NB: Cet article est la réédition, légèrement corrigée, d’un texte qui avait été publié sur Agoravox en février 2009.
Une convocation urgente.
Mais son étonnement fait place à la stupéfaction lorsque son ministre de tutelle lui explique qu’il fait l’objet d’une sollicitation très spéciale de la part du comte Kawamura, ministre de la marine du Japon. A la demande de son collègue des affaires étrangères Freycinet, l’amiral est chargé de sonder l’ingénieur : accepterait-il une mission de trois ans comme conseiller auprès du département de la marine japonaise avec un contrat de 100 000 francs-or par an et le grade de shokumin, c’est-à-dire conseiller de l’empereur ? Bertin ému et flatté n’en croit pas ses oreilles. Non seulement c’est une fortune pour l’époque, mais lorsqu’il se fait expliquer sa mission et qu’il comprend qu’il s’agit ni plus ni moins que de créer de toutes pièces la flotte de guerre japonaise, il accepte immédiatement avec enthousiasme.
Mais une fois sorti du bureau, le doute l’envahit : trois ans dans ce pays au bout du monde avec son épouse et ses trois enfants… [1]. Certes, depuis le début de l’ère Meiji, le Japon se montre moins hostile aux étrangers, les puissances occidentales s’y bousculent même pour tenter d’y exercer leur influence et Bertin comprend bien qu’il est un pion inespéré avancé par la France au Pays du Soleil Levant et que la tâche sera difficile… Mais tout de même, pense-t-il, créer de toutes pièces la marine de guerre japonaise et pouvoir appliquer à une flotte entière ses conceptions qu’il a tant de mal à faire passer en France, c’est une proposition irrésistible… Le soir même, il parvient à téléphoner à son épouse qui se contente de lui demander « Quand partons-nous ? ». Rassuré de ce côté, il mesure tout de même la responsabilité qu’il vient de prendre: que se passerait-il pour le Japon, pour la France, pour lui-même et sa famille si jamais il se trompait ?
Louis-Emile Bertin
Louis-Emile Bertin est né dans une famille lorraine modeste, ses parents tenaient une mercerie-bonneterie à Nancy. Orphelin de père très jeune, c’est grâce à une bourse qu’il fait des études brillantes. Il est reçu à Polytechniques en 1858 et, à sa sortie, ce jeune homme qui n’a encore jamais vu la mer choisit un peu par hasard l’école du génie maritime, où il complétera sa formation pendant deux années supplémentaires. Il se marie à 22 ans avec Anne-Françoise Legrand, la fille du proviseur du Lycée Impérial. Il sera un moment tenté par le droit, mais assez rapidement la construction navale le passionnera et il s’y distinguera. (On trouvera dans l’article qui lui est consacré sur Wikipedia les inventions qui l’ont fait connaître).
L’état de la construction navale en 1885 et la doctrine dominante en matière de combat naval.
Selon les stratèges de l’époque, ce n’était d’ailleurs pas l’artillerie qui gagnait les batailles navales, mais l’éperon dont étaient munis les navires. Aussi l’ordre de bataille était-il le suivant : les flottes se présentaient de face, tiraient ce qu’elle pouvaient d’obus et fonçaient à toute vapeur pour tenter d’éperonner les navires adverses en profitant de leur masse énorme.
Louis Bertin avait une vision toute différente des choses et l’on est frappé de la cohérence de sa vision et de ses recherches. Pour lui les batailles navales seront, à l’avenir, gagnées par ceux qui pourront tirer vite, tirer avec précision et s’éloigner rapidement. Il est à noter que lorsqu’il exposa aux Japonais sa doctrine, ce dernier point fut assez mal perçu, car il fut un temps assimilé à de la lâcheté ! Pour lui les batailles navales se gagneront par la supériorité de feu et la mobilité et ce qu’il propose aux Japonais de construire est tout bonnement révolutionnaire : des bateaux plus petits pour la mobilité, plus stables pour la précision du tir, plus légers pour pouvoir recevoir des canons beaucoup plus nombreux, de plus petit calibre, mais à tir très rapide. Surtout ils seront montés sur des tourelles mobiles de manière que l’on puisse en mettre sur toute la longueur du bâtiment, celui-ci se présentant de flanc et non de face lors de la bataille et tournant ses canons vers l’adversaire. Etant bien entendu que seule une excellente stabilité du bateau rend possible ce tir de flanc avec une bonne précision.
Tout logiquement, l’ordre de marche de la flotte devient alors en file indienne et non de front.
Si les Japonais avaient décidé de se lancer dans une marine de guerre c’est, au départ, essentiellement pour contrer la Chine face à laquelle quelques années auparavant ils avaient subi une défaite écrasante, leur malheureuse flotte de petits navires légers n’ayant pu résister aux deux cuirassés de 7000 tonnes construits en Allemagne. Pourtant, ce n’est pas dans le sens du gigantisme que Bertin va travailler et il préférera, à budget équivalent, plusieurs navires plus petits construits selon ses conceptions qu’un seul de ces mastodontes.
La flotte construite par Bertin
Lorsqu’il quitte le Japon au printemps 1890 il aura fait construire un total de soixante-sept grandes unités navales ultra modernes : trois croiseurs cuirassés, deux avisos rapides , un croiseur de second rang , deux torpilleurs de haute mer, seize torpilleurs de 2e classe et vingt-quatre de 3e classe. Il s’agit d’unités très rapides [5]équipées de canons à tirs rapides ou de ces redoutables torpilles qui ont fait leur apparition et dont Bertin comprend immédiatement l’intérêt. D’ailleurs l’ingénieur réfléchit aux possibilités qu’il y aurait de créer un bâtiment lanceur qui serait submersible… Il rentre donc en France avec le sentiment d’une mission accomplie, mais il sait aussi que seule l’épreuve du feu, de véritables batailles navales pourront lui donner raison et valider son travail…
La guerre sino-japonaise et la bataille de Yalu
La victoire de la flotte japonaise, au large de l’embouchure du fleuve Yalu fut acquise en à peine une demi-journée : la flotte chinoise se présenta de face dans l’intention d’éperonner la flotte japonaise. Immédiatement l’amiral Ito, côté japonais, donna l’ordre de se mettre en ligne, une division s’approcha à 5000 m et ouvrit le feu, puis la colonne se divisa en deux et manœuvra à toute vitesse, une partie contourna la flotte chinoise, l’autre se précipita sur elle, tirant entre 2000 et 3000 obus à feu continu grâce au tir rapide… La défaite chinoise fut totale : 3 croiseurs lourds coulés, le 4e échoué, 5 cuirassés sur les 7 en flammes le 17 septembre 1894. Ce qui flottait encore fut achevé à coup de torpilles dans les jours qui suivirent.
« … en un mot, tous ces bateaux et tant d’autres qui sont le produit de votre remarquable talent et de votre infatigable travail ont rempli nos plus vigoureuses espérances et je n’hésite pas à vous présenter mes plus respectueux hommages d’admiration et d’estime.
La guerre russo-japonaise
Que le grand public en Europe s’en soit un peu désintéressé peut se comprendre. En revanche les experts militaires qui, dans certains pays, omirent d’analyser cette guerre et particulièrement cette bataille navale commirent une faute impardonnable. Surtout les Russes qui, entrant en guerre contre le Japon en 1904, furent conduits à gravement sous-évaluer la qualité de l’armée japonaise, et notamment de sa marine… [6]
La mémoire de Louis Bertin.
En son honneur un croiseur fut baptisé de son nom, mais depuis qu’il a été réformé et mis à la casse, on cherchera en vain une rue, une école ou un bâtiment public à son nom en France.
Il faut aller au Japon en baie de Tokyo, au bout de la jetée du port de Yokosuka pour y voir un monument à sa mémoire, avec son buste.
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On a perdu toute trace de Xavier. Quelqu’un aurait-il des nouvelles ?
Ahhh je comprends maintenant
C’est toujours intéressant l’histoire de ces personnages reconnus à l’étranger et oubliés dans leur propre pays.
Une carte pour la bataille dite du Yalu
Tiens mon Léon
Il est là ton Nartic depuis février 2009
Pas gênés les gars , ils citent agora vox mais pas le nom de l’auteur. C’est le grand Woueb si moyen du Pronétariat
La machine à vapeur préconisée par Bertin
.
à l’opposé de la traditionnelle moins facilement « protégeable » et moins performante
Le caisson Bertin
« … on cherchera en vain une rue, une école ou un bâtiment public à son nom en France. »
Euh…
Il y a des rues Emile Bertin à Paris (18°) à Nancy et à Brest.
Et même une Avenue Emile Bertin à ……. Montpellier. 😉
Très intéressant cet article Léon.
Euh,
Non, à Montpellier c’est pas le même Emile.
Oui, c’est vrai, je m’étais déjà fait reprendre là-dessus lors de sa première publication. 😆
Le problème, Buster, c’est que je n’ai absolument plus le temps de faire des articles de ce genre qui demandent énormément de travail de documentation. Mais j’avoue qu’avec l’article sur André Bruyère, c’est un de ceux dont je suis le plus content.
Il faudrait que je puisse arrêter Disons pendant un mois au moins, toutes les trois semaines à peu près. J’ai pourtant sous le coude au moins trois projets auxquels je pense depuis un moment. Mais trop compliqué Mais il y en a un sur lequel tu as peut-être des pistes à m’indiquer.
Je pense que les architectes comme les pouvoirs publics n’ont pas assez réfléchi au logement d’urgence, celui pour les sdf. Pour le logement social, c’est un peu pareil, même si là, la réflexion est un peu plus avancée.
Comment s’appellent ces sortes de casiers à sommeil au japon ?
Trouvé.
Bonjour,
Je préfère nettement le projet de Krystof Wodiczko, qui correspond mieux à mes vagabondages en solo : http://www.designboom.com/eng/archi/wodiczko.html
Il a été construit en série pour de bon et offert aux SDF.
Wodiczko est aussi le lauréat du concours pour le mémorial de l’esclavage réalisé à Nantes.
Merci beaucoup Zoé, cela fait partie de la doc que je cherche. C’est sérieux, où on peut-on trouver d’autres renseignements ?
J’ai envoyé un mél avec la doc. dont je dispose, car les photos ne passent pas
Suite : Krzysztof Wodiczko a également conçu une série de véhicules pratiques (Critical vehicles) destinés principalement aux sans-abri. On retrouve parmi ceux-ci le Homeless vehicles créé en 1988. Après avoir consulté de nombreux sans-abri de New York, il crée un véhicule multifonctionnel leur permettant de transporter leur bien, de se laver et de dormir à l’abri. « Les véhicules introduits dans la ville ont été confisqués par les autorités car ils mettaient en évidence le problème des sans-abri »[3].
voir article Wikipedia
Zoé, merci, mais n’utilisez plus ce mail-là, mais julescesar03@gmail.com