taureau ornant le méridienne de la Basilique Ste-Marie-des-Anges-et-des-Martyrs à Rome (église qui occupe les anciennes salles du caldarium (bains chauds), du tepidarium (bains tièdes) et de l’immense frigidarium ou salle basilicale des thermes (bains froids).
Le soleil et les étoiles je vous dis!