Le 16 mai dernier, sur France Inter, Isabelle Giordano consacrait son émission au sujet, ô combien sensible, de l’orientation scolaire.
Son titre » Orientation, qui choisit vraiment? « était justement fort bien choisi.
Pour autant, malgré les remarques pleines de bon sens des invités es-qualité, les inévitables poncifs sur le choix des filières, sans oublier les stupidités commises par certains professionnels de l’orientation scolaire, épinglées comme il se doit par les commentateurs, sont ressortis comme souvent, lorsqu’il s’agit d’évoquer l’orientation telle que subie.
Parmi les différents posts laissés sur le blog de l’émission, je me suis permis d’en relever certains, entre acrimonie et bon sens, et qui permettent d’esquisser néanmoins quelques directions, elles aussi de bon sens.
Bien sûr, il faut garder à l’esprit que ceux qui ont bien vécu cet épisode, viennent plus rarement témoigner.
Pascal « J’ai toujours voulu être menuisier, mais mes résultats scolaires étaient trop bons. Alors j’ai fait une filière générale, puis la fac (bac +3). Tout cela ne m’a servi à rien. Mes parents croyaient en la parole du conseiller comme à celle du messie. Aujourd’hui, je suis éducateur spécialisé et révolté pas l’orientation que j’ai subi. »
C’est toujours aussi vrai. Professeurs et parents sont de mêche pour pousser un bon élève le plus loin possible, ce qui peut effectivement léser le futur adulte dans le choix qui est le sien, surtout si le projet est très ancré et très affirmé.
Néanmoins, on peut aussi dire à Pascal qu’il n’est jamais trop tard pour changer de métier. Le Congé Individuel de Formation est fait pour cela. Mais en aura-t-il encore l’envie et le courage… S’il déteste son métier, il n’est pas trop tard d’en changer.. et ruminer est stérile….
Jacques « Quand j’ai eu affaire dans les années 80 à une conseillère d’orientation, elle nous a proposé des filières sans vraiment tenir compte de nos goûts… Cela a été une vraie cata… Ma vie a pris une direction qui n’était pas celle que je voulais… Son avis est resté « marqué à l’encre rouge » et je n’ai pas pu sortir de cette ornière dans mon dossier scolaire… Petite blague, certes de mauvais goût,…n’oublions jamais qu’Hitler s’est vu refuser par un conseiller d’orientation l’entrée à aux Beaux Arts. Il voulait devenir « artiste peintre » A méditer ! »
La remarque est vacharde, mais à méditer effectivement. Il ne faut jamais forcer quiconque à aller contre ses goûts. C’est pourtant une règle d’or régulièrement transgressée, la faute à un système débilitant qui perdure et qui contraint chaque année d’alimenter, vaille que vaille, le vivier des Lycées Professionnels, maintenus dans un relatif coma artificiel. Là, où l’apprentissage choisi réussit des prouesses, les LP peinent à séduire et laissent quantité de jeunes sur le carreau et en panne d’avenir au sortir des filières CAP, BEP.
Samira « Je fais partie des premiers emplois-jeunes recrutés au début des années 2000. La conseillère technique de la mission locale m’a découragée me disant de ne pas m’attendre à un quelconque débouché. Cela fait bientôt 11 ans que je travaille au sein du service culturel de ma ville, et j’exerce le métier que j’ai toujours voulu faire ».
Pourquoi faut-il que les conseillers se risquent à de telles prévisions, alors qu’ils ne sont pas devins ? Donner conseil ne signifie en rien jouer les Madame Soleil. Projeter ses propres représentations est justement ce qu’un professionnel de l’orientation se doit d’éviter à tout prix.
Ouzou « J’ai 40 ans et je travaille dans un service RH en tant que chargée de mission Carrière : J’aurais bien aimé être conseiller d’orientation pour aider les jeunes à faire ce choix difficile… mais pas possible : il faut avoir fait psycho à la Fac. Sauf qu’à mon époque à la Fac : tous ceux qui ne savaient justement pas quoi faire allaient en psycho…
Saluons ce trait d’humour savoureux. Notons qu’Ouzou ne s’est pas totalement écartée de son choix initial, puisqu’elle accompagne aujourd’hui des adultes dans leur choix de carrière. Ouzou devrait savoir aussi qu’aujourd’hui les conseillers d’orientation actifs ne sont plus très nombreux et que leur métier, après avoir été beaucoup décrié, est maintenant menacé d’extinction.
Dominique : « J’ai 27 ans et lorsque j’en avais 17 et que j’étais en 1ère L, j’ai pris la meilleure décision de ma vie : celle de ne pas poursuivre mes études supérieures directement après le lycée. Je suis partie à Hong-Kong pour une année d’échange. Cette année m’a permis de faire le point, de réfléchir à ce que je voulais, à faire les bons choix pour mon futur. Je vous écris aujourd’hui de Taiwan ou j’ai un travail et une vie que j’aime.
Je milite depuis des années pour l’instauration d’une année sabbatique après le baccalauréat, non pour tous, mais pour ceux qui ont besoin d’un répit pour apprendre à se connaître, trouver ses propres limites au travers de voyages, d’une expérience militante ou humanitaire, ou se confronter au monde du travail pour clarifier ses intérêts et bien d’autres choses encore. Il existe bien d’autres voies possibles, encore faut-il permettre à celui qui veut attendre de retrouver une place dans le train express ensuite.
Juanita « pourquoi forcer les jeunes à choisir aussi tôt leur orientation, au lieu de les laisser faire leurs propres expériences dans le monde professionnel, comme cela peut être le cas dans d’autres pays européens tels que l’Allemagne ou les pays scandinave ? Au moins, ils pourraient choisir en connaissance de cause… »
La maturité vocationnelle n’est pas donnée à tous au même moment. Certains savent à 14 ans ce qu’ils veulent faire demain, d’autres mettront bien plus de temps pour y parvenir.
Christian : Lors d’une réunion organisée par la fédération de parents d’élèves dont j’étais le président local, j’ai entendu une conseillère dire (de mémoire) « J’ai dû dire à un élève de petit gabarit qu’il ne pouvait pas devenir boucher comme il l’espérait ». N’était-elle pas restée au stéréotype du fort des halles ? Quand avait-elle quitté pour la dernière fois son bureau du CIO pour rencontrer des professionnels ?
Voilà les fameux stéréotypes, ceux qui brisent bien des carrières et des espoirs. Consternant, quand on sait que la boucherie est un secteur qui se plaint de manière récurrente de la difficulté d’attirer des jeunes. Les conseillers sont-ils assez bien formés aux réalités des métiers ? Devraient-ils savoir également que beaucoup de culturistes sont d’anciens chétifs ?
M’enfin ! quand cessera t-on de dire et de faire autant de conneries ?
Il y aurait encore tant à dire, à dénoncer et bien des pistes de bon sens à suggérer.
Et comme dit Martine qui n’oublie pas, tout comme moi, cette réplique culte tirée du film le « Péril Jeune » : « Le jeune est tourné vers l’avenir, mais aujourd’hui l’avenir ne se tourne plus vers le jeune, doit-il aborder l’avenir en lui tournant le dos… le jeune ?
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eh oui,combien de compétences étouffées par l’incompétence des orientateurs …
mon fils aîné qui ne foutait rien au collège avait été pressenti comme bon pour faire garçon de café,en fait il s’emmerdait en classe,un prof de maths cependant qu’il l’avait pris en sympathie l’a réveillé parce qu’ils avaient une passion commune : l’aviation ….
bon alors je raccourcis un peu l’historique …mon fils a fait sa terminale C au Lycée militaire d’Aix pour bosser sans être distrait …une fois le bac en poche,ses prépas Maths sup et Math spé au Lycée F1 à Fontainebleau, reçu au concours commun,intégra l’école d’Ingénieurs Louis de Broglie,ensuite élève Officier à EMS de St Cyr Coetquidan,puis Ingénieur chez Thomson,puis sur recommandation entre à L’EOGN de Melun,puis à la sortie,Commandant en second de l’Escadron départemental de Sécurité Routière de l’Ain,puis muté avec le grade de Capitaine à Rosny S/S Bois à l’IRCGN,ensuite repasse un autre diplôme d’ingénieur à l’ENSTA,fait un stage à Polytechnique Montréal,promu Chef d’escadron ( commandant) occupe actuellement de hautes fonctions au sein de la Défense Nationale et du Ministère de L’Intérieur !
j’ai du mal à l’imaginer en garçon de café !
je ne parlerai pas de mon deuxième Fils,lui aussi pressenti comme employé de voirie,actuellement cadre commercial,et membre du jury pour le Bac Pro ( branche commerciale et vente )
Je constate que les choses n’ont pas changé depuis que je me suis souciée, il y a une dizaine d’années, de l’orientation de mes enfants.
Ma fille étant très brillante mais ne sachant que faire, a vu une conseillère qui l’a orientée vers …le secrétariat de direction. Elle a par la suite réussi sa première année de droit du premier coup, ce qui est rare, et est directrice de com.
Mon fils, il n’avait pas de « profil », le pauvre. Aujourd’hui, il est ingénieur en informatique et n’a aucun problème pour trouver du taf. C’est vrai, c’était un « late blumer » (celui qui fleurit tardivement) et; à 15 ans, aucune filière ne l’attirait particulièrement. Heureusement j’ai trouvé l’Epitech, une école privée, dont le diplôme est très prisé.
Je suis étonnée de constater que, malgré des directives, les filles sont toujours orientées vers des filières de boniches, qu’elles sont toujours discriminées dans l’orientation et, par la suite dans l’emploi.
Comme vous le soulignez, peu d’enfants savent, à 15 ans, ce qu’ils veulent faire, c’est trop tôt pour les orienter.
Je pense que les directeurs d’établissement et les conseillers d’orientation ont des quotas élaborés dans des officines ministérielles et orientées par la demande patronale. Le problèmes est que les services de prospective publics sont d’un lenteur impressionnante, que les prévisionnistes prévoient ce qu’on leur demande de prévoir. Ils n’ont pas de réelle indépendance.
Les politiques qui devraient donner des orientations pertinentes sont trop préoccupés par le court terme : se faire élire et réélire. L’avenir à moyen et long terme de la jeunesse et du pays ne les intéresse pas.
Je trouve en effet que notre jeunesse est mal considérée, mal éduquée, maltraitée par l’ensemble des décideurs, qu’ils soient économiques ou politiques.
Il n’est pas étonnant que beaucoup de jeunes à la tête bien faite s’expatrient dans des pays où on leur donnera une vraie chance sinon de faire carrière, au moins de s’épanouir.
Un exemple d’actualité : vous croyez que Christine Lagarde aurait pu être en France responsable d’un cabinet d’avocats comptant 2 000 personnes ?
Un truc m’étonne : « de mon temps », quand on ne savait pas quoi faire, on pouvait passer une journée entière de tests d’orientation dans un organisme public dont j’ai oublié le nom, au terme de laquelle on était reçu par un psychologue qui énumérait vos aptitudes personnelles, indépendamment de votre cursus et niveau scolaire. Les deux étaient alors confrontés et « l’orienteur » suggérait des moyens et des filières pour y parvenir. J’ai suivi cette procédure au sortit de la terminale. Cela n’existe donc plus ?
Mais il ne faut pas trop nous la faire non plus : en tant que prof j’ai aussi été souvent confronté à certains délires de parents du genre, « je veux que mon fils fasse science-po » ou « une bonne école d’ingénieur » alors que le gamin était un cancre fini et visiblement très limité…
Il y a l’envie, la volonté, c’est sûr mais cela ne suffit pas toujours.
Léon, c’est à l’issue d’un test comme vous le décrivez que la conclusion a été « pas de profil ». Et il me semble que c’était payant…privé…
D’autre part, mon fils était un cancre, les profs le détestaient parce qu’il ne foutait rien. Il n’avait cependant pas de pb de comportement.
C’est vrai, il était spécial mais passionné de géo et d’informatik. Je savais qu’il avait des capacités mais lesquelles ? ses profs, directeurs d’établissement et orientateurs ne m’ont absolument pas aidée.
Heureusement, j’étais entourée de jeunes ingénieurs et quand je leur ai dit que mon fils était passionné d’ordi, qu’il y passait sa vie, ils m’ont parlé de l’Epitech ou…il a retrouvé -sans concertation- d’anciens copains de collège et lycée qui avaient le même « non profil ».
Cela s’appelait le BUS (Bureau universitaire des statistiques ), ça me revient maintenant.
à 15 ans j’hésitais entre écrivain, prof d’histoire ou dessinateur de BD.
on m’a répondu que vu mes capacités pour les études, notamment en maths physiques, ce serait gâcher que de ne pas continuer dans cette voie. Mis à part mon prof de français qui voulais vraiment que je prenne une orientation littéraire, il a quand même été décidé d’assurer le coup avec une orientation scientifique et générale (bah oui avec ça on pouvait encore tout faire.).
Un document interéssant sur les effectifs à l’université :
Lettres + langues + sciences humaines : + de 400.000 étudiants dont + de 23.000 doctorants
« Sciences » des activités physiques et sportives : 25.000 étudiants dont 500 doctorants
IUT: 118.000
Je veux bien croire qu’on ne fait pas seulement des études seulement pour préparer sa vie professionnelle mais j’aimerais bien qu’on m’explique ce que vont devenir nos 14.000 doctorants en sciences humaines …
bah conseillers en plans de licenciement dans les entreprises.
Les méthodes éducatives en orientation existent depuis bientôt 20 ans, mais très peu de gens y ont été formés. Il y a pléthore d’outils pour faire, encore faut-il apprendre à s’en servir. De plus, cela prend plus de temps qu’un conseil à la volée fait sur un coin de table (celui de tous les dangers). Compter entre 20 à 25 heures en moyenne pour faire un vrai travail d’accompagnement. Il faudrait pour bien faire prévoir d’y consacrer une semaine pleine en classe troisième ou de seconde avec des spécialistes formés aux méthodes. L’orientation n’est pas une science exacte, mais il y a largement de quoi améliorer l’ordinaire actuel.
On bute sur des problèmes de moyens, dit-on. Or, qui se donne la peine de chiffrer le coût faramineux des orientations ratées, des heures de cours dispensées à des élèves qui ne rejoindront jamais le métier auquel ils ont été formés, sans parler des étudiants qui errent en fac, faute de savoir où ils vont vraiment?.
Depuis 30 ans, aucun gouvernement n’a été capable de mettre en place une vraie politique de l’orientation. Visiblement, cela reviendrait à tout remettre à plat et chacun sait combien c’est difficile de remettre à plat dans l’éducation nationale.
Le dire, c’est bien, le faire, c’est mieux.
rien ne vaut un bon boucher-charcutier-traiteur, un bon électricien, plombier, maçon, cultivateur, éleveur, pêcheur…
(SOPHIE, prof fatiguée des « intellos » incapables d’orienter et vu les résultats d’instruire)
@ Sophie
J’ai un petit neveu qui habite la province, présenté jadis par certains proches comme peu doué pour les études, limite cancre, en fait un manuel qui s’emmerdait à l’école. Ses potes ont tous passé le bac avec succès et se sont rués directement à la fac pour faire psycho, socio, et un tas d’autres trucs avec des appellations ronflantes. Lui, il a enchainé patiemment BEP, puis Bac Pro en électricité d’équipement en alternance. 2 ans après, il approche les 2600€ net par mois et son patron qui voit en lui un bon technicien, bon commercial, les pieds sur terre, envisage de lui céder son affaire sous peu, pour profiter de sa retraite. Dans un an ou deux, il sera patron avec un très bon salaire en poche. Ses copains pointent quand à eux pour la plupart au chômage ou font des boulots payés trois francs six sous. Mon petit neveu a toujours dit qu’il choisirait un métier qui lui plait où l’on embauche localement, pour lui permettre de rester au pays, et qui permette d’en vivre décemment. Pas aussi con qu’il en avait l’air le neveu hein ? 😉
Bien vu Yohan , j’en ai des tas qui vivent autour de chez moi du genre de ton neveu.L’electro-plombier-chauffagiste trouve encore du travail dans notre campagne pavillonnaire .Au même niveau,l’orientation vers le 3aire est un cul de sac à 80% , une fois de plus les filles sont les plus frappées par le chômage.C’est dans ce secteur et sa périphérie que les étudiants en échec leur font le plus concurrence.
De toute façon , les stages ne pourront être sérieux que le jour où ceux qui les offrent les prendront au sérieux , en rémunérant les stagiaires.
Cette situation de non droit est vite comprise par les élèves et ils ne tardent pas à en faire usage à leur profit.Même le plus mauvais élève en législation du travail sait exploiter la contradiction
Stage obligatoire => doit conduire à contrat de travail obligatoire.
Un grand rideau de fumée couvre la législation et les règlements avec une complicité tout azimut en cette matière.
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En revanche les employeurs « accueilleurs » de stagiaires peuvent être aussi les dindons de la farce . Le pouvoir rectoral pourrait ne pas les laisser démunis . Un droit de refus d’accueillir le stagiaire ne serait pas du luxe quand, comme je l’ai vu souvent, le stagiaire ne vient pas à l’entreprise ou par intermittence , ou comme je l’ai vu encore refusait tout travail .
D’après les exemples donnés dans les commentaires je pense que le problème de fond est le manque d’individualisation de l’orientation. Les conseillers suivent des ordres, des protocoles, observent des quotas, obéissent à des directives obsolètes, se conforment à des processus théoriques.
Ils manquent de souplesse et sans doute d’observation et d’écoute dans leurs pratiques. Peut-être aussi ne sont-ils pas correctement formés, encadrés et payés. Sont-ils seulement évalués sur leurs résultats, non en termes de statistiques établies sur le respect des protocoles mais sur la réussite de leurs orientations?
Un jeune, par définition est malléable, indécis, fragile, en construction. Il est en mouvement, en évolution. Il n’a pas terminé de développer son potentiel. Il devrait pouvoir être observé sur un certain temps avant d’être orienté. Pour cela, il devrait être confronté le plus tôt possible aux réalités de la vie active, faire de petits stages en entreprise plus sérieux que ce que font actuellement les élèves de 3ème et qui est souvent bidon.
D’ailleurs, pour ces stages, les plus chanceux sont ceux qui ont des parents qui sont en situation de les faire embaucher dans leur propre entreprise, ce qui n’est pas possible pour ceux qui sont au chômage, sans emploi, sur la touche et dévalorisés dans leur emploi. L’acenseur social ne fonctionne pas pour ceux qui sont trop loin de l’ascenseur…