IgorVitaliévitch Savitsky
Cette histoire ahurissante, dont j’ai entendu parler la première fois dans le livre d’Erik Orsenna « Voyages aux pays du coton », est celle d’un jeune homme nommé Igor Vitaliévitch Savitsky, archéologue de métier et peintre, que sa mauvaise santé dispensa du front de la 2e guerre mondiale et qui, durant le conflit, atterrit et se fixa à Samarkande en Ouzbékistan.
À la fin de la Guerre, en plein stalinisme triomphant, Jdanov, l’âme damnée du « petit père des peuples », décréta la mobilisation des artistes à la construction d’un art pour le peuple, et ils furent sommés de renoncer à leurs préoccupations petites-bourgeoises et individualistes : le réalisme socialiste soviétique était né…
Ceux qui n’obéissaient pas furent exclus de tout soutien officiel, rentrèrent en clandestinité… et misère, ils furent même parfois persécutés, exécutés, internés dans des hôpitaux psychiatriques, envoyés au goulag.
D’où va lui venir cette idée saugrenue et courageuse, héroïque même ? nul ne sait – mais Igor Savitsky décide alors de sauver et cacher ces œuvres devenues maudites. Il cherche un lieu, le plus loin possible du pouvoir central, dans un coin déshérité de l’URSS, qui n’intéresse personne, et finit par trouver en Ouzbekistan une petite ville de province, une sorte de trou noir de l’URSS, la ville de Noukous, qu’Orsenna décrit ainsi :
« […] quelle force aurait pu m’arracher de Khiva, » la perle des oasis « , pour me conduire à cette horreur de ville que l’on appelle Noukous ? Au milieu du désert, un concentré d’urbanisme soviétique, ce cocktail inimitable d’avenues démesurées, d’immeubles délabrés, de parcs vides que surplombe une grande roue immobile, d’esplanades infinies plantées de statues héroïques… Les alentours sont pires. »
C’est là qu’il va, sur trente ans de recherche obstinée, cacher 7 452 peintures, 25 223 desseins, 1 322 sculptures d’art non autorisé qu’il va recueillir dans toute l’URSS. Véritables enquêtes policières qui le mènent dans des appartements miséreux, des villages sordides… Aux artistes eux-mêmes, à leurs veuves, à leurs enfants il explique son projet et les persuade de lui confier les œuvres afin de les réunir et les mettre à l’abri en attendant des jours meilleurs… Ce n’est qu’en 1966 qu’on finit par le nommer directeur de cet improbable « Musée de Noukous » qui, dans un premier temps ne bénéficia d’aucune notoriété ni de locaux appropriés.
Igor Vitaliévitch Savitsky décède en 1984, à la veille de la perestroïka et sans voir l’aboutissement de son œuvre. C’est son assistante, Marinika Babanazarova, qui va porter à bout de bras ce projet et résister de toutes ses forces aux pillards de toutes sortes qui tenteront de disperser cette collection unique. Pillards qui peuvent aussi bien être des oligarques, des potentats locaux que de grands musées européens…
Ces artistes sont totalement inconnus en dehors des spécialistes, mais les rares photos de ces œuvres que l’on peut voir ici et là sur Internet montrent qu’il s’agit d’œuvres d’art exceptionnelles . Une sorte de « chaînon manquant » peut-être, de l’art du XXe siècle.
En 2002, les autorités, pour le moins ubuesques, de l’Ouzbékistan devenu indépendant, ont fini par faire construire une sorte de blockhaus de béton pompeusement baptisé « Musée Savitsky ».
Et Marinika Babanazarova continue de résister aux pillards…
Un excellent article de Télérama sur le sujet.
Une galerie de quelques oeuvres du musée.
Bonjour Léon,
il me semblait bien avoir déjà lu ça quelque part 😉 sympa de remettre l’article ne ligne.
je ne connaissais pas. Dure dilemme quand même; car peut-être que vendre quelques toile permettrait de mieux conserver le reste et de le rendre plus accessible? mais je respecte beaucoup son combat en tout cas.