Saint Denis était un instrument annonciateur. A partir de ce moment-là, toute paroisse voudra posséder un instrument au goût du jour. Les commandes se multiplient pour les maisons de facture d’orgue. Le répertoire s’adapte aux goûts de l’époque. Il en est donné un bref aperçu dans cet épisode assez musical qui jouera le rôle d’un interlude.
Le succès de l’entreprise Cavaillé-Coll
Aristide Cavaillé-Coll a réussi son entrée dans le monde Parisien. Scientifique et passionné, il n’en oublie pas moins d’être un homme d’affaires avisé sachant pertinemment tisser des relations fructueuses.
Le mariage, par exemple, est source de consolidation des liens amicaux et sociaux. L’ancienne église de La Trinité, le 3 février 1854 entend prononcer sa fidélité à l’Eglise et à son épouse Mademoiselle Adèle Blanc. Un mariage d’amour et un mariage d’affaires car son beau frère -Hyppolite Blanc- travaille au ministère des cultes. Celui-ci en fait le prestataire privilégié du gouvernement. La commande immédiate pour la construction d’un grand orgue en la cathédrale St Jean à Perpignan préparée deux jours auparavant atteste de cette complicité.
Cécile, Emmanuel et Gabriel, les trois enfants survivants du couple côtoient les artistes de toutes les disciplines, les scientifiques, les architectes, les dessinateurs et les peintres. Puis les Officiels et les représentants des Corps de l’Etat ; ceux du clergé etc… de considérables appuis et des relations.
Cavaillé-Coll flatte les gens de pouvoir : c’est sans doute l’une des clés de sa réussite que sa capacité de séduction avec la » machine orgue « . Par ses aspects mystérieux, fantastiques et ingénieux elle excite la curiosité. Jules Verne, Gustave Eiffel ne sont pas loin et plus proche encore, Victor Hugo. En 1853, en l’église Sainte-Geneviève à Paris que Napoléon III vient de confier à l’exercice du Culte pour manifester ce mariage de raison entre l’Etat et l’Empire, Aristide Cavaillé-Coll réalise un orgue de chœur et offre aussitôt ses services au Gouvernement pour la construction d’un grand orgue. Ce petit instrument à la destinée curieuse sonne aux obsèques de Victor-Hugo » qui entre au Panthéon » en 1885.
Après le décès du père Dominique en 1862, Aristide devient le patron de la société commandité par actions A.Cavaillé-Coll Fils & Cie qu’il mènera d’une main de fer dans les mutations industrielles et sociales du siècle.
En 1849 Aristide Cavaillé Coll était décoré du titre de facteur d’orgue de sa majesté et obtint la grande médaille d’or de l’exposition de 1855. En 1860, il soumit à l’Académie des Sciences une formule, connue aujourd’hui sous le nom de “loi de Cavaillé-Coll”, permettant d’obtenir une qualité de son et un timbre déterminés dans les tuyaux d’orgue en tenant compte des rapports existants entre leur hauteur, leur largeur et la pression qui les alimente.
De 1862 à 1865, il construisit notamment les grandes orgues de Saint Sulpice, pour en faire un instrument extraordinaire, l’un des plus grand du monde, reprenant toutes les caractéristiques de l’orgue de concert. 100 jeux répartis sur 5 claviers et pédalier associés à toutes les techniques modernes de l’époque pour en faire un véritable chef d’œuvre qui fut l’objet d’éloges des plus grands musiciens l’ayant essayé.
A ce moment-là l’orgue n’était plus un simple objet de musique liturgique, mais redevenu un véritable instrument-orchestre associé à la modernité et la science[1]. Ainsi par exemple, la console de l’instrument n’est plus coincée entre deux buffets et tournant le dos à la salle comme pour les instruments anciens, mais tournée vers la nef, détachée du buffet de l’orgue, mettant l’organiste en position de concertiste. De même à la console, de nombreux accessoires permettent de faciliter le jeu de l’organiste (doubles combinaisons, appels de jeux, accouplement en octave grave ou aiguë, pédale d’expression, de crescendo…).
à gauche: Console de l’orgue de Saint-Sulpice, tournée vers la nef et avec toutes les commodités
à droite: Une console classique, dite « en fenêtre », dos tourné à la nef.
De l’instrument liturgique à l’instrument de concert
Grâce à ces perfectionnements et à d’autres que nous verrons par la suite, la littérature, sur laquelle on reviendra plus en détail, permettra l’éclosion de pièces d’orgue romantiques et symphoniques, païennes pour la plupart. Et l’on retrouvera les plus grands compositeurs et organistes créer des pièces sans connotation religieuse particulière, adaptées aux sonorités extraordinaires qui sortent de l’instrument, utilisant toutes les possibilités sonores, seul ou en association avec un orchestre.
Pour vous mettre l’eau à la bouche, voici quelques exemples typiques de compositions concertantes à savourer!
Petit rappel:
Concernant les vidéos, j’ai essayé de les sélectionner suivant ces critères:
- qualité et intérêt du morceau
- qualité de l’interprétation ou de la registration et intérêt de l’instrument (adapté à l’époque ou au répertoire)
- qualité de l’information visuelle (jeu de l’organiste ou découverte d’œuvres d’art)
- et enfin seulement qualité sonore de l’enregistrement
Afin de trouver le meilleur compromis qui puisse vous intéresser. Je vous incite fortement à prendre du temps pour les regarder afin que le temps passé à vous les sélectionner ne soit pas perdu!
Si la musique de certaines vidéos vous intéresse, vous pouvez convertir en MP3 pour avoir juste le fichier son à partir de ce site.
Enfin pour avoir une meilleur qualité, vous pouvez ajouter &ftm=18 aux adresses des vidéos youtube que vous visionnez.
Les toccatas s’imposent comme des pièces brillantes où la virtuosité de l’organiste doit tirer parti des ressources sonores de son instrument:
On remarquera vers 1’22 les soufflets blancs en bas de l’image qui pilotent les tiges de l’abrégé et qui sont donc les soufflets de la machine Barker.
Les pièces finales de symphonies composée exclusivement pour orgue sont également éclatantes:
On passera outre la fausse note à 3’04 pour apprécier le jaillissement des jeux vers 4’10
Certaines pièces sont plus légères, comme le Boléro de Lefebure Wély
La religiosité n’est pas pour autant complètement mise de côté, en témoigne ce magnifique morceau pour orgue et orchestre de Guilmant:
Une des technique de registration de l’époque consiste à tirer tous les jeux du clavier du récit, anches comprises, et de fermer la boîte expressive pour obtenir un grondement lointain et assourdi. On appelle cela le demi-grand choeur.
Je vous encourage vivement à déguster cet aperçu, nous reviendrons plus en détail sur les différents types de musiques et morceaux. Le prochain épisode qui clôturera le XIXème siècle fera un aperçu de toutes les nouvelles techniques qui auront été mise en œuvre au cours du siècle.
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[1] Ce n’est pas pour rien qu’on retrouve un orgue dans le sous marin du capitaine Nemo!
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Rappel : les 11 chapitres précédents se trouvent ici.
Lectures :8583
profitez des vidéos, comme d’habitude, à moins que vous ayez un excellent système Hi-Fi chez vous, je vous conseille l’écoute au casque.
Félicitations à Lapa, je me suis régalé. J’ai surtout apprécié le Gigout et ai été stupéfait par la beauté du son obtenu en mélangeant l’orchestre et l’orgue sur le morceau de Guilmant. Suis-je le seul à avoir un décalage entre l’image et le son sur le Boléro ?
Un truc quand même qui me gène parfois ( par exemple sur le Louis Vierne) c’est la bouillie sonore que finit par être produite lorsque les notes sont rapides et les jeux très puissants. Sur le morceau de Louis Vierne la réverbération est énorme, près de 3 secondes, et je trouve étonnant que les compositeurs n’en tiennent pas compte.
En tous cas, une série d’articles qui honore vraiment Disons.
Merci bien! Alors oui effectivement y’a un décalage entre le son et le jeux pour le Boléro, bizarre je ne m’en étais pas rendu compte avant.:|
Pour Vierne, c’est une œuvre qui facilite rapidement la bouille (et il ya bien pire sur Youtube) là c’est vraiment très correct, la registration est bien, le rythme, un poil rapide (mais il a que 17 ans le gars) et les prises de vues intéressantes… Après faut voir aussi que la restitution n’est pas opti en bande passante par rapport à ce qu’on peut entendre live (saturation dans les graves, harmoniques absentes….).
Pour orgue et orchestre mais OUI ça va super bien ensemble, y’a qu’en France qu’on n’arrive pas à imaginer l’orgue comme partie intégrante de l’orchestre, mais on y reviendra.
Autre chose, quand je regarde la console de l’orgue de saint-Sulpice, j’ai quand même l’impression d’être face à quelque chose qui dépasse un peu l’humain. Une sorte de monstruosité. Un peu la même sensation que devant la Sagrada Familia de Gaudi. C’est fascinant…
Cette console est impressionnante, il faut imaginer la mécanique et la tubulaire pneumatique qu’il y a derrière! Elle reste cependant (à mon goût) très belle et très fonctionnelle, c’est un beau monstre.
Voici une console monstrueuse celle du fameux Wanamker l’un des plus grand orgue du monde: 6 claviers pour 28 482 tuyaux, 408 jeux, 463 rangs, un jeu de 64’ (Gravissima) 9 jeux de 32′, 14 plans sonores. De quoi faire joujou 😉
ou alors celle-là: le plus gros (forcément aux USA) : Atlantic City 😀
Arghhhh….
Cette toccata de Gigout je connaissais.
CQFD , je ne suis pas enfermé dans le baroque comme Léon voudrait le faire croire.
.
Si on veut bien me passer une autre analogie hasardeuse.
La machine Barker fait penser au joueur de cornemuse qui gonfle son instrument avant de jouer
….
Juste pour jouer.
Ce n’est pas pour rien qu’on en retrouve dans les films d’horreur des années 50/60
Un bon point pour Furtif!
concernant les films (mais pas que d’horreur voyons!) on retrouvera effectivement l’orgue de cinéma (theatre organ) qui est une branche très particulière qui méritera un épisode à part!
Ah oui effectivement , d’horreur et de vampires avec les premières filles un peu dénudées.