Bondy, dans le 93, est une ville aux antipodes de Bormes-les-mimosas ou Honfleur. Ici, dans les bacs, aucune touche de couleur. Uniquement du gros killa de rappeur. Cette charmante bourgade qui entretient son asthme sous l’échangeur de l’A3 est réputée pour son accueil bétonné et sa franche camaraderie de quartier à grands coups de « Popopop » comme éructait le Suprême… Hier, à 8h00 du matin, sous la pluie, un tube entier de Prozac associé à une quinzaine d’ecstas n’auraient pas suffi pour irradier de bonheur mon visage ruiné par les fêtes.
J’ai débuté avec une classe de filles, une section « carrières sanitaires et sociales » (aujourd’hui baptisée ASSP), orientation censée les emmener vers le service à la personne ; «toiletter du vieux qui bande mou» comme me l’a dit l’une d’elles. Elles étaient une petite douzaine sur 30 inscrites. D’après l’infirmière, les élèves ont le saut du lit tardif à Bondy et la plupart arriveraient certainement au compte-goutte, au gré du vent, du réveil-matin, d’un petit bédo roulé à l’arrêt de bus ou de l’envie du moment. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé, avec cette sale manie qu’ont les jeunes de venir en classe, le casque soudé aux oreilles, tendant négligemment leur carnet, sur fond de Booba « voicodant » ses mots d’amour (J’me dis que j’vais la ter-je mais wallah qu’est-ce qu’elle est bonne (…) Ferme un peu ta gueule, va me faire un steak frites – Extrait de Killer – Booba 2011 ).
Avec elles, la discussion fût détendue et directe, sans pudeur et sans distance, comme un bon échange de vannes autour du bac à sable. Alors qu’on parlait des premières fois, on s’est mis à lister les lieux où les ados des cités pouvaient s’échanger leurs fluides sexuels. La maison, pas question ! De toutes les façons, il y a toujours un grand frère ou un de ses potes qui traînent, prêts à faire leur langue de pute entre deux deals ou deux roues arrières. Si c’était pour se retrouver au bled à grands coups de pompes dans le boule, autant s’abstenir et attendre le mariage…
À Bondy, les filles ne rêvent plus. Les lascars et leurs disquettes (comprendre, leurs grandes envolées de violons pour mieux profiter d’elles), elles les connaissent par cœur. Elles n’imaginent pas une seule seconde rencontrer un toubab du secteur pavillonnaire avec sa chambre privative derrière le garage familial, avec vue imprenable sur le canal, qui pourrait leur laisser croire, l’espace d’un soupir, qu’elles viennent de jouir à Venise. Non, à Bondy, on ne se mélange pas.
C’est fou comme dans les cités, on finit toujours par descendre. Les anciens, qui n’avaient de cesse de relater leur déniaisement tarifé sur le pavé, démarraient toujours leurs histoires par « un chéri, tu montes ? », laissant imaginer l’ascension pour le nirvana par paliers, la bite sous les draps et la tête sous les toits. Et bien aujourd’hui, dans les quartiers, c’est en bas que ça se passe, en dessous du niveau de vie, dans les caves. En quelques années, on est passé du paradis à l’enfer, de l’apesanteur à la pesanteur, du bleu azur au gris de dégoût. Certes, elles peuvent être un rien aménagées, ces caves, agrémentées d’un vieux canapé, ou d’un matelas ruiné. Il faut en vouloir : ça pue l’urine et les déchets, la bricole et les embrouilles. Du coup, on va à la baise comme à la guerre, parfois à plusieurs pour se donner du courage. (Au lieu de mettre une pote-ca, j’préfère mettre mon treillis kaki – killer)
Une fille, qui depuis longtemps s’est affranchie de notre fameuse règle voulant qu’on évite les histoires personnelles, lâche qu’elle préfère le local à poubelle, plus spacieux et qui ferme mieux. Là, debout, on y fait son affaire, le plus rapidement possible pour éviter les odeurs. L’infirmière me dira plus tard, que dans le lycée aussi, dans la chaufferie où les effluves d’humidité sont insupportables, certains y copulent pendant les intercours. Haut-le-cœur !
Et puis, l’info du jour tombe comme une dépêche AFP et circule de chaise en chaise, à la vitesse du smartphone arabe dans le quartier. Il y aurait au cinquième étage de l’Hôpital Jean Verdier à Bondy, un endroit où les jeunes se rencardent pour baiser. Coïncidence troublante ou ironie de la vie, le cinquième, c’est l’étage des prématurés, ce qui fait beaucoup marrer les filles… Certains grands auraient les clés d’un couloir abandonné et ce fameux hôtel de passe, hébergé malgré lui par l’hôpital, aurait déjà accueilli de nombreuses parties plus ou moins fines. Rumeur ou vérité ? Certaines filles semblent tellement sûres d’elles que je finis par ne plus douter qu’elles aient pu y goûter. Après vérification, l’hôpital Jean Verdier possède bien un service néo-nat au cinquième…
Après tout, on peut penser que dans un hôpital, c’est plus stérile et surtout plus confortable que sur les poubelles. Quand on sait qu’à Jean Verdier, plus de 5% des interruptions volontaires de grossesse concernent des mineures, on peut se dire que certaines, une fois de plus, n’ont eu qu’à descendre d’un étage ou deux…
Mais quelle trace je vais laisser si je ne fais pas de marmots – killer
Lectures :8889
Ce Dr Kpote a décidément bien du talent pour raconter ses aventures d’acteur de prévention. Un truc qui me fait marrer c’est que j’ai très bien connu ces endroits. Mais c’était dans les années 63-72. J’y ai été prof 2 ans et ce foutu Hôpital Jean Verdier je l’ai, hélas, bien connu, mon gamin ayant eu, à l’époque, un pépin de santé un peu sérieux. Mais je n’avais évidemment pas entendu parler de ce lieu de rencontre au 5e étage !
Par contre, dans un de ses textes précédents, il semblait déjà inquiet et attristé de l’évolution de la sexualité chez les jeunes, celui-ci confirme. Même un truc qui pourrait être aussi agréable, enrichissant et enthousiasmant que le sexe, voilà ce que l’évolution de la société en a fait, particulièrement dans ces coins-là. C’est bien triste.
Merci Léon. Bondy, visiblement ça nous parle mais ça ne passionne pas les foules…;)
Heu la passion,… j’ai travaillé à Saint Ouen, , Stains , Saint Denis , Aulnay , Sevran , Aubervilliers j’ai même habité un temps à Neuilly Plaisance dans un univers monochrome Brejnevien, pour finir en me faisant virer à Epinay par la seule relique de la SFIO.Bien des années avant le fameux congrès.
Je peux assurer que l’ordre bourgeois y trouvait des relais puissants dans un monde où officiellement on le combattait.
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La destruction de l’industrie a été accompagnée par un effondrement d’un système de valeurs et d’encadrement porté par des hiérarchies intermédiaires que les jeunes au premier chef n’avaient aucune raison d’entretenir et de vénérer .
Mes premières élèves lisaient Nous Deux et Intimité celles d’aujourd’hui avant 2007 sont scotchées aux stars factices des stars académies et télé réalité des stars du Rap…Tout un monde fantoche qu’ils reproduisent comme leurs grands mères reproduisaient Janique Aimée.
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Tout ça ne donne en effet pas une envie immédiate de deviser…mais nous sommes parfois mutiques sur DISONS
C’est toujours intéressant mais c’est vrai que c’est déprimant.
Je me demande comment Dr kpote fait pour tenir. Il doit y avoir sans doute parfois quelques victoires?
Ce ne sont pas vraiment des victoires Lapa, mais je suis surtout motivé par l’idée d’apporter un autre discours à celui ambiant, d’autres représentations, de vrais informations sur la transmission des IST, des risques de grossesse, des histoires de virginité etc. Des infos qui diffèrent de celles souvent tronquées par les parents, les pairs, le quartier, la religion… Et puis, il y a quand même des moments où je n’ai pas grand chose à raconter parce que tout se passe simplement, sans difficultés particulières. Quelquefois, je me sens usé, voire sali par les mots violents, insultants que j’ai enregistré toute la journée et les vacances tombent à pic. Mais j’aime vraiment ce boulot et l’engagement qu’il nécessite. Je ne le fais plus à plein temps (le social nourrit peu son homme) et du coup, je peux me ressourcer dans d’autres activités.
ok! merci pour ces précisions 🙂