La caisse ! #PPCS >Hey merde #Diag( Jaddo)

4 mars, 2011
Il est 18h45.
Je suis à deux doigts d’écrire sur Twitter : « Ahahah trop peinard, je vais rentrer chez moi à 19h. #RicanementsOrgasmiques »
Et puis je me dis que ce serait sans doute pas fabuleusement constructif, comme tweet, alors je n’envoie pas.
Journée cool, des rendez-vous l’après-midi sans surcharge, avec des annulations de dernière minute qui transforme le « A l’aise » en « Super cool ».
Je reste donc sur mon tweet de l’avant-dernier patient que j’ai failli oublier de faire payer : « #Tip Venez me voir sur ma dernière demi-heure de boulot. Je suis détendue, je prends le temps et j’oublie de faire payer à chaque fois. »
J’accueille mon dernier patient. Je lui présente mes excuses pour les 15 minutes de retard. Il me sourit, il me dit c’est rien.
Je me souviens de lui, même si je ne l’ai pas vu souvent. Toujours le soir. Il était venu me parler de ses angoisses, on avait déjà passé plusieurs fins-de-soirée-tranquilles-y-a-personne-derrière-on-a-le-temps à les décortiquer.
Il vient pour un problème somatique, cette fois, qu’il commence à me raconter.

Ça sonne à l’interphone.

Je n’attends plus de patients, je suis sur rendez-vous, mais j’ouvre. Peut-être quelqu’un qui ne sait pas que je suis sur rendez-vous. Peut-être quelqu’un que je viens de voir et qui  me ramène l’ordonnance (Vous avez oublié de mettre « pour 3 mois » Docteur…), ou peut-être une urgence, comme la semaine dernière.
Enfin j’ouvre, quoi. Ça sonne, j’appuie sur le bouton qui ouvre. C’est Pavlovien.
Je dis à mon patient : « Excusez moi, je vous abandonne une minute, je n’attends plus personne, je vais voir qui c’est« .
Il me sourit, il me dit c’est rien.
J’ouvre la porte qui sépare le cabinet et le couloir.
Y a deux types. Plus grands que moi, un à droite, un à gauche. Ils sont habillés tout en noir, ils ont deux casques de moto sur la tête. Tout fermés, tout noirs, je ne vois pas leur visage, et ils ne disent rien.
J’ai reculé d’un demi-pas et ma bouche a dit « Ouh, vous me faites peur. »
A ce moment là, j’y croyais encore à moitié, que j’étais en train de leur dire gentiment « Ahahah mais enfin, faut pas sonner chez les gens comme ça avec des casques de moto, c’est un coup à leur faire peur« .
Et puis celui de droite a dit « La caisse. »
Enfin je crois, je ne sais plus trop bien ce qui s’est passé dans les 30 ou 40 secondes qui ont suivi.
Est-ce qu’il a dit « La caisse » avant que j’aille me rasseoir, est-ce que j’ai reculé toute seule, est-ce qu’il a dit autre chose, à quel moment ai-je vu le flingue… Dur à dire.
Je me suis retrouvé assise avec les mains en l’air comme les gars dans Top Chef qui doivent s’arrêter parce que TOP le chrono est fini, avec l’idée en tête qu’ils voulaient la caisse. Les détails sont flous.
Je suis très raisonnable, dans ces cas-là.
Enfin je dis « Je suis très raisonnable dans ces cas-là » comme si ça m’arrivait tous les quatre matins…
Non. Je me suis toujours dit « Si ça m’arrivait, je serais raisonnable, je donnerais tout sans broncher tant que nous pouvons rentrer moi et mon vagin en bonne santé à la maison. » Genre « Oh, et je peux vous signer un chèque si vous voulez ? Et attendez, j’ai une jolie montre au fond de mon sac, bougez pas… »
Je ne l’avais jamais mis à l’épreuve avant ce soir.

Bin figurez-vous que j’ai été super raisonnable.

Hyper stoïque, même. D’un calme olympien qui m’étonne encore à l’heure où je tape ces mots.
Comprenons-nous bien. Pas « Je fais style genre je suis calme alors que j’ai envie de me chier dessus à l’intérieur. » En vrai, hyper calme, rien dans le ventre ; que de la tranquillité. Passées les premières secondes d’hébétude où on réalise que c’est vraiment en train d’arriver.
Super calme.
Ils ont demandé la caisse, j’y ai donné la caisse.
Ils ont demandé ma carte bleue, j’y ai donné ma carte bleue. La perso, celle où j’ai moins de sous dessus que la pro (maligne comme un singe que je suis). Même pas essayé de refiler la périmée que je gardais dans mon portefeuille au cas où.
Ils ont demandé le code, j’y ai donné le code. Le vrai, sans broncher.
Monsieur n°1 (celui avec la lacrymo) est parti avec ma carte.
Monsieur n°2 (celui avec le flingue) est resté avec mon patient et moi.
Il a pris les sous de mon patient. Pas son chéquier, pas sa carte bleue qui étaient pourtant en évidence. J’ai réprimé l’envie de dire « Hey maiheu mais pourquoi vous prenez ma carte et pas la sienne ? C’est pas juste ! » : je suis carrément un super médecin.

Monsieur n°2 essayait de garder son calme, et je ne dis pas ça pour me balancer des fleurs mais il y arrivait beaucoup moins bien que moi.

Il a dit une fois ou deux que si on bougeait « il nous trouait ».
J’avais bien vu (ou cru voir ?) entre temps que son flingue était en plastique que même mon neveu de 4 ans il en aurait voulu un plus crédible.
Figurez-vous que j’ai quand même pas tenté le coup de « Tu bluffes Martoni ».
Il a demandé « Il est pas là le médecin de d’habitude ? »
J’ai dit que bah non, pas de bol, aujourd’hui c’était moi. J’ai ajouté « C’est mon jour de chance » dans un élan de bêtise.
Il s’est tourné vers mon patient, il a dit cette phrase, la seule que je regrette, la seule que je voudrais changer si une fée sortait ce soir d’un buisson en me disant que j’ai le droit de changer un seul truc à ma soirée de ce soir, il a dit à mon patient : « Et toi, on t’a jamais dit qu’il faut jamais aller chez le médecin après 18h ? »
Genre mais c’est bien connu, passé 18h on peut se faire braquer dans tous les cabinets médicaux de France et de Navarre. Merci pour la phrase, les gars, ça va me permettre de retourner bosser sereinement les prochaines semaines…
Là, j’ai dit le deuxième truc que je changerais si la fée patati-patata… ,  j’ai dit  : « Et moi je fais quoi ? Je change de métier ? »
Il a dit « Ouais. »
J’ai dit « Ok. » (c’était fini, les élans de bravoure)

Il a essayé de nous attacher les mains avec les espèces de trucs en plastique flexibles avec un cran d’arrêt qu’on fixe à l’endroit où on veut.

Juy ai dit que c’était ridicule, qu’il voyait bien qu’on était super sages et qu’on faisait tout ce qu’il voulait.
Il a quand même essayé de lier les poignets de mon patient.
Il tremblait un peu, et il a pas réussi. Il a clipsé le truc-qui-clipse beaucoup trop tôt, ça faisait une espèce de rond ridicule de 20 cm de diamètre qui pouvait pas lier les poignets de qui que ce soit. Il a dit « J’y arrive pas », avec son flingue en plastique.
On pourrait croire que ça aurait été le bon moment pour réagir un peu, ou pour planquer mon Iphone, mais nan, je suis restée bien sagement sur ma chaise avec les mains bien à plat sur le bureau.
Il m’a demandé « éhé ». J’ai dit « quoi ?? » . Il a répété « éhé !! » J’ai dit « Heuuu vous voulez que je sorte les pieds de sous le bureau ?? Heu, ok. » et j’ai sorti les pieds de sous le bureau.
Il a dit « NON ! LÉHÉS ! Pour fermer le bureau, là, pour fermer la porte. »
Je lui ai donné les clés. Il a dit qu’il partirait, qu’il fermerait et qu’il laisserait les clés dehors et que je pourrai les récupérer après.
J’ai demandé comment je pouvais récupérer les clés si il m’enfermait à l’intérieur, il a eu l’air de réfléchir à la question.

Monsieur n°1 tardait à revenir. N°2 m’a dit que j’avais intérêt à avoir donné le bon code. Je me suis bénie intérieurement d’avoir donné le bon code.

Il m’a répété que j’avais intérêt à avoir donné le bon code, sinon « il nous trouait tous ».
J’ai dit que j’avais donné le bon code, que peut-être il essayait de tirer plus que ce qu’il y avait sur mon compte, que dans ces cas-là forcément, mais que j’avais donné le bon code.
Il m’a demandé de le noter sur papier.
Je l’ai noté sur un papier.

Monsieur n°1 est revenu. M2 lui a demandé combien il avait eu, M1 a dit « Ça va, ça va, assez » (merci à ma banque et à son autorisation de découvert)

M2 a posé ma CB sur le bureau (heu, merci tout court)
Ils ont redit quelques menaces que j’ai oubliées (merci à mon cerveau et à sa mémoire sélective)
Ils allaient partir. M2 a vu mon Iphone que conne-comme-je-suis je n’avais pas planqué et l’a empoigné.
J’ai supplié. J’ai dit que non, vraiment, non,  mon IPhone c’était pas possible. Que j’avais des trucs trop importants dedans, des trucs professionnels, des trucs dont j’avais besoin.
Il a dit « Tu le veux pour la puce ? » et moi, dans mes neurones qui ne savaient plus ce qu’il y avait dans la puce et ce qu’il y avait dans la mémoire-même du téléphone, j’ai dit « Heuuu je veux pour ce qu’il y a dedans »
Alors il l’a jeté par terre. L’est tout fracassé, mon Iphone. Je vous ferais bien une photo si j’avais mon Iphone pour prendre la photo de mon Iphone, mais vous m’accorderez que c’est compliqué.
Je sais pas. Les flics plus tard ont pas compris. Quitte à le casser, autant le prendre, ils disaient. Et moi j’avais dit « Merci » pendant qu’ils fracassaient mon Iphone par terre.
Voilà,  mes braqueurs, avec leur flingue en plastique, avec leurs tremblements, avec leur « je te rends ta CB et j’essaie de te rendre tes clés », je crois que c’était pas des méchants-qui-ont-bourlingué. C’était des nouveaux-méchants-on-est-un-peu-perdus-mais-on-essaie-fort.
C’était « Ok, tu m’as attendri avec ton besoin viscéral de ton Iphone, mais je vais le casser QUAND MÊME pour que tu voies bien que c’est moi le chef. »
Ok, ça me va.

Ils sont partis.

J’ai éclaté en sanglots, devant mon patient un peu surpris visiblement de la fracture entre mon stoïcisme précédent et les hululements actuels. Jui ai dit que c’était pas grave, que j’étais une fille, que les filles ça pleure, que ça allait.
Il m’a tendu la main. Je l’ai prise.
Là, et putain je me demande ce qu’il y a dans mon cerveau mal-foutu, là, j’avais une idée en tête : finir ma consultation.

J’ai dit qu’on allait finir, qu’on allait appeler la police, qu’on allait appeler le Dr Carotte.

Et puis on a attendu. Parce qu’on ne savait pas trop bien quoi faire d’autre.
Pendant qu’on a attendu, et putain je me demande ce qu’il y a dans mon cerveau mal-foutu, j’ai twitté : « Salut, je viens de me faire braquer, bisous ! ».
On a attendu, on dit quelques phrases inutiles, on a gardé la bouche ouverte et le silence un moment.
Pis j’ai dit « Non mais en fait non, je suis vraiment désolée, mais on va pas finir la consult’, là, je vais pas y arriver. Visiblement y a pas d’urgence, vu ce que vous m’avez dit, vous reviendrez à l’occasion mais là je vais pas pouvoir. »

J’ai appelé le Dr Carotte, j’ai appelé le Dr Cerise pour lui dire que je pourrai sans doute pas aller bosser demain, j’ai pris le numéro de téléphone de mon patient, mon patient est parti par la fenêtre, je me suis sentie désolée pour cette consultation qui n’allait probablement pas contribuer à améliorer ses angoisses, j’ai appelé les flics.

Les flics sont arrivés. Ils sont entrés par la fenêtre. Je vous passe le moment d’incertitude entre quand ça a frappé à la fenêtre et quand j’ai entendu « Madame ! Police ! » .
J’ai ouvert la fenêtre et ma bouche a dit « Oh ça va oh c’est vraiment la police » .
J’ai repleuré un coup, en disant pardon, pardon, ça va passer.
Après comme dans les films, on a pris des photos, on m’a demandé 15 fois de répéter 15 fois la même chose, on a pris mes empreintes.
J’ai demandé si du coup je ne pouvais plus tuer quelqu’un rapport qu’ils avaient mes empreintes, ils ont dit que non, ce serait détruit après l’enquête. Une petite folle hystérique attardée au fond de moi a été déçue.
Pendant ce temps, j’ai appelé ma sœur, j’ai appelé ma mère, j’ai appelé mon meilleur ami, j’ai appelé ma banque, j’ai eu 150 messages de soutien sur Twitter.
Demain, je dois aller au commissariat pour re-porter plainte.
Mon ventre va bien.
Ma tête se demande si mon ventre ira bien la semaine prochaine à 18h.
Ma tête craint qu’il n’y ait pas beaucoup de messages rationnels pour la rassurer. Non, ce n’est pas un hasard ; non, ça ne peut pas forcément ne plus arriver ; oui, le message « Y a un Docteur hyper docile qui donne son n° de CB, et puis jolie avec des bottes toute seule à partir de 19h » peut circuler.
On va voir.
En attendant, j’ai des choses à faire, des parents à rassurer, et à m’occuper de moi.
Même s’ils avaient un flingue en plastique et qu’ils étaient pas fichus d’attacher des poignets correctement.
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9 Commentaires
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Causette
Causette
29 juin 2011 11 h 41 min

ça fait froid dans l’dos! j’avais déjà lu ce témoignage sur le site de Jaddo.
Bonjour à tous

En 2001, le Comité interministériel des villes, présidé par Lionel Jospin, avait débloqué 35 milliards de francs (5,34 milliards d’euros) pour réhabiliter les quartiers sinistrés. Objectif: sécurisé les professionnels de la santé et les inciter à revenir dans les quartiers dits « sensibles »!

Médecin: métier à risque
http://www.youtube.com/watch?v=ghc60tOr_cM&feature=player_embedded

yohan
yohan
29 juin 2011 13 h 51 min

Je l’avais lu aussi. Nous avons un médecin généraliste dans notre immeuble qui a son cabinet en banlieue Est. Il m’avait confié que certains de ses confrères avaient subi des agressions de ce genre. « Heureusement », lui n’a guère subi jusqu’ici que des menaces de clients pour des arrêts maladie refusés. En tout cas, il vient tout juste de prendre sa retraite, lui qui disait vouloir continuer un peu.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
29 juin 2011 15 h 55 min

Je ne comprends pas qu’on puisse à ce point ne pas remercier le destin d’avoir eu à faire à des braqueurs modérés.
Les modérés , c’est pourtant la seule voie du respect mutuel et du vivre ensemble

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
29 juin 2011 21 h 39 min
Reply to  D. Furtif

C’était notre jeu concours de l’été

Si quelqu’un comprend quelque chose au commentaire au dessus , il a gagné un abonnement gratuit.
Vraiment , il y a des jours où vraiment….

Causette
Causette
29 juin 2011 22 h 16 min
Reply to  D. Furtif

Des modérés décompléxés!

Lapa
Administrateur
Lapa
29 juin 2011 17 h 02 min

d’habitude l’amateurisme peut apporter de la sympathie et relativiser l’affaire. néanmoins je n’y arrive pas. C’est même pire: ils devaient en être à un de leur premier braquage: ç’aurait été le bon moment qu’ils comprennent que ce n’est pas une bonne voie, que le truc foire pour qu’ils se disent « plus jamais ». Or Ils ne retiendront qu’il est facile de terroriser les gens avec des casques et des flingues en plastoques, qu’il est plus aisé de se faire du pognon rapidement en braquant des gens sans défense qu’en allant bosser. Que la lâcheté et la malhonnêteté payent bien.

jusqu’au jour où arrivera le drame…

yohan
yohan
29 juin 2011 23 h 33 min

Je suggère qu’on retienne l’appellation de « braqueur modéré ». Tout à fait adapté aux tenants de la galerie d’à côté pour qui tout est modéré sauf les flics 😆

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
29 juin 2011 23 h 51 min

Merci Yohan, tu es sur la bonne voie. Mais…
Mais l’idéal serait de sortir une solution super chiadée et extrêmement géniale comme ça je pourrais dire « voilà c’est ça » , et je paraitrais hachtement profond et intelligent…
.
Moi je dis ça , je dis rien , c’est vous qui voyez…

ranta
ranta
30 juin 2011 6 h 45 min

Ah cette Jaddo ! Quand je pense que MOI mon I phone il a fallu que je l’éclate tout seul comme un grand :twisted J’ai toujours ressenti une pointe de jalousie à l’égard de ces gens pour lesquels il se trouve toujours quelqu’un d’autre pour faire le boulot à leur place.