La tache, aussi, est humaine : c’est la tâche de l’artiste de nous le dire.

Bouleversé par cette video proposée par Léon au bar de dimanche, je me suis laissé aller à vous confier quelques élucubrations venues en se bousculant à mon esprit. Il ne s’agit pas d’une thèse ou d’un système politique élaboré et verrouillé par une argumentation.
Il n’y a là qu’une ébauche beaucoup plus sensible que réfléchie.

La multitude humaine est infinie et le champ de ses expériences subjectives l’est aussi. Soumise aux aléas de l’histoire et des mutations sociales la norme est un centre mouvant en constante évolution, aux frontières indécises.
Tout est humain, de l’ange à la bête.
Qui dira la frontière et les degrés entre l’un et l’autre ? À qui la société confie-t-elle cette fonction ?
Nous eûmes depuis la plus haute antiquité le roi-prêtre, le roi ou/et le prêtre puis le juge.
Le juge, quand il est expression de la volonté de tous.
Mais ce juge n’est pas parfait, il n’est qu’humain avec les limites et les préjugés du contexte qui le conditionnent.
Et non. Il n’est pas de lois humaines éternelles.
Il fut des sociétés où le sacrifice humain était le sommet de la transcendance, du désintéressement et de l’altruisme. On a beau les graver dans le bronze, il n’y a rien de plus inconstant que les règles de vie en commun.
Car la vie change.

Il appartient à d’autres d’identifier et faire connaître avec les outils qui sont les leurs, la palette infinie de l’expérience humaine, du sentiment humain, des sensations, des rêves et des fantasmes. Mû par on ne sait par quel besoin irrépressible, c’est la tâche qui anime l’artiste. Il montre, il dépeint avec les outils de l’empathie, associés à ceux de son art pris comme technique. Il se pénètre de son sujet au point de s’identifier, de faire siennes les envies, les souffrances et les horreurs de la complexe psyché humaine. L’art et ses projections abstraites offrent le canal détourné qui permettent de donner à voir ce que la réalité contient de suranné et dépassé, de non abouti, de encore en gestation ou contenu dans le réel, de motivations non dites dans le tissu enchevêtré des relations sociales. L’artiste est le passeur, celui qui voit plus loin que l’horizon, et l’avenir est son royaume.

Il est des expériences humaines, des sensations, des sentiments, des plaisirs secrets, des horreurs savoureuses qui, malgré l’effroi ressenti par le plus grand nombre, appartiennent au jardin secret des plaisirs inavoués de certains d’entre nous. Freud nous a dressé la carte de ce pays du non-dit et des monstres tapis dans le cloaque de notre subconscient. Il est un continent fait de soumission, de violences subies et recherchées, d’horreurs craintes et désirées. L’artiste peut, quand il se sent appelé par on ne sait quoi ou qui, se sentir interpellé par cette identité singulière et, avec sa sensibilité et sa faculté à entrer dans la peau de l’autre, entreprendre de nous peindre l’expérience hors norme de l’horreur absolue : celle de la victime qui adore au sens propre son bourreau. Plutôt en souffrir que d’en être privé. Muriel Cerf s’est risquée à cette aventure.
Des coups portés aux coups reçus, qui dira le tricot des causes et des conséquences ?
De celui qui les reçoit sans faire en sorte de s’en protéger, qui dira les ténèbres et les souffrances encore plus grandes qui les motivent ?
Du sadisme psychique à la brutalité physique, qui dira l’échelle des violences ?

Trancher ces questions nous conduit dans le plus grand des désarrois, désarroi de nature semblable à celui qui nous habiterait si on nous demandait de répondre à une définition du bonheur.

L’artiste, cet explorateur, n’a pas pour mission d’ériger des systèmes, il cherche et parfois trouve… C’est bien pourquoi il est si rare. Muriel Cerf s’est jetée à corps et à âme perdus dans cette entreprise. C’est pourquoi elle s’est trouvée si exposée et si mal venue dans un cadre ou sa sincérité d’artiste de f’ranchisseuse de précipices était déplacée.
Il n’est pas question de condamner, voire de simplement contester Lio, qui portait le cri des victimes (et à juste titre) mais de condamner l’exercice du débat-spectacle qui depuis 40 ans, dans notre pays, dénature toutes les réflexions de société. L’exposition de l’artiste a, de plus en plus, dans notre société faite de vacarme factice, les contours d’une exécution publique au moyen âge.

Cette video m’a rappelé une scène épouvantable des années 70 où, chez Pivot, un soir madame Denise Bombardier a exécuté Yves Navarre et son œuvre à grand coups de menaces et d’évocations des lois relatives au sexe. La société du spectacle est totalitaire et oppressive dans le sens où elle mélange les genres en trichant.
Nous étions au Parnasse, rappelons nous l’aura de Pivot et, avec la plus grande des brutalités, la mère Bombardier (auteur très secondaire mais membre d’une puissante famille Québecoise) flinguait un Navarre muet. Il ne lui manquait plus que de lui infliger des aspersions d’eau bénite.
Une autre confusion des genres.

La société-spectacle propose (réclame) que des ganaches sportives connues de tous comme des gens assez limités deviennent des modèles éducatifs. Ministre de l’Éducation et syndicat CFDT proposant à grand renfort d’affiches le même modèle aux enfants des écoles. Le Zizou bleu blanc beur !
Heureusement pour tout le monde, ce dernier a de lui-même démoli sa propre idole, à la grande confusion de ceux qui sciemment avaient organisé son culte.

Pour Muriel Cerf, traitée de la même manière que Yves Navarre chez Pivot, cette fois-ci chez Ardisson, que fallait-il faire ? Expliquer à tous que la brute infâme de Cantat était un petit saint ?
Certainement pas . Il n’y a rien à expliquer, et tout à connaître et à ressentir.
Mais…
Une fois que nous aurons pris le temps de comprendre, sachons faire le partage et ne pas tout mélanger nous-mêmes et nous-même reproduire cette bouillie infecte et indigeste où tout vaut tout où rien n’est indifférencié.
Sachons comprendre la part de dérive et peut-être de désespoir de Cantat, puis, en faisant la part des choses, défendons le droit des personnes en assurant la protection des victimes contre les assassins. L’agonie de Nadine Trintignant attend toujours son interprète.
Dans un domaine voisin apprenons à renvoyer à leurs estrades de bateleurs les pitres qui se voudraient artistes quand ils se mêlent d’abuser de leur notoriété pour se mêler d’un domaine, la Politique, où ils n’ont que la compétence de chacun, voire souvent beaucoup moins.

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COLRE
COLRE
29 mai 2012 11 h 02 min

L’artiste a tous les droits comme artiste. L’art est subversif par essence.
Mais dès qu’il se mue en « discours » sur lui-même, il perd sa substance, son immunité, il n’est plus art. L’artiste n’est plus artiste, il est parleur et bavard comme tout un chacun, et comme tel il est « jugé » sur ce qu’il dit et non ce qu’il crée.
S’il s’exprime en moraliste, comme Muriel Cerf, il est jaugé en moraliste.

Mais qu’est-ce que Muriel Cerf est venue faire dans cette galère, l’antre de la société-spectacle, comme tu dis ? chez Ardisson !… Sa parole, en réalité de promotion, y a perdu les prérogatives de l’art. Normal qu’elle ait été traitée comme une people qui cause dans l’poste.
Son opinion n’a pas plus de légitimité que celle de madame Michu. Il y a mélange des genres.

Imagines-tu Marguerite Duras sur un plateau face à Jean-Marie Villemin ? Sade vendre ses livres et pérorer devant les vraies victimes en chair et en os du sadisme ?

COLRE
COLRE
29 mai 2012 12 h 35 min
Reply to  D. Furtif

Si tu veux, je connais la réponse…
la Mosquée du temple du dernier jour de la paix sociale nous dira que Marie Trintignant l’a bien cherché, cette débauchée, et qu’elle a mérité son sort, un châtiment divin…
Elle ajoutera que l’excision des petites filles est justement là pour empêcher que les Marie Trintignant existent et ne deviennent les tentatrices diaboliques de l’homme…

Lapa
Administrateur
Lapa
29 mai 2012 17 h 33 min
Reply to  COLRE

Rien à ajouter Colre. 🙂

Causette
Causette
29 mai 2012 13 h 35 min

« Je me souviens de cette horrible émission d’Ardisson où tout ce que j’ai pu dire d’intéressant a été coupé au montage et au cours de laquelle Lio [une amie de Marie Trintignant] m’a hurlé dessus. C’était un piège. » Muriel Cerf.
Elle n’avait donc personne pour la conseiller et l’informer sur ce genre d’émission dégueulasse?

« Kristina porte des vêtements amples et clairs qui tombent droit sur elle, sur une charpente sans courbes, sèche et solide. Elle n’est courbée nulle part. A l’évidence, elle peut casser. Il y a chez elle quelque chose de guerrier, d’admirable, d’austère et de triste. C’est cette même jeune femme à la réserve inviolable qui me dira plus tard, bien plus tard (Bertrand est détenu en France), qu’elle n’est plus rien, rien, dans cette affaire, avec dans la voix des sanglots qui ne viendront pas, qui naissent et se brisent sur les rocailles de son accent hongrois. » dans Bertrand Cantat ou le chant des automates, janvier 2006.

Causette
Causette
29 mai 2012 16 h 36 min

Muriel Cerf essayait de comprendre ce qui c’était passé, mais avant d’écrire son livre peut-être n’avait-elle pas toutes les cartes en main pour comprendre le personnage Cantat.

A la lecture de cet entretien, aurait-elle vu le jaloux manipulateur violent?

– Cini découvre les minijupes… Bertrand n’aimait pas trop lorsqu’elle portait des jupes courtes.

– un mariage improvisé. Nous, parents, nous n’étions pas conviés. Au départ, ils parlaient d’un mariage à Las Vegas, je crois que c’est Bertrand qui voulait cela…

– Une vraie passion. Avec une sorte de contrat tacite entre eux. Un règlement interne à leur mariage: « Certes, nous sommes mariés mais si l’un ou l’autre tombe amoureux, nous n’avons pas le droit de nous empêcher de vivre ce nouvel amour. » (en général ce sont les hommes qui demandent ce genre de truc, n’est-ce pas?)

Oui, Bertrand voulait vraiment avoir un enfant, plus que Kristina je crois.
Kristina travaillait beaucoup à cette période-là?
Oui, elle a beaucoup travaillé pour l’Institut hongrois à Paris, en tant que directrice culturelle, on lui a même proposé de devenir directrice, mais Bertrand ne voulait pas. Pour l’Institut hongrois, elle organisait beaucoup de soirées, il ne supportait pas. Quelque part, il a mis un frein à sa carrière. Et puis il y avait les tournées Noir Désir, il fallait que Kristina s’occupe beaucoup de Milo.
(un classique, les jaloux pervers n’aiment pas que leur compagnes soient indépendantes financièrement et intellectuellement)

– Kristina a voulu divorcer. Bertrand ne voulait pas l’entendre, il disait qu’elle voulait juste sa revanche… (bin il est où le contrat tacite? la liberté de chacun?)

Comment avez-vous appris la mort de Kristina le 10 janvier?
Ce n’est pas Bertrand qui nous a prévenus mais un ami musicien de jazz. Nous avons pris l’avion pour Bordeaux, et nous n’avons pas pu rentrer dans la maison, c’était trop dur. Nous avons été choqués par les funérailles qui se sont déroulées le 18 janvier à Moustey, dans les Landes. La cérémonie était ponctuée des rites tsiganes, l’eau-de-vie, les bougies, la robe de Kristina. Kristina n’a aucune origine tsigane. Nous nous sommes sentis dépossédés de notre fille jusque dans sa mort.

Comme beaucoup de femmes, Juliette pensait que l’amour serait plus fort que la violence. En 2009, 140 femmes ont péri en France sous les coups de leurs compagnons, mais on ne connaît pas le nombre de suicidées suite aux harcèlements et aux violences?

ranta
ranta
29 mai 2012 16 h 51 min
Reply to  Causette

M’ouais………… je fais me faire encore plein de potes mais tant pis. Je me demande si les gens vivent dans un monde différent du mien; des couples dans mon entourage qui se sont séparés, qui se séparent ne manquent pas. Curieusement pour ceux dont j’étais, je suis, le plus proche je constate qu’il n’y en pas un qui a tort et l’autre raison, c’est bien partagé, et lorsqu’il y a des violences physiques de la part de l’homme il y a toujours une contrepartie féminine, généralement une violence psychologique. Alors sans vouloir absoudre les hommes ce serait peut-être bien aussi de prendre conscience que les femmes ne valent pas mieux que leurs compagnons ou conjoints.
Ce serait sans doute intéressant qu’un avocat spécialisé nous raconte ce qu’il voit et entend.

ranta
ranta
29 mai 2012 18 h 23 min
Reply to  D. Furtif

Oui je sais mais c’est au post de causette que je m’adressais.

COLRE
COLRE
29 mai 2012 18 h 02 min
Reply to  ranta

Mais non, t’inquiète pas, au contraire, tu vas te faire plein de potes en disant cela… 😉

Mais si tu te renseignes, ce que je te conseille, tu verras qu’il y a un profil type aux « proies » des pervers. Ce ne sont pas du tout des femmes manipulatrices, bien au contraire !
Les personnalités prédatrices (en majorité des hommes) jettent leur dévolu sur des personnes (en majorité des femmes) dont la particularité est d’être parfaitement « normales », émotives, mais saines, souvent incapables d’analyser chez l’autre la manipulation et son absence totale d’empathie.

Il y a bcp de livres sur cette grave question sociale. Il y a eu un dossier il y a 2 ou 3 mois dans le Nouvel Obs, notamment sur les pervers narcissique (qui n’est qu’un aspect de la pathologie) tu pourrais y jeter un oeil, tu verras, c’est intéressant.
Par exemple :

« La manipulation destructrice, en revanche, vise à détruire systématiquement les autres, notamment en mettant à mal leurs points de repères, leurs convictions, morales, politiques ou religieuses, pour mieux les fragiliser et asseoir l’emprise. Cela relève d’un comportement pathologique. Les manipulateurs destructeurs sèment des « cadavres psychologiques » derrière eux, tout au long de leur vie. Ils peuvent pousser leurs victimes au suicide. Les plus dangereux peuvent même aller jusqu’au meurtre physique, y compris de toute une famille.
ils présentent également des traits de personnalité paranoïaques, tels que la tyrannie, l’absence de doute et d’autocritique et la jalousie maladive. »

Causette
Causette
29 mai 2012 18 h 54 min
Reply to  COLRE

Ce serait sans doute intéressant qu’un avocat spécialisé nous raconte ce qu’il voit et entend.

Ranta, voici un article de Lucile Cipriani, docteure en droit.
Mort de Marie Trintignant – Nul n’a su contourner l’agresseur

La prévention

Après avoir exposé les facteurs qui bloquent les secours et indiqué les actions appropriées lors d’une explosion de violence conjugale, il me semble important d’indiquer quelques repères pour les prévenir.

Il est tellement fréquent de voir rapportés par les médias les propos des voisins ou des proches des victimes de violence conjugale selon lesquels ils n’ont rien constaté qu’il faut en comprendre que l’on s’attend à ce que l’agresseur expose publiquement son comportement.

Il en va bien sûr tout autrement. Les agresseurs ont majoritairement un comportement socialement acceptable. Ce sont habituellement de bons voisins. Le seul indice est le contrôle des paroles et des gestes de leur conjointe, le fait qu’ils s’interposent entre celle-ci et quiconque, le fait qu’ils parlent pour elle.

Pour repérer la violence répétée, ce sont les femmes qu’il faut regarder. Elles sont souvent apathiques, déprimées, très réservées, fuyantes, nerveuses en présence de leur conjoint, réticentes à s’engager même pour des activités de voisinage. Elles portent des vêtements couvrants et, sauf autorisation du conjoint, elles n’invitent personne. Elles auront un jour besoin de secours.

Souhaitons que leurs frères et leurs voisins réagissent.

Léon
Léon
29 mai 2012 18 h 19 min

Salut a tous. J’avoue avoir la tête à l’envers et colpletement ailleurs. Mais ce texte est tres interessant, car je n’avais pa été au delà de la question qui était abodée, celle de la violence envers les femmes en elle-même. Bien vu, Furtif, un texte qui fait réfléchir….

Léon
Léon
30 mai 2012 14 h 12 min

Essaie la chevrotine !

Léon
Léon
30 mai 2012 14 h 14 min

Tu peux aussi essayer de retrouver le geste auguste de Thierry la fronde…

rojay
rojay
28 juin 2012 5 h 47 min

Bravo et félicitation pour cet article « La tache, aussi, est humaine : c’est la tâche de l’artiste de nous le dire. Disons.fr », ça fait toujours plaisir de voir des choses comme celles-ci. On voit tellement de bêtises à gauche et à droite sur internet que quand on trouve un article comme le votre on se doit de le dire. C’est pourquoi je me suis permis de déposer un commentaire, chose qui n’est pas des mes habitudes, mais là ça valait le coup. Merci et bonne continuation.