Heureux comme les Dieux à Rome (2)

Chez les romains on n’accède pas aux fonctions de prêtre par ce qui pourrait ressembler à une très anachronique vocation. Les prêtres sont des citoyens , des magistrats désignés ou cooptés, placés sous l’autorité du Grand Pontife. Ils peuvent à la fois tenir des fonctions d’État et des fonctions religieuses.

La religion : une organisation humaine citoyenne.

Rendre un culte aux Dieux c’est affirmer sa dévotion à la Cité

Comme les cultes sont intimement imbriqués à la fonction municipale , au fonctionnement de l’État, le développement inimaginable un siècle plus tôt de l’Impérium Romanum au deuxième siècle av JC conduira à un bouleversement des mentalités . L’un aura décidé de l’autre et non l’inverse.

Revenons aux cultes anciens

Le Pontifex maximus a la haute main sur le calendrier des fêtes et la nomination des Vestales . Même s’il en rajoute en componction , nul ne se risquerait à s’en prendre au personnage. Certaines divinités importantes se voient attribuer un clergé particulier : les flamines. Les «  decemviri sacris faciundis » , chargés d’interpréter quand ils les consultent les Livres de la Sibylle de Cumes recueillis par Tarquin le Superbe, sont organisés en collège . Comme on ne les consulte que dans les cas d’urgence , ( guerre, lourde défaite, épidémie …) leur importance en est accentuée d’autant.

L’organisation des banquets en l’honneur de Jupiter appartient au collège des septiviri epulones . On a aussi les confréries ( sodalités) des luperques ( hommes-loups) qui courent autour du Palatin en l’honneur de Faunus.

On rencontre aussi les Fétiaux , un collège de prêtres, principalement chargés des relations entre Rome et les autres peuples (déclarations de guerre, traités) Ils veillent à ce que la Pax Deorum ne soit pas brisée.

Pour Cicéron c’est à Tullius Hostilius qu’on doit leur organisation « On lui doit les formes légales des déclarations de guerre, et le droit sacré des féciaux, qui sanctionna cette institution si parfaitement juste; toute guerre qui n’avait point été déclarée suivant ces formalités fut réputée dès lors injuste et sacrilège. » Cicéron, De Republica, 2-17.

Pour déclarer la guerre à un ennemi , un espace a été délimité  sur le Champ de Mars, un espace décrété : espace ennemi, où un des fétiaux le pater patratus jetait un javelot en signe de déclenchement des hostilités. Tous ces rites respectés, la guerre pouvait être alors déclarée juste. Octavien , père patrat lui même, sut se plier à ces artifices pour déclarer la guerre à Cléopâtre . Marc Aurèle fit de même pour la guerre contre les Scythes 2 siècles plus tard.

Selon la tradition, la saison favorable à l’entrée en guerre étaient ouverte par une procession de la confrérie des Saliens . On y exposait le bouclier tombé du ciel au temps du roi Numa et ses 11 répliques .

Wikipedia

Les boucliers sacrés ou anciles (en latin ancilia) étaient des objets sacrés, voués par Numa Pompilius au culte de Mars . Semblables à un bouclier Mycénien ils renvoient à une origine grecque de l’époque géométrique L’archéologie a trouvé en plusieurs lieux d’Italie la trace de boucliers à double échancrure, datés des 700 av JC. Cette indication historique donne un recoupement intéressant à la tradition romaine . Mais selon Tite Live c’est au plus ancien de la préhistoire romaine qu’il faudrait chercher les racines des rites liés aux Fétiaux. La tradition aurait exigé l’emploi d’un couteau de silex et que la lance soit en bois de cornouiller durci au feu .

Très ancienne aussi et liée aux premiers temps de Rome : la confrérie des 12 arvales ( les confrères des champs labourés) . Le rite de fécondité se tenait soit dans un bois sacré à l’extérieur de la cité sur la via Campana, soit au cœur de la ville à la Regia au cœur du forum . On offrait des sacrifices à la déesse Dea Dia.

Cette histoire de champs labourés me rappelle un séquence du péplum télévisé « Rome » où le héros honorait sa belle épouse sur le sol fraîchement labouré du champ nouvellement acheté.

On récapitule brièvement

Les collèges de prêtres spécialisés de la religion romaine sont :

Celui des pontifes présidé par le Grand Pontife,

les Flamines ( 3 majeurs et 12 mineurs) voués au culte d’un seul Dieu.

Les Vestales au nombre de 6 choisies par le Grand pontife doivent rester chastes et entretenir le feu sacré de la cité.

Les Augures doivent interpréter les signes envoyés par Jupiter, vols d’oiseaux dans le bon ou le mauvais sens ainsi que la lecture d’entrailles. Ils ont reçu l’essentiel de leurs savoirs mystérieux des Étrusques.

Les frères Arvales  honorent  Dea Dia ( proche de Cérès).

Les Luperques sont choisis parmi les plus anciennes familles de Rome.

Il reste une dernière confrérie  les Saliens ( les porteurs de boucliers dans les processions) chargés du culte central de Rome au Dieu Mars

Un panthéon pas si accueillant que ça

Au deuxième siècle av JC , les succès militaires , l’extension prodigieuse du domaine dominé par Rome font surgir à la fois un goût pour des cultes étrangers en même temps qu’un raidissement moral d’une couche traditionaliste attachée aux cultes anciens

Ce raidissement était bien souvent un masque, une réponse à une évolution imprévue. L’ancienne couche dirigeante des Patres qui se tenaient mutuellement en respect dans une certaine égalité de condition et de possibilités d’accès au pouvoir, se voyait disloquée par une augmentation inouïe de sa richesse pour certains de ses membres. Ces écarts et ces disparités firent naitre des affrontements qui prirent le masque d’un attachement à une vertu traditionnelle , à un gout pour la philosophie nouvelle, pour les arts, ou encore, comme les Gracques un intérêt nouveau et incongru pour les intérêts du populaire.

Tout cela pour la gloire et la grandeur de Rome

Le panthéon des Romains n’avait pas de limites nettement tracées. Le culte principal était rendu à la triade capitoline ( Jupiter , Junon , Minerve) protectrice de la cité. Installée sous l’influence Étrusque elle cohabitait avec des dieux plus anciens chéris des Latins dont les cultes étaient toujours fortement imprégnés de superstitions et de pratiques relevant de la sorcellerie et de la magie.

Les influences et les liens anciens avec le monde grec étaient innombrables: Saturne accueilli dans le Latium par Janus le dieu des commencements,Vulcain assimilé à l’Héphaïstos grec et d’autres encore jusqu’aux nymphes subalternes. Les contacts avec l’Italie du Sud ( la grande Grèce) avait favorisé l’arrivée d’Apollon et d’Asklépios installé dans l »île Tibérine ( hors du pomoerium).

Mais mais mais…

Cette influence grecque posait un problème en ce qu’elle était, elle même, infiltrée par les cultes orientaux Un de leurs Dieux , le dernier arrivé , tout particulièrement heurtait le sentiment du sacré et du respectable des vieux romains. Pour simplifier: le Dyonysos grec fut facilement assimilé au Liber Pater latin et devint Bacchus mais le problème le plus sérieux n’était pas celui d’une homogénéisation des panthéons. On n’y avait pas vraiment pris garde. À une époque ( autour de – 210 av JC) où Hannibal musardait en Italie du Sud , nombreux étaient les habitants de Grande Grèce qui étaient venus trouver refuge à Rome avec le culte de Dyonysos dans leurs bagages . La période invitait à la mansuétude pour les réfugiés , possibles alliés, et leur Dieu qu’il ne fallait surtout pas blesser en lui refusant l’hospitalité.

N’avait-on pas toute affaire cessante en 205 av JC, au moment où la 2è guerre punique s’éternisait, consulté les vieux Livres Sibyllins . Les prêtres chargés de l’interprétation des obscurs messages furent formels . Il fallait aller chercher ce qui se faisait de plus important, de plus imparable , de plus irrésistible. Le roi de Pergame allié des Romains se laissa fléchir. On ramena un bétyle comme il y en a beaucoup au Proche Orient, la pierre noire de Pessinonte, et on installa le culte de Cybèle à Rome.. L’heure était tellement grave  qu’on se rappela opportunément que cette déesse était originaire de Troade patrie des fondateurs de Rome. C’était voir bien grand le royaume de Priam !. Aussi lui fit-on une place sur le Palatin à l’intérieur du pomoerium , l’enceinte sacrée de la cité. Les prêtres , les Galles , tous castrés et vêtus de blanc , ne sortant qu’une seule fois par an, connurent un grand succès . Succès qui fit l’objet d’une surveillance étroite de la part des autorités jusqu’à l’empereur Claude.

Une fois la victoire acquise, et Carthage bien battue, le collège des « decemviri sacris faciendis » resserra les boulons. On n’allait pas se laisser pervertir par ces religions de Grecs.

Bacchus dieu du vin , de l’ivresse, et des débordements, notamment sexuels, connaissait un succès foudroyant notamment auprès des femmes . Bacchus est le fils de Zeus et d’une mortelle. On  raconte son amitié profonde pour Ampélos, un jeune mortel de son âge, amitié qui transcendait la différence Mortel / Dieu. L’horreur absolue pour un Sénateur romain qui se respecte.

Bien qu’Ampélos ne fût qu’un simple mortel, Bacchus le traitait d’égal à égal, et lui apprenait à connaître et à respecter la nature sous toutes ses formes, y compris les bêtes sauvages. Mais un jour, Ampélos,  rattrapé par son essence mortelle,  mourut piétiné par un taureau. Des larmes de Bacchus, versées sur la dépouille de son ami, naquit une plante jusqu’alors inconnue : la vigne. À partir de  cette plante aux fruits rouges, rouge comme le sang de son ami mourant, Bacchus inventa le vin et l’offrit aux humains en souvenir d’Ampélos. Par le vin l’homme accédait à l’ivresse qui fait rêver et changer de condition. Instrument du culte, le vin symbolise l’essence à la fois divine et mortelle des hommes. À l’opposé du culte d’Apollon prêchant une harmonie raisonnée, les Bacchanales osaient un hymne à l’ivresse, moyen qui , croyait-on , permettait de se rapprocher de l’essence divine. Alors que le culte grec donnait naissance au théâtre, les Bacchanales pouvaient tourner à l’orgie. Pire que tout, elles pouvaient le laisser croire. Priape était un des compagnons favoris du Dieu. Les fêtes et cérémonies religieuses en son honneur se déroulaient 5 jours par mois . Depuis le quartier de l’Aventin ( en dehors du pomoerium) , où se dressait le sanctuaire, on entendait les hurlements hystériques des bacchantes , les cris, les rires, les courses poursuites jusqu’à la rive du Tibre où elles jetaient leurs torches de résine.

Tout cela ne s’inscrivait pas très exactement dans la pompe et le masque de sérieux affecté des autres cultes . De plus ces gens là se passaient ouvertement des conseils et des indications des organisateurs en chef de la cité. Les décemviri en prirent ombrage et affectèrent d’y voir une société secrète dangereuse pour la cité dans sa relation complexe avec le sacré ( le surnaturel) . On n’allait pas laisser continuer impunément ces gens , qui offensaient les pontifes , flamines et autres moines , qui risquaient de fâcher les autres Dieux et par là d’attirer leur vindicte sur la cité. Ils allaient nous attirer la Peste ou une génération d’infirmes rabougris. Ces petits Grecs allaient nous dépraver notre belle jeunesse. La crise des bacchanales s’ouvrit en 186 av JC , les persécutions durèrent jusqu’en 180. Des milliers de fidèles furent arrêtés à Rome et en Italie du Sud, beaucoup furent exécutés .

Pourtant, on ne pouvait pas interdire ce culte, assimilé au vieux Liber Pater italique. Le Sénat modéra ses ardeurs répressives et fixa des règles strictes interdisant les débordements des bacchantes.

Les cultes orientaux n’avaient pas fini de faire parler d’eux.

L’extension de l’impérium romanum suivant les guerres macédoniennes et l’héritage de Pergame rendront inévitable cette évolution. Cette dernière provoquera bien plus qu’une extension de l’inventaire des Dieux mais aussi une évolution définitive des mentalités et par là de la société romaine . Le cadre étroit de la cité et du Latium est supplanté par une vision universaliste et unificatrice issue du monde grec et de ses contacts profonds avec l’Orient

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Léon
Léon
10 septembre 2012 16 h 43 min

Toujours aussi intéressant et mal connu. C’est quand l’interro ?

Lapa
Administrateur
Lapa
13 septembre 2012 11 h 46 min

Mais un jour, Ampélos, rattrapé par son essence mortelle, mourut piétiné par un taureau.
hum il lui faisait quoi au taureau? hein?
en tout cas je tiens à remercier Furtif pour cette excellente série.

Causette
Causette
15 septembre 2012 16 h 22 min

Salut,

Passionnant. combien d’épisodes :mrgreen: ?

5 jours par mois de bacchanales! (faut demander ça au maire de Paris, le culte dionysiaque a bien droit également comme les autres à quelques égards).

L’autre jour je lisais que dès l’Antiquité les organisateurs des combats de gladiateurs et les politiques faisaient de la publicité sous forme de fresques. Une fresque/affiche découverte à Thèbes date de 1000 an av. JC : elle offrait une pièce d’or pour la capture d’un esclave en fuite (wiki).
Et ici: Vase attique portant l’inscription : « achète-moi et tu feras une bonne affaire », vers 500 av. J.-C., musée du Louvre.

J’imagine donc que les Romains ont dû copier ce procédé?

Carina Brem
Carina Brem
17 septembre 2012 3 h 01 min

quel plaisir de lire ce genre d’article !