Je sais que t’aimes pas donner des conseils médicaux, mais…

Voici une autre bloggeuse qui nous a donné l’autorisation de publier de temps en temps certains de ses textes. C’est un médecin généraliste qui y raconte le vécu de sa pratique médicale, souvent avec beaucoup de drôlerie.

César
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Je sais que t’aimes pas donner des conseils médicaux, mais…

Un homme de cinquante-neuf ans. Pas grand chose comme antécédents. Un poil de surpoids, une tension limite, et comme seul vrai truc notable un trouble du rythme cardiaque, non permanent, qui survenait par poussées, et que les différents traitements essayés n’ont pas réussi à régulariser.
Un jour, alors qu’il se penche pour faire un bidule sur le siège arrière de la voiture, il perd un bout de son champ visuel, il ne voit plus que la moitié gauche de ce qui se passe. Du côté droit de ses yeux, plus rien.
Il appelle pour avoir un avis médical.
« Allez aux urgences ophtalmo », qu’on lui dit.
À ce stade de la lecture, théoriquement, tous les étudiants en médecine qui ont passé la première année hurlent à la mort.
Certains non-médecins doivent même se gratter la tête d’un air circonspect.
Le médecin qui a envoyé un cas typique, parfait, impérial d’AVC aux urgences ophtalmo, c’est moi.

Je n’ai même pas l’excuse de la jeunesse, j’étais déjà interne. Sept ans d’études de médecine derrière moi, pour un cas clinique tellement évident qu’on n’oserait pas le proposer à des troisième année sans leur rajouter des détails tordus qui n’ont rien à voir pour les perdre entre-temps.

Le type que j’ai envoyé aux urgences ophtalmo avec son AVC typique, c’était mon père.

Alors venez me demander pourquoi les médecins refusent de soigner leurs proches…

Je pense que j’ai eu un neurone rebelle, qui a commencé à clignoter pour m’envoyer des signaux.
J’ai appelé un ami médecin. Je me suis entendue dire au téléphone : « Homme de 60 ans, surpoids, flutter ancien, hémianopsie latérale homonyme de survenue brutale et heu…. heu…  »
J’avais encore 393 neurones qui s’accrochaient désespérément au décollement de rétine. Et puis j’ai entendu le silence de mon ami, et puis des mots qui partaient : neuro, scanner, urgences. Je ne sais plus qui les a dits.
J’ai recollé mes neurones, j’ai dit « Bon, il fait un AVC, hein ? » et j’ai rappelé ma mère.

Ne vous vexez pas si un ami médecin refuse de vous donner son avis.

Au-delà même du fait que c’est putain de relou de devoir donner des avis à tout le monde, de devoir examiner le poignet de la grand-mère de son amoureux à un repas de famille, de devoir faire comme si on n’entendait pas qu’on est en train de nous demander un avis l’air de rien entre deux verres de rouge, on ne peut pas soigner un proche.
On ne peut pas faire du bon travail, on a les neurones qui s’encafouillent, on a l’espoir que c’est pas grave qui vient submerger les données cliniques, et on se noie.
Je sais que les informaticiens viendront me dire qu’ils en ont marre de devoir donner leurs avis sur les bugs de l’imprimante de la cousine Sylvie, mais ce n’est pas tout à fait pareil. C’est relou pareil parce qu’on n’est pas payés pour bosser 24h sur 24, mais l’imprimante de la cousine Sylvie, ça ne vous remue pas les tripes, ça ne vous bouleverse pas, ça ne vous fiche pas une frousse à dégoupiller 393 neurones sur 394.

Après de deux choses l’une.

Y a les gens dont on se fout. Pour qui c’est pas le moment, pour qui on n’est juste pas en service.
Après mon braquage, [1] alors que j’étais dehors en train de fumer une 57ème cigarette au milieu de l’équipe de flics, y a cette fliquette toute mignonne qui a lâché : « C‘est rigolo que je sois appelée chez un médecin ce soir, parce qu’avec la fièvre que je me tape depuis deux jours… »
Je l’ai regardée en coin, en tirant ma septième bouffée.
« Non parce que j’ai cru que ça allait passer, mais là ça fait trois jours et puis j’ai maaaal à la gooorge ! »
J’ai expiré la fumée de ma septième bouffée, j’ai dit : « Heu, vous seriez pas en train d’essayer de me gratter une consultation, là, par hasard ?« , elle a dit « Huhu non non j’oserais pas voyons » , et j’ai pris ma huitième bouffée.

J’ai un truc, pour les gens dont on se fout.

Quand à une soirée un type me raconte son malaise et comment il est tombé dans les pommes et comment il a vu des étoiles, je fais « Haaaaaaaaaan ! Naaaaaaan ! Ahlala putain comment t’as dû avoir peeeeur uhuhuh lol »
Je rajoute beaucoup de « lol » et de « uhuhuh la fliiiiiippe mort de rire », et la plupart du temps on me fout la paix.
Avec la grand-mère de l’amoureux qui m’explique son Pouteau-Colles en me montrant son plâtre, je dis « Ohlala ça a pas dû être faciiiiiile »
Ca, c’est la technique pour les gens dont on se fout.
A ma voisine d’en haut, j’ai dit que j’étais secrétaire, ça marche bien aussi.

Et puis y a les gens dont on ne se fout pas.

Y a ma nièce que j’ai vue avoir le mal des transports et que j’ai failli chialer tellement elle avait l’air malheureuse à avoir envie de vomir comme ça.
Y a ma sœur qui accouche et pour laquelle je guette mon téléphone portable toute cette nuit de garde, en flippant ma mère parce que je sors d’un stage d’obstétrique où j’ai vu mon lot de drames, et pour laquelle j’ai pleuré de soulagement pendant quinze longues minutes comme une idiote juste parce qu’elle avait accouché d’une enfant qui va bien comme dans 99,9% des cas.

Ne nous demandez pas de vous soigner, nous ne sommes pas bons pour ça.

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[1] NDLR : l’auteur raconte dans un autre texte comment elle s’est fait braquer dans son cabinet.
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snoopy86
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snoopy86
17 mai 2011 10 h 36 min

Excellent 😆

J’ai 60 ans, une « légère » surcharge pondérale et la même à la maison…
Un cadavre en sursis 😆

Fantomette
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Fantomette
17 mai 2011 10 h 58 min

Je suis une fan absolue de Jaddo… sans doute parce que je me retrouve beaucoup dans ses billets! Très heureuse de la (re) lire ici : bienvenue, Jaddo!

Pour ce qui est de soigner les proches, je m’y refuse de peur de ne pas être objective, ce qui n’a pas toujours été bien compris par ma famille ou mes amis.

Lapa
Administrateur
Lapa
17 mai 2011 11 h 04 min

C’est assez fou quand même d’être capable de laisser passer un AVC comme ça. Je ne suis pas médecin mais le symptôme est super typique quand même!
cela me rappelle une anecdote de ma jeunesse. c’était il y a longtemps, j’étais en 6ème et pour les yeux d’une fille, je m’étais battu avec un copain. Manque de bol je tombe, lui sur moi, mais ma tête percute le coin d’une marche d’escalier du collège. Je pisse le sang de partout (une plaie au crâne c’est toujours spectaculaire) et forcément je hurle. le supérieur me conduit à l’infirmerie et éponge, il appelle mon père qui lui répond: amenez-le moi je vais le recoudre. Ce qui fut fait, rasage des cheveux autour de la plaie et 9 points de suture. Même si mon père était chirurgien, cela ne se passerait pas comme ça aujourd’hui je pense.
bon l’autre résultat c’est qu’avec ma grosse cicatrice sur le tête, c’était bizarrement plus facile de draguer 😀

finael
finael
17 mai 2011 11 h 12 min

Bonjour,

Merci pour ce billet rafraichissant.

Ma mère fut médecin elle aussi. Plus exactement après avoir commencé ses études de médecine, elle avait abandonné après son mariage tout en exerçant en tant qu’infirmière en milieu hospitalier. Elle reprit ses études à 38 ans et passa sa thèse à 44 ans.

Elle fut le médecin de la famille, ce qui est interdit mais dont je me félicite puisqu’elle me sauva la vie à plusieurs reprises dont la première alors qu’elle venait d’abandonner sa deuxième année, à Alger (oui je suis pied-noir d’origine)où elle me diagnostiqua une appendicite péritonite et se battit avec la dernière énergie avec le médecin de l’hôpital jusqu’à me poser d’autorité (et elle n’en manquait pas) sur la table d’opération … il était moins une !

Entre autres choses elle eut un cabinet à Chevreuse où elle fut connue comme « le médecin des pauvres ».

Elle avait une technique bien à elle pour éviter les « consultations volées » : Comme vous il lui arrivait d’être sollicitée lors de réunions ou de soirées. Elle prenait alors son air sévère (elle faisait facilement peur à n’importe qui) et déclarait tout haut « déshabillez vous ! » – ce qui suffisait à décourager n’importe qui.

snoopy86
Membre
snoopy86
17 mai 2011 11 h 13 min

Au premier malaise j’appelle Josiane, Jean-Lucien et Lagardette

Et ptêt bien Arianeuneu 😆

maxim
maxim
17 mai 2011 11 h 38 min

et Cabanel avec ses potions magiques et ses Valdas à la crotte de bique enrobées de sucre bio !

maxim
maxim
17 mai 2011 11 h 41 min

et pour le Gynéco,en famille comment ça se passe ?

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
17 mai 2011 13 h 02 min

Dans un autre genre je connais un prof de français qui, à la maman , la grand mère , le tonton qui s’inquiète que le petit dernier en 6è ne touche jamais un livre, déclare avec un sourire en coin
.
👿 Interdisez-lui de lire ❗

La bonne solution n’a jamais aucune chance.

ranta
ranta
18 mai 2011 12 h 17 min

J’ ai boulotté pratiquement tout le blog de Jaddo. Ben… j’adore.

Aria
Aria
19 mai 2011 15 h 45 min

Billet très amusant et je comprends combien c’est ennuyeux d’être sollicité en permanence mais je crois qu’il y a des limites.

Je me trouvais en vacances dans un gîte dont la propriétaire s’était vantée d’avoir un gendre médecin. Nous étions en pleine cambrousse.
Mon fils qui avait 10 mois tombe malade. Il a de la fièvre, hurle de douleur et je ne sais pas quoi faire, en général je me débrouille, je connais plein de recettes de grand mère. Mais là je n’avais pas toutes mes potions sous la main et je demande à ma logeuse si je peux utiliser son téléphone pour appeler un médecin.
Mais non, me dit-elle gentiment, mon gendre va venir l’ausculter.
Merci et j’attends, j’attends.
J’attends au milieu des hurlements de mon bébé le gendre qui rigole en jouant au ping pong sous mes fenêtres.
C’était horrible. Mon bébé ne cessait de hurler, le gendre ne pouvait pas ne pas l’entendre et j’étais désespérée par mon impuissance.
Finalement, il est venu au bout de deux heures de hurlements continus. Je ne me souviens pas du diagnostic mais il m’a filé des médocs en attendant que je puisse aller à la pharmacie du village voisin.