Pour m’avoir fait naitre, j’ai toujours pensé que mes parents ne faisaient attention à rien.
Un dimanche midi après la messe, nous sommes à table dégustant le rôti traditionnel. Je n’ai jamais eu faim. Malgré les parasites de l’orage nous ne ratons pas grand chose de l’émission de Denise Glaser. Il n’était pas né celui qui nous aurait écarté du culte national de la chaine unique. Malgré les difficultés financières qui nous conduiront bientôt à Paris, nous sommes les seuls à avoir une tele au village, au fond de la vallée , une longue distance avec une antenne immense au dessus du toit.
Déjà poseur et donneur de leçons , je ne rate pas l’occasion et insiste :
« Ce n’est pas prudent »
« Ce n’est vraiment pas prudent »
Comme on m’a obligé à causer pointu depuis l’enfance , je ne loupe aucune occasion de leur faire regretter. Je n’oublie aucun membre de la négation.
Ma mère: « Pffff… »
Mon père : « Bahhhh… »
Mon frère: « ……….. » On cause pas à table.
L’orage en remet une couche de détonations et d’éclairs et… de parasites sur l’écran. On ne voit plus les images grises que par intermittence sur l’écran. Des épisodes très brefs de silhouettes grises au milieu de séquences de plus en plus longues de neige.
J’y « re vais » un petit coup de mon compliment:
« Vraiment ce n’est pas sérieux , on devrait éteindre. »
Un peu interloqué par mon assurance et beaucoup désemparé par une absence d’argument contre. Le père, un peu excédé: » Eh bien vas-y, coupe le bouzin ».
Je vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaitre. Le temps d’avant la télécommande.
Faire grincer la chaise sur le carrelage , indispensable pour se donner de l’importance, s’approcher du téléviseur avec beaucoup de componction dans la démarche et appuyer sur » la touche du bouzin » appellation répertoriée sur le grand livre des références techniques de la Maison Furtive et fils normes ISO 196… à ne pas confondre avec la variante « bistruck » adoptée pour les objets totalement inusités. Et là ?… Et là, un moment de grâce , une incompréhensible offrande du hasard et de l’inspiration.
Profitant de l’autorisation offerte du bout des lèvres par la puissance paternelle, j’en profitais pour outrepasser l’étendue de son domaine répertorié « éteindage du bouzin« . Je savais que j’encourrais les pires rétorsions. J’allais dans le périmètre inscrit de sa puissance, oser agir, sans en référer à sa toute omnipotence. Sachant très bien que le premier geste permis « d’éteindre le poste » était entaché d’un irrespect coupable, car fruit d’une idée qui n’était pas la sienne, j’aggravai mon cas par l’initiative d’un deuxième geste.
En une seconde , je sus à quoi allait être consacré l’après midi, et en un éclair je sus que la semaine suffirait à peine à faire oublier l’affront. Oser un geste sans consultation, un geste concernant l’objet sacré!
Comme en changeant de pied innocemment , je contournai le téléviseur la main gauche toujours sur la touche. Mon frère vrai gaucher lui avait compris tout de suite que je préparais quelque chose. Sinon pourquoi? Je me penchai et d’un geste dévoilant mon habitude je débranchai le coaxial.
Tout à fait conscient de l’orage de reproches qui allait s’abattre sur moi, je n’ose pas me retourner. J’entends déjà le cerveau de la bavarde s’entrainer à compléter les phrases de mon père. Ça va être le grand soir du remontage de bretelles.Que voulez vous les ados sont comme ça, ils se complaisent dans les embrouilles et les catas qu’ils ont eux mêmes engendrés. Même parfaitement soumis, on ne peut aller contre la loi des hormones.
Je recule, oui je sais, je recule trop lentement, ça va se voir que je n’en mène pas large. Ils vont en profiter. Tu parles, tout crie dans mes gestes que j’ai moi- même conscience d’avoir osé le pire du pire… Et là!… Là, à la deuxième seconde : un miracle ! Je frôle la mort ; alors que je n’ai pas encore eu le temps de m’installer dans le réconfort rassuré de l’homme prudent. L’homme de 13 ans voit apparaitre là juste sous ses yeux à hauteur de poitrine, au bout de son bras gauche s’il ne l’avait enfin abaissé fatigué de tant d’artificialité, une boule blanche de la taille d’un ventilateur ou du chapeau de ma mère si vous souhaitez un étalon plus courant. Là, sortant et suspendu un court instant au bout du coaxial, elle se déplace en flottant vers… vers moi.
Elle flotte et disparait en une explosion assourdissante qui me jette le cul par terre.
Ils bondissent , se lèvent et se rassoient. Finalement le chef prend la parole sous les regards de sa suite avide de replonger dans sa puissance rétablie, seule source de sécurité et de réconfort :
« T’as sauvé le poste »
Lectures :8344
J’ ai connu cette ambiance ‘ on cause pas à table , tiens-toi droit , on lèche pas l’ assiette ‘ . Mais nous on avait l’ avantage d’ être 9 enfants , y avait toujours possibilité que ce soit l’ autre qui avait fait la connerie .
Le boucan de l’ explosion est terrible .Chez nous l’ autre année , deux ou trois prises électrique ont fondu , le fil du téléphone a pris feu risquant d’ allumer la maison .
Bonjour à mon ami Tournesol . 💡
Bien que nettement plus jeune que vouzôtes, j’ai aussi connu cette ambiance qui nous obligeait, mes soeurs et moi, à lever le doigt pour espérer parler.
Et puis aussi la télécommande au « doigt de pied » (le gros orteil pour moi) et les récriminations à l’encontre de ceux qui « parlaient trop fort » pendant les films, et qui obligeaient à se lever pour forcer le son, puis à se relever pour aller le baisser (la « loi de la vexation universelle »…).
En revanche, jamais connu d’autre foudre que celle qui m’a chopé quand j’ai rencontré la casse-tête (baptisée ainsi en raison du fait que, bien que le la fréquentant depuis près de 28 ans, elle reste pour moi un mystère : comment se fait-il qu’elle ait pu s’attacher à une engeance pareille et pu croire en moi bien plus que je n’y crois moi-même ?).
C’est que j’habite la ville depuis tout petit, et en ville, les manifestations naturelles ont la fâcheuse manie de ne l’être que très peu, naturelles.
Sinon, comme d’habitude, quel style inimitable…de ceux qui vous rendent jaloux.
Bonjour !
ça a dû piquer!
Concernant les repas familiaux, la télévision était éteinte quand nous passions à table (c’est la mort de la convesration!). D’ailleurs à bien y réfléchir, la télévision était souvent éteinte, tellement, déjà à l’époque, la programmation navrait mes parents.
🙂
🙂
🙂
M’enfin Lapa
La seule qualité dont on se préoccupait à l’époque était celle du commentaire, et comme il était unique il était forcément incontestable ne s’adressant qu’à lui même.
Vous ne semblez, pas mon ami, très au fait de la chaude ambiance de certains foyers « à l’ancienne »
Le Furtif, il a une manière raconter qui ressemble à personne. Quand je pense qu’il a fallu supplier et menacer pour qu’il daigne enfin se mettre à écrire… 😆
Dans la même veine, mon pater nous interdisait de toucher au bouzin, un objet précieux pour l’époque qui coûtait des mois d’une paye d’ouvrier. Lui même s’interdisait de le tripoter. De toute façon, il ne savait même pas réparer une prise de courant. Tout juste de contentait-il de tourner la molette avec l’air que de celui qui sort d’un stage de formation professionnelle de chez Ducretet Thomson. Vers la fin, le bouzin était en fin de vie et s’il avait su que je lui prolongeai la vie à grand coup de poing sur le capot, il m’aurait sûrement tué. Alors le Dimanche, quand il suivait la cuisson des frites dans sa cuisine, l’oreille collée sur le transistor pour suivre le Tour de France, vlan un petit coup sur le bouzin pour le réveiller. M’enfin, pas question de louper la séquence du spectateur 8)
➡ ➡ ➡
boîte à mouchoirs
[Désolé…]
Boîte à mouchoirs…
magnifique! en vous lisant, j’entendais la voix de jean yanne me narrer votre histoire.
on pouvait entendre dans le fond du récit, le battement du balancier de l’horloge…
bravo et merci! 😀
j’ai connu aussi cette époque où les enfants ne parlaient pas à table;
où les mercredis étaient des jeudis, où l’on allait se coucher après « bonne nuit les petits » sauf les mercredis soirs parce qu’il y avait « la piste aux étoiles« …
le jeudi midi, nous étions, mes cousins et moi, scotchés devant l’écran pour suivre les aventures de rin-tin-tin suivie de celles de zorro… aventure que l’on ne manquait pas de reproduire, en mélangeant allègrement les 2 séries.
durant les vacances d’été, le dimanche soir, dans la salle à manger de ma grand-mère paternelle, pour le repas du soir, nous étions installés, le dos à la télévision avec interdiction de la regarder, parce qu’il y avait des films estampillés DU fameux « carré blanc » (qui était pourtant, fort logiquement, de forme rectangulaire) et désireux de nous instruire, nous nous contorsionnions pour jeter le plus discrètement possible, un coup d’oeuil furtif. à défaut, nous précipitions pour assurer le service, en prennant bien soin de ralentir le pas, une fois revenus dans la pièce.
je me souviens aussi des folles soirées passées devant « intervilles » : nous vibrions avec les vachettes, léon, simone et guy… et la « scéance du spectateur », annonçait le poulet rôti, doré à souhait et à la peau croustillante, du dimanche midi…
Comme j’ai deux mains gauches pleines de pouces et que je sais à peine insérer un lien, je me contente de celui-ci pour le générique de la séquence du spectateur : générique en images qui bougent et en sons qui vibrent !
Merde, j’mai fait doubler de deux minutes par Tyner…
Merci vous deux ,sans vous je n’aurais pas pu faire sentir( pas comprendre, sentir) que Brel , jacky Moulière bien sûr mais aussi Samson François, et Barenboïm tous ensemble dans mon souvenir ont ce délicieux parfum de frites…Bientôt faudra entamer la rédac du dimanche soir Bernard Gavoty et son accent pointu …on s’amusait à l’imiter….Mais le plus fort c’était de produire du Gavoty avec l’accent Gabaïe
Merci vous deux , vous trois, vous tous.
La vérité Claude ,
Le fameux Rusti et Rintintin , Interlude , l’ Inspecteur Bourrel dans son » mais c ‘est bien-sûr » les premiers Sherlock Holmes ses célèbres ‘ c ‘est élémentaire mon cher Watson ‘ ensuite le petit conservatoire de Mireille un peu plus tard , sinon les premiers Arsène Lupin , j’ ai aussi vu le couronnement de la Reine d’ Angleterre avec Stéphan Bern les caméras invisibles avec Jacques Roulland et Gérard ? Legros y en a elles étaient bidonnantes oups je retombe en enfance …
P’ tain Y en a un qui a suivi , c’ est Furtif .
Le Jacky Moulière , le chanteur qu ‘à l’ époque Henri Salvador voulait lancer , mettant des pubs dans Salut les Copains , j’ me suis toujours demandé s’ il s’ est lancé dans les moules-frites après avoir pas percé dans la chanson …
M’étonnerait pas que ce Moulière fasse la tournée des vieilles gloires éphémères avec les croisiéristes spécialisés dans la mémée ripolinée de plus de 60 ans.
Moi j’aurais mis le nartik du Furtif dans « tranches de vie ». Faut nourrir la rubrique…pour appâter la ménagère de plus de soixante ans 😆
Evidemment, Yohan, c’est une erreur qui vient d’être réparée…
Très belle évocation des soirées autour de la télévision, qui peut évoquer pas mal de choses aux moins de quarante ans, d’une part parce que la télécommande n’existait pas encore partout du temps de ma jeunesse, les vieux postes existant encore, et surtout, les « luttes de pouvoir » pour imposer les programmes ont continué, la possession de la télécommande a engendré des luttes de pouvoir féroces, vous pouvez me croire. 😉
P
J’ai envie d’y aller de ma petite évocation… Le poste de télé est apparu chez nous dans les années 56… Mon père avait acheté un poste Schneider , tout de bois noyer entouré…C’était effectivement précieux . Aussi le vendeur l’avait convaincu d’y adjoindre un régulateur de tension ,une gros boitier noir ,qui permettait de l’allumer par étapes , avec un voltmètre de contrôle… Et puis la soirée terminée , en général pas plus tard que 10h30 , il fallait recouvrir le poste avec une housse blanche… Certains ont parlé des programmes de l’époque…Il y avait aussi l’émission de Pierre Dumayet, Pierre Desgraupe et Pierre Sabagh ? « cinq colonnes à la une »… « La boite à sel » de Jacques Grello ,le dimanche qui faisait mes délices avec d’ autres « chansonniers »… Je me souviens d’une séquence savoureuse où nos chansonniers avaient collé un billet de 1000 francs anciens sur le trottoir , pour observer la réaction des passants : 1000 francs donc , ils faisaient mine de le ramasser discrètement sans insister , puis un autre billet de 5000 francs : le billet collé commençait à agacer…Enfin 10000 francs :là des gens revenaient avec un seau d’eau et un balai et le décollait ! Quelle rigolade pour nous , enfants…Il y a eu aussi le coup classique du porte feuille relié à un fil sur le trottoir qui se dérobait quand quelqu’un tentait de le ramasser…Mais les chansonniers , c’était aussi autre chose : de l’analyse, de l’humour dans une langue impeccable… Bien sûr ORTF , une seule chaîne… Nos voisins étaient invités parfois pour regarder avec nous « au théatre ce soir » ou la « piste aux étoiles » , » la tête et les jambes « …Il y avait aussi les films historiques de Stello Lorenzi.. Il y avait aussi des jeux d’érudition thématique où un concurrent pouvait arriver en cinquième semaine pour toucher le pactole :par exemple Balzac « sa vie son oeuvre » … Enfant j’entendais je ne sais pourquoi » salit son oeuvre » et c’était mystérieux : jamais je n’ai demandé des explications . Avant que mes parents ne se décident à acheter ce poste , ils ont été longtemps réticents , une commerçante , mercière , qui tenait boutique dans notre petite rue , invitait les gamins à suivre les émissions du jeudi après midi , dans son arrière boutique…Rintintin , Opalo Cassidy , Martin et Martine la première émission pour… Lire la suite »
C’est malin, d’avoir sauvé ce poste de télé qui aurait pu cramer une bonne fois pour toutes. Je ne vous félicite pas, môssieur Furtif, nonobstant cette tranche de vie dans la ligne de mire…
Bonjour ami Furtif, jolie tranche de passé sur ton éducation de choc ! mais déjà forte tête… 😉
Sinon, pas trop de nostalgie télé chez moi : n’y en avait pas à la maison.
Arrivée tardivement, avec la couleur.
Vue seulement, les dimanche, chez les amis des parents où on allait en visite.
La télé noir et blanc, pour moi, a une odeur de dimanche… (plutôt désagréable, d’ailleurs)
Pour moi, le pire souvenir de télé, c’était le générique du film du dimanche soir sur TF1.
C’est à cette heure-là que je me rappelais les devoirs non faits pendant le week-end et le retour en pension le lendemain matin…
Pareil ! « je hais les dimanche » ??????…
J’avais toujours des devoirs pas faits qui me pourrissaient la tête à l’approche du lundi matin !
Tiens ? J’ai du mal à comprendre comment après s’être lamenté des « mauvaises manières » d’un site où règne la censure soi-disant honnie (« sacrés farceurs, va ! ») et où les trois larrons se jettent avec tant d’ardeur dans des guerres picrocholines… j’ai du mal, donc, à comprendre pourquoi cette personne revient soudain vendre son machin à la porte d’entrée sans même s’excuser d’avoir craché sur le tapis à sa dernière visite.
comprends pas, Colre.
Je vois que nous sommes nombreux à avoir connu des dimanches soirs torrides plein de devoirs pas faits pour le lundi et son retour à l’internat
Pour reprendre l’échange entamé sous un autre article. Je me rappelle m’être fait punir exprès , donc avoir choisi de ne pas rentrer à la maison pendant 15 jours tout ça par pure pédagogie ( faire comprendre à quelqu’un que j’étais prêt à tout pour ne pas passer mon weekend à vendanger) Chose qui fut parfaitement comprise sans que la discussion ne soit jamais plus abordée.
@ Furtif
La première phrase de ton nartic est sublime, ce qui ne veut pas dire que le reste de cette tranche de télé(vie)sion n’est pas excellent !
Exact , cette première phrase vaut son pesant dans l’ anthologie des flores ilèges ….
De ce temps là je me souviens de Janique Aimée et du solex ___ j’ai eu un solex pour mon brevet ….