Si, dans un article précédent j’avais insisté sur le fait qu’il était possible de les évaluer et que donc elles ne se valaient pas toutes dans tous les domaines, je reste frappé a contrario par certaines originalités qui limitent leur portée universelle et interdisent largement les comparaisons.
Dans le domaine de l’image, il me semble difficile d’en trouver des exemples : peut-être les icônes, qui ne peuvent être réellement comprises que par les fidèles orthodoxes formés à leur langage symbolique, mais pour ce qui concerne la musique les exemples sont nombreux. Enoncer que la musique serait un « langage universel » est lieu commun totalement faux, une contrevérité pure et simple.
D’abord parce que la physique, l’acoustique ont permis des systèmes musicaux très différents dans le monde qui ont conditionné l’oreille des musiciens comme des auditeurs à percevoir des intervalles différents et à mémoriser des rythmes de complexité très variable.
Là où l’oreille occidentale formée aux 12 paliers de la gamme tempérée ne parvient à percevoir d’intervalle inférieur au demi-ton, l’oreille orientale est capable d’identifier des intervalles inférieurs au quart de ton, la musique indienne, par exemple, divise l’octave en 22 intervalles !
Là où l’auditeur occidental peine à aller au-delà d’un rythme à 4 temps, la musicien classique indien sait repérer des cycles de plusieurs dizaines de mesures différentes à 16, 14, 12, 10, 8, 7 ou 6 temps… Bien évidemment la communication entre les deux systèmes musicaux est quasiment impossible: un auditeur occidental ne comprend rien, ne peut strictement rien entendre de la musique indienne à part les sons produits par les instruments. En sens inverse, pour l’auditeur indien, une fugue de Bach n’est que du bruit, du n’importe quoi.
Pourquoi ces musiques sacrées héritées du soufisme andalou que je vous propose ci-dessous me touchent ? Je suis incapable de l’expliquer. Enfin, peut-être si. Mais je n’ai pas envie de chercher à expliquer. Pas encore…
Léon, quand tu affirmes que un « auditeur occidental ne comprend rien, ne peut strictement rien entendre de la musique indienne à part les sons produits par les instruments. En sens inverse, pour l’auditeur indien, une fugue de Bach n’est que du bruit, du n’importe quoi », je m’inscris en faux. J’écoute souvent de la musique classique indienne – mais aussi arabo-andalouse, par ex. – et ce n’est pas pour moi du bruit, mais de la très belle musique que je comprends très bien et qui me touche infiniment. Et puisqu’en ce moment je fais des nartics sur mes voyages, je peux te raconter une anecdote significative qui infirme complètement ton propos. En Inde, j’avais emmené quelques K7 dans mon sac-à-dos, entre autre le Concerto à la mémoire d’un ange d’Alban Berg et la 9e Symphonie de Beethoven dirigée par Fürtwängler. A Bénarès, j’étais devenu très pote avec un conducteur de rickshaw appartenant à la caste des intouchables, qui n’avait pas reçu d’éducation ni musicale ni autre, et qui ne connaissait que la musique traditionnelle indienne et bien entendu le rock que trimbalaient avec eux la plupart des routards. Bref il n’avait jamais entendu de musique classique occidentale. Un jour que j’écoutais la 9e, il est arrivé et a été frappé de stupeur et de ravissement en l’écoutant. Il en est devenu illico complètement fan, m’empruntant souvent la KZ pour la réécouter. Par contre, le Concerto de Berg, ça lui est passé entre les oreilles sans rien provoquer en lui qu’une totale indifférence.
Et lui et moi ne devons pas être les seuls dans ce cas…
J’ajoute que quand on écoute par ex. Shakti, de John McLaughlin & Subramaniam, on s’aperçoit que le mélange des musiques indiennes et occidentale peut produire quelque chose de magnifique.
Marsu tu prétends : « J’écoute souvent de la musique classique indienne – mais aussi arabo-andalouse, par ex. – et ce n’est pas pour moi du bruit, mais de la très belle musique que je comprends très bien et qui me touche infiniment. » Je n’y crois pas une seconde, c’est impossible. Les rares personnes que j’ai connues et qui pourraient l’affirmer ont passé au moins dix ans de leur vie à étudier à fond et de très près cette musique. Peut-être est-ce ton cas ? Sinon ne me raconte pas que tu es capable d’entendre la reprise d’un cycle rythmique de 20 ou 30 mesures et donc d’en apprécier une variante. C’est à peu près comme trouver beau un poème dans une langue dont on ne comprend pas un traitre mot. Oui, la poésie jouant aussi sur les sonorités, on peut se pâmer devant quelques assonances que l’on aurait repérées, mais quelle serait la valeur de l’affirmation selon laquelle on trouve ce poème « beau ». A peu près nulle…
Quant à ton exemple de la 9 e symphonie de Beethoven, il n’est en rien probant, en 1986, même au fin fond de l’Inde la musique occidentale a largement pénétré : il suffit d’écouter la variété indienne.
Quant à la video de Shakti et mac Laughlin, merci bien, si ça te touche, ça…
@ Léon
Je ne suis pas musicien, juste gratteur de guitare. Donc je ne « comprends » pas la musique comme tu peux le faire techniquement, toi. Mais mes oreilles la « comprennent » complètement, elles. Pour la 9e de Ludwig, tu te trompes : encore une fois, ce mec était un conducteur de rickshaw intouchable et analphabète qui n’avait jamais entendu de musique classique occidentale auparavant. Quant à cette version de Shakti, je reconnais qu’elle est vraiment pas terrible, surtout la prise de son, mais c’est tout ce que j’ai trouvé sur le ouèbe, qui n’est pas fait pour écouter ce genre de musique ; mais je l’ai en CD et je t’assure que c’est un superbe mariage… pour moi et pour bien d’autres !
Simple et compliqué à la fois .
J’ ai l’ impression que chacun perçoit les sons avec les oreilles qui sont les siennes . Tons , demis-tons , quarts de tons inclus . A l’ école pour chanter une gamme je me souviens d’ un copain qui chantait très sérieusement en sans trucage DO RE MI FA SOL LA SI DO sur exactement la même note de départ . Il entendait sans-doute pas , ou ne savait pas reproduire les hauteurs de son . Certains musiciens sont capables de mémoriser des partitions entières avec la valeur de chaque note , sa durée , hauteur et la façon de la jouer , la durée des silences , des altérations , dièses bémols et bécarres compris .
Ensuite certains musiciens de musique classique quand on leur demande de jouer un boogie-woogie sont incapables du moindre swing .
En dehors de cela , un enfant naissant dans un milieu où se trouve un piano accordé et dont les parents , le soir au coin du feu entend ses parents jouer du Bach elle au piano lui au violoncelle aura sûrement une autre perception non seulement de la musique mais également du monde . Il saura le son du piano , la vibration de la note grave jouée sur le violoncelle ce que guère de gens ont l’ occasion aujourd’hui d’ entendre .
Mais on peut encore en dire beaucoup sur le sujet .
Personnellement, j’ai peu de formation musicale, ayant été un cancre au conservatoire, et mes compétences s’arrêtent à la lecture de la clef de sol, et encore, quand je chante en chorale, c’est la mémoire des phrases musicales et des rapports de hauteurs et de rythmes entre les notes qui fait l’essentiel du travail.
En musique indienne, je peux dire quels interprètes me touchent et lesquels ne me font pas une aussi belle impression. Il est vrai aussi que mes interprètes favoris, comme les joueurs de sarod Allauddin Khan et Ali Akbar Khan ou les sitaristes Ravi Shankar ou Nikhil Banerjee, étaient dotés d’une grande liberté dans leurs variations, avec pas mal de fantaisie harmonique et de transformation du raag. Un musicien indien connu comme Vilayat Khan, plus axé sur la reprise d’un cycle rythmique moins modifié, ne m’a pas fait le même effet.
J’ai par contre bien moins d’accroches avec d’autres courants de la musique indienne. J’aime moins les styles dhrupad, plus austères, et moins la musique carnatique d’Inde du sud. Effectivement, il s’agit de ce qui est le plus éloigné de la culture musicale occidentale, elle repose plus sur la répétition des cycles et moins sur les ornementations et variations instrumentales. En ce sens, je comprends aussi très bien ce qu’a voulu dire Léon, il est fort possible que j’apprécie le plus, et pas par hasard, les musiciens indiens les plus proches de la tradition occidentale.
Mais vous ne me dites rien sur ces chants soufis que je vous propose… 🙁
Hélas Léon, je ne suis pas sur mon ordinateur personnel et ne puis mettre le son. 😉
Promis, je vous donnerai mon sentiment ce soir.
@ Léon
Ils sont magnifiques, ces chants soufis, s’cuse ! Je suis justement en train de numériser des K7 des méditations soufies sur ney entre deux chants grégoriens…
Rhhhaaaaââââââh, en musique il n’y vraiment que deux trucs qui me donnent des boutons : le rap et les chants grégoriens…
Rhhhaaaaââââââh, moi je déteste le rap et j’aime pas trop les chants liturgiques orthodoxes, les dégoûts et les douleurs, etc. !
@ LEON
Le problème posé ici, à savoir pourquoi on peut être sensible à telle ou telle forme musicale plutôt qu’à telle autre est des plus complexe. Dimension culturelle ? Education musicale ? Imprégnation ? Histoire personnelle de l’auditeur ? Vie pré-natale ?
Peut-être tout cela à la fois..
Ma première émotion musicale ? « Dans les steppes de l’Asie Centrale » de Borodine, j’avais cinq ans… Un an plus tard, la découverte des chansons de Woody Guthrie grâce à la très pédagogique (et idéologique aussi)collection éditée par « Le chant du monde »… Oum Kalsoum, chez la voisine, à neuf ans..
Pourquoi ces musiques plus que d’autres que j’ai aussi croisées dans ma première enfance ? Je serais incapable de répondre.. à part peut-être pour la musique égyptienne.. que j’associais à ma charmante voisine..
Je ne pense pas que telle ou telle musique provoque un choc par leurs qualités propres.. mais par ce que l’on y associe souvent..
GB
@ Gazi
Tiens c’est marrant, c’est moi aussi Dans les steppes de l’Asie centrale de Borodine qui m’a apporté mon premier émoi de musique classique, mais un peu plus tard, vers 12 ans. Je ne sais même plus comment je suis tombé sur ce disque : à la maison, on n’écoutait pas de musique, ma mère n’aimait pas ça et mon père n’avait que quelques mauvais disques d’opérettes qu’il ne mettait que très rarement sur la platine. Un an auparavant, à 11 ans, j’avais été bouleversé par la mort de Piaf, qui était et qui demeure une de mes chanteuses préférées. Un peu plus tard je ne sais pas comment est arrivé un disque des Etudes de Chopin accolé contre ceux d’opérettes. Un miracle sans doute. Je les ai écoutées et réécoutées très longtemps, c’était ça ou les opérettes (que j’aime bien aussi, mais à petites doses !), vu qu’il n’y avait rien d’autre à écouter à part Borodine, et aussi la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak, dont je me demande également comment elle a pu atterrir dans la squelettique discothèque familiale…
Salut Gazi !
Pour moi « Dimension culturelle, éducation musicale ou imprégnation » sont la même chose. C’est bien quelque chose qui est acquis. L’influence de l’écoute intra-utérine est une conjecture, mais c’est aussi une acquisition, finalement. Mon hypothèse est que la musique c’est 99 % de la culture avec les conséquences que cela entraîne.
@ LEON
99% !!?!
Diantre ! Ca fait tout de même beaucoup !
L’individu ne se conceverait que comme irrémédiablement conditionné par son contexte culturel ? En partie oui.. mais et son parcours personnel, et certaines rencontres fortuites mais marquantes, certaines associations avec des évènements tous personnels ?
Je me méfie tou autant du « tout-culturel » que du « tout-génétique », l’humain est complexe. Peut-être a-t-on un tout autant tendance à accentuer le poids du culturel qu’autrefois celui de l’appartenance sociale…
@ MARSUPILAMI
Il y aurait peut-être une étude intéressante à réaliser sur la discothèque classique de la famille française moyenne des Trente Glorieuses. Certaines oeuvres reviennent souvent dans les souvenirs de personnes qui ne baignaient pas dans un environnement familial spécialement amateur de musique classique..
Peut-être parfois certaines se retrouvaient-elles là grâce au bagout d’un démarcheur particulièrement doué au service d’un de ces « Club du Disque » ou par une de ces formules « Essai gratuit pendant quinze jours.. » que l’on trouvaient souvent au dos des magazines de programmes TV ?.
GB
Gazi, mon observation sur le tout-culturel ne concerne qu’un domaine bien précis, la musique, certainement pas l’ensemble de l’être humain. Ce qui n’est pas culturel en musique ne relève que de l’acoustique pure (consonances et dissonances par exemple) ou de la physiologie (la tendance aux rythmes binaires ). 99 % est sans doute trop, mais c’est histoire de dire que c’est l’essentiel.
Magnifique, Léon ! Merci pour ce grand moment ! Tout cela a déjà filé dans mes favoris…
Curieusement, danse et musique soufies me semblent très accessibles… d’emblée, on s’y sent de plein pied sans aucune initiation préalable… alors que la musique indienne est infiniment plus difficile d’accès, même si au bout d’un moment on arrive à planer…
très intéressant. Je ne pense pas que la musique soit universelle mais je pens e qu’il ne faut pas aller dans un lieu commun opposé quis erait qu’une personne indienne n’entrave rien à la musique de Bach. Il faudrait se plonger dans les nombreuses études effectuées sur la musique et les civilisations… Je n’ai pas d’a priori là dessus, je pense aussi comme Gazi que l’émotion musicale est aussi liée à notre histoire personnelle.
concernant notre tempéramment et nos douze séparations, cela est beaucoup dû à l’orgue et je le traiterai dans ma série, comme quoi on n’imagine pas comment des choses simples peuvent avoir un impact énorme sur tout une culture!
N’étant pas musicienne, j’hésite à intervenir sur votre sujet d’ordre musical. Mais il ma fait bien réfléchir…
Dans le domaine (que je connais mieux) de l’anthropologie en général, il me semble, Léon que votre comparaison serait encore plus évidente avec des structures musicales vraiment TRÈS différentes, telles qu’on les trouve en ethnologie, plutôt que la musique indienne, voire andalouse, et même peut-être « contemporaine » qui ont malgré tout des affinités avec notre expérience culturelle auditive.
Je me souvenais d’un ami féru de musique inuite et qui l’écoutait « jour et nuit »… C’était un peu à devenir fou : sensation de bruit et puissant ennui.
Dans mes souvenirs, c’était une musique structurée sur la récitation rythmée ou instrumentale et sur une seule note (si ! c’est possible).
« Grâce » à vous (je ne sais pas si je dois vous remercier… 🙂 ), je suis allée chercher sur le Ouèbe et voilà à quoi ça ressemble : Katajjaq (59 secondes) ou Assalalaa (38 secondes).
Ça vaut le coup d’y prêter l’oreille au moins une fois…
@ COLRE
Aaargl ! C’est vraiment hard, ta zique ! Triste topic, mâme l’anthropologiste ! Je crois que je préfère celle de Mari Boine Persen. Finalement, même si c’est une saami plus proche du pôle nord que des tropiques et donc pas loin des Inuits, c’est plus proche de la musique européenne que celle que font ces Inuits !
🙂 🙂 🙂
Eh oui… c’est vraiment une cause de divorce des goûts pareils !…
Sinon, ta musique, très acculturée, est évidemment plus proche de ce qu’aiment nos oreilles formatées de sales occidentaux… 8) C’est pas mal, d’ailleurs, à voir sur le long terme, car à la longue cela peut redevenir du bruit (comme la plupart de la variétoche actuelle que je vis comme une vraie soupe sonore !)
@ COLRE
Sûr que la zique de Mari Boine est plus acculturée que celle de tes sauvages à la Levi-Strauss ! C’est pas de la variétoche non plus, même s’il y aussi de la bonne soupe sonore. Et puisque et as comme moi l’air de goûter toutes les ziques sauf celle des Inuits, que penses-tu de Souad Massi et Susheela Raman ? Moi j’adore…
Colre, spécial effectivement… Mais je crois que la musique indienne est un meilleur exemple en raison de sa complexité. Là, pour la première on ne sait pas trop si c’est un âne en chaleur en train de braire, la deuxième un bébé qui s’amuse ? 😆
J’ai oublié de répondre à votre question, Léon, j’adore cette musique, mais il est vrai que j’adore toutes les musiques de ce style dit « traditionnel » : grecque, turque, israëlienne, yiddish, andalouse, raï, flamenco, fado, latino, tzigane…
Mais j’ai la même réaction qu’Arunah : je ne suis pas dépaysée du point de vue harmonique, elle est donc musicalement si différente ?
Colre : je suis comme vous et Arunah, je ne sais pas pourquoi cette musique dépayse peu… Et comme je l’ai dit je laisse un peu décanter, je n’ai pas trop envie d’analyser pour l’instant. Faut vous dire que c’est tout frais, je ne connaissais pas du tout je suis tombé par hasard dessus il y a deux jours.
Léon, j’ai beaucoup apprécié, mon passage préféré est la deuxième moitié de la seconde vidéo, avec une animation musicale qui va crescendo.
Je suis content de ne pas mourir idiot et d’avoir découvert la musique inuit, encore plus le deuxième extrait, mais je pense en rester là.
Avez-vous entendu parler du chant diphonique ? ( Chez les Mongols, mais pas seulement…) C’est une autre curiosité très intéressante: le chanteur arrive à produire deux notes en même temps. Les premiers voyageurs européens qui ont raconté cela, à l’époque, n’ont pas été crus…
Oh que oui Léon, j’ai un des mes meilleurs amis qui est un très grand connaisseur et joueur de musiques orientales, il m’avait montré ça sur un DVD documentaire, mais j’y ai trouvé un intérêt plus ethnographique que musical. Oui, j’ai entendu, mais si j’aurais su, j’aurais pas venu comme on dit. Trêve de plaisanteries, c’est assez stupéfiant à entendre, ça ne m’étonne pas que les témoins européens n’aient rencontré que de l’incrédulité.
Ne pas oublier que la musique est d’ abord un son .
La voix de la maman , du papa , de l’ oiseau , de l’eau qui coule , de la scie qui scie , de la cigogne qui caquète et de la cigale qui stridule .
Un oiseau dans un arbre , derrière une feuille qui peut en cacher une autre peut jouer la plus naturelle des symphonies .
Il ne connait ni la clé de fa ni la clé d’ ut , uniquement la clé de sol lorsqu’ il atterrit .
Le cycliste dont les câbles sont un peu rouillés nous interprète l’ air du frein avant en un grincement n’ ayant que peu à voir avec le beau vélo de Ravel ….
Léon,
A propos de votre discussion avec Gazi sur le « 99% culturel », je trouve que cela ne concerne pas « que » la musique. C’est une question biologique d’ordre général qui est évidemment d’autant plus cruciale pour les mammifères, et parmi eux les plus évolués : l’humain.
Les compétences (et performances) musicales sont une question que me semble en tout point superposable à celle du langage (qui a été plus étudié).
Vous savez, même la grammaire générative de Chomsky est en débat aujourd’hui, concurrencée par des modèles moins « innéistes » (voir par exemple, dans Pour la Science : « Cette conception classique se voit remise en cause depuis plusieurs années, au profit de l’idée que l’enfant acquiert sa langue en se conformant aux régularités statistiques de celle-ci »).
La musique, c’est un peu pareil.
J’avais une citation intéressante de Changeux que j’avais notée sur l’oeuvre d’art et ses relations avec les facultés cognitives… Je vais la chercher.
@ COLRE
Mais alors, qu’en est-il chez un enfant baignant très tôt dans deux langues différentes, comme un Alsacien ou un bébé passant d’une nounou qui parle une langue à ses parents qui en parlent une autre ?
GB
Gazi,
Si mes souvenirs sont bons : le cerveau (neuronal) cable les 2 systèmes phonologiques, syntaxiques et lexicaux par renforcement.
Je crois que c’est Changeux qui a dit : « apprendre, c’est oublier »…
@ colre
Assez d’accord avec la citation de Changeux… Passer d’un apprentissage linguistique à un autre, c’est se déconditionner pour se reconditionner.
Mais être confronté le plus tôt possible à deux systèmes linguistiques, si l’enfant entend deux langues simultanément mais correctement parlées, il acquiert ainsi très tôt une souplesse qui devrait lui permettre plus de facilités plus tard pour acquérir d’autres langues que sa langue maternelle.
GB
La voilà, j’ai retrouvé la citation de Changeux :
« Comment le cerveau peut-il composer des œuvres d’art?
?Au niveau cérébral, l’art n’apparaît donc qu’avec une évolution génétique qui amène au développement des capacités mentales. Les zones cérébrales sont génétiquement pré-définies, pré-câblées au cours de l’évolution. Sur ces zones, l’environnement joue un rôle en affinant les connexions entre les neurones.
Selon les stimulations externes, le cerveau se modèle, s’ajuste, interagit avec le monde extérieur. Les zones prédéfinies se spécialisent.
Ainsi nous apprenons le langage, l’écriture, la musique, les couleurs. Ce processus définit la mise en place d’une empreinte culturelle, où enveloppe génétique et espace de variabilité se marient. Le cerveau apprend et mobilise également des zones profondes liées aux émotions, au plaisir, à la peur »…
bonjour colre,
vous parlez de jean-pierre changeux, celui qui a écrit « l’homme neuronal » 😀
Moi c’est le Mononeuronal que je salutaupassage
Oui, claude, c’est cela : il a été professeur de neurobiologie au Collège de France. Il doit être en retraite maintenant.
Quand l’Homme neuronal est sorti, cela a été une vraie source de connaissance pour moi. Mais c’est vieux… J’ai été déçue par ses derniers livres, car je trouve qu’il écrit depuis « comme un cochon »…
Je crois qu’il fait de la traduction rapide de l’anglais et qu’il met bout à bout ses nartiks, de façon assez baclé, et le tout est un peu pénible.
Houla Colre, c’est du chinois pour moi. Pourriez-vous nous dire en deux mots (si c’est possible) de quoi qu’est-ce que il est question dans la grammaire générative ?
pardon pardon… 😳
Pour faire vite, Chomsky a conçu (dans les années 50) une théorie linguistique où la variabilité des structures grammaticales, dans les langues humaines, ne seraient pas « acquises » mais « innées ».
C’était évidemment révolutionnaire…
Ce modèle, s’opposant au « comportementalisme » (behaviorisme) de ces années-là, est devenu le paradigme principal en linguistique. Mais la théorie commence à vaciller…
@ Léon
Compliqué à dire en deux mots. Extrait de Wikipédia : « Selon l’axiome de la théorie générative, chaque locuteur partage une connaissance tacite de certains universaux linguistiques qui lui permettent d’apprendre sa langue maternelle. Toutefois, les langues varient les unes des autres et d’un locuteur à l’autre. En d’autres mots, la syntaxe est composée par des universaux et par des variables ». La grammaire générative est donc une sorte de structuralisme universel du langage. Cette théorie, d’obédience essentiellement étatsunienne, est aujourd’hui battue en brèche par des travaux expérimentaux sur des bébés qui ont montré qu’en-dessous de 3 mois environ, leurs babils étaient universels quelque soient la socioculture où ils sont nés, et que de 3 mois environ à 1 an, ils se spécialisaient en fonction de la régularité statistique des sons et émis entendus, ce qui fait qu’au début de la 2e année de vie, ils deviennent « sourds » aux sons autres que ceux de la langue de leurs parents, tout comme ils deviennent incapables d’émettre certains sons ne faisant pas partie de celle-ci.
Sur ce sujet, lire ce passionnant bouquin de Mehler & Dupoux, Naître humain. Et le site d’Emmanuel Depoux.
En fait, le débat, le combat, devrais-je dire, entre les tenants du tout culturel (acquis) et du tout naturel (inné), est loin d’être fini, en grande partie parce que la capacité à acquérir est… innée ! 🙂
Si l’on regarde la question purement musicale, quels sont les facteurs universaux ? le tempo, le rythme, l’harmonie (vs dissonnance), le timbre, la hauteur, l’intensité… Et avec tout ça, on fait des musiques qui vont des Inuits à Mozart…
Passionnant, ça, Colre. Vous devriez nous en faire un nartic… 😉
Quand Colre en parle c’est captivant, pour tout dire on en redemande , comme Léon. Mais quand on sait ce que des gens qui jargonnent à peine le « linguisme » en font pour se bâtir des carrières dans le monde de la psycho pédagogie, on devien t bien plus réticent.
Il faut savoir combien Chomsky et ses semblables ont servi d’alibi à des imposteurs de profession dans le monde de l’éducation jusqu’à la prétendue presse cioyenne
Je ne connais pas ce monde-là en particulier, mais le jargon est omniprésent dans bien des milieux, soit par incompétence (on ne sait pas, on cache son inculture, sa connerie, on imite la phraséologie…), soit par stratégie (les imbéciles sont bluffés et admirent ceux qu’ils ne comprennent pas)…
Le volapuk est le langage des imposteurs, par définition…
Sinon jour, j’ai essayé de me plonger dans des études de Chomsky (mais je ne suis pas linguiste) et c’était proprement incompréhensible…
@U FURTIF
Même phénomène pour la psycho.. Autrefois des gens pouvaient suivre une thérapie, entendre de leur psy qu’ils souffraient de conflits liés au refoulement de telle ou telle pulsion inconsciente dont ils n’auraient jamais soupçonné que de telles choses pouvaient agiter leur psyche… Ce type de révélation devait permettre un choc salutaire..
Aujourd’hui, rien de tel… Le patient en sait ou croit en savoir plus que le therapeute.. si tant est que celui ne soit pas non plus un charlatan jargonnant..
GB
areuh
areuh
c ‘est toi Bill ici babil
cher Léon,
merci pour votre article, car il m’a fait découvrir des choses que je ne connaissais pas.
comme je suis loin de posséder votre culture musicale, je ne pourrais donc pas discuter avec vous de la construction musicale.
si les compositeurs- musiciens ont besoin d’un minimum de technique et de règles pour écrire la musique (quoique des musiciens comme django reinhart ne savaient pas écrire une note de musique et ont pourtant laissé de belles pièces musicales), je crois que la musique fait surtout partie du dommaine de l’émotion.
je ne sais pas si vous connaissez l’émission de frédéric lopez « rendez-vous en terre inconnue« . le concept en est très simple : emmener une célébrité à la rencontre d’un peuple inconnu et de vivre comme eux pendant 3 semaines. l’émission qui en découle est riche en émotions, car les participants repectent les personnes qui les reçoivent.
la chanteuse zazie a fait pleurer les papous en interprétant une de ses chansons à la guitare sèche.
je ne me suis jamais interrogée sur la manière dont la musique a été écrite, car je reçois la reçoit de manière « brute ». petite, la « toccata et fuge en ré mineur » de bach me transportaient dans un univers fabuleux.elle mettait tous mes sens en émoi. aujourd’hui je retrouve cette même sensation avec 2 oeuvres : le réquiem de fauré et celui de mozart. c’est comme si je faisais corps avec le cosmos.
il est des musiques avec lesquelles je « vibre », et d’autres pas du tout : par exemple, je déteste les « lieder » de schubert, que je trouve prodigieusement ennuyants.
ne pensez-vous pas que l’on puisse saisir les nuances musicales que vous décrivez de manière instinctive, sans pour cela intellectualiser l’écriture du morceau?
quand nous sommes dans la nature, si nous tendons l’oreille, nous pouvons percevoir des millers de sons : les insectes, le bruissement des feuilles, les oiseaux, le bruit de nos pas sur l’ herbe ou sur le chemin… c’est une sorte de concerto unique, qui entrechoque, enmèle, mixe les rythmes et les réparties. je suis sûre qu’ un connaisseur de la musique comme vous l’êtes, y verrait de nombreux degrés de sons comme dans une gamme ainsi que des mesures à 2, 4 …16 temps.
Claude, la beauté ou l’harmonie d’un phénomène naturel n’est pas comparable à une oeuvre d’art pour moi… à moins que vous ne croyiez en un « Dieu », grand « Créateur » de cette harmonie.
Pour une émotion musicale, il faut « la main » de l’homme, son intentionalité, sa création : on reçoit son message.
Pour l’émission de Lopez, c’est en effet une vraie réussite. Cela doit bcp à Lopez qui organise ses projets de rencontre avec une véritable éthique.
colre,
je suis croyante, mais mon grand barbu à moi, n’a rien à voir avec la ligne officielle « du parti »… 😉
la nature en tant que telle n’est pas une « oeuvre d’art » dans le sens ou vous la définissez.
pourtant, sa beauté peut couper le souffle : un beau coucher de soleil n’est pas l’oeuvre de l’homme, pourtant si vous prennez un pinceau ou un appareil photo, cela peut en devenir une.
sans la beauté du monde, ou de l’univers, il n’y aurait pas d’art. l’homme transcende ce qu’il voit et ce qu’il entend.
j’essayais plus haut d’argumenter sur l’émotion que l’on peu ressentir lorsqu’on écoute de la musique, émotion qui peut être proche à celle ressentie devant la beauté de la nature. mais je me suis mal exprimée, je suis un peu fatiguée en ce moment…
Non, non, chère claude, c’était très clair… 😉 et en effet l’écoute musicale est directement connectée en profondeur sur le centre des émotions, dans le cerveau, ce qui explique l’extrême rapidité de perception de la musique : ça résonne en nous, de façon pratiquement inconsciente.
L’émerveillement que l’on peut ressentir devant un phénomène nature fait vibrer des ressorts émotionnels comparables, vous avez raison, mais il manque une à deux dimensions : celle du message, celle de l’artiste qui transmet (offre ?) sa représentation du monde…
Claude, bonjour. Je vous raconterais bien mon expérience de l’analyse de l’Alegretto de la 7e de Beethoven, mais ce serait trop long. En gros : pour me débarrasser de l’envoutement qu’exerçait sur moi cette musique, j’ai résolu, pour un devoir à rendre dans le cadre d’études de musique, de l’analyser. Au lieu que l’envoûtement cesse, il a décuplé… Pour moi, les grandes oeuvres artistiques sont celles qui donnent à manger à tout le monde, quelle que soient sa culture, son instruction, et qui résistent à toutes les analyses théoriques et intellectuelles…
Mais cela reste tout de même dans le cadre limité d’un environnement culturel donné.