L’affaire Tapie est tellement compliquée qu’à chaque fois que son feuilleton rebondit, il est nécessaire de faire quelques rappels pour que tout le monde comprenne :
Rappel des épisodes précédents :
Lorsque Bernard Tapie est nommé Ministre de la Ville en 1992, François Mitterand souhaite, pour éviter tout conflit d’intérêts, que celui-ci se retire des affaires. Il accepte et décide donc de vendre Adidas, entreprise qu’il a achetée quelques temps auparavant, très déficitaire, et qui produit pour la première fois depuis longtemps des bénéfices. Il donne mandat à sa banque principale, le Crédit Lyonnais alors nationalisé, de lui trouver un acquéreur. À partir de là les versions divergent. Selon la thèse de B.Tapie (et c’est, selon moi, la bonne d’autant que les décisions de justice comme celle de l’arbitrage vont dans ce sens) , le Lyonnais a un acquéreur potentiel en la personne de Robert Louis Dreyfus. La banque va alors utiliser une société off shore, (Citi Star), qui est en réalité aux îles Caïman une de ses filiales secrètes (la même qui servira à acheter plus tard Executive life ) pour acheter les actions d’Adidas, permettant au passage à B. Tapie de faire déjà une bonne plus-value (n’oublions pas que l’entreprise est redevenue bénéficiaire) mais les revend dans la foulée avec un bénéfice, cette fois colossal, à Robert Louis Dreyfus.
B. Tapie estime donc s’être fait rouler : le Lyonnais s’est comporté de manière déloyale en tant que mandataire, puisque non seulement il ne l’a pas informé de la proposition de R. L. Dreyfus, sans commune mesure avec le tarif auquel il a vendu ses actions à la filiale off shore du Lyonnais, mais en outre, le Lyonnais s’est enrichi grâce à cette opération, ce qui est formellement interdit par la loi à un mandataire.
(C’est comme si vous donniez votre maison à vendre à une agence et que celle-ci, ayant dans ses fichiers un client intéressé, achetait votre maison pour son propre compte et la lui revendait avec un très gros bénéfice. Elle n’a pas le droit de le faire.)
Au bout de quinze ans de procédures, les deux parties, pour des raisons radicalement différentes et visiblement pas encore tout à fait élucidées, décident d’en finir et s’adressent à un tribunal arbitral qui a rendu la sentence que l’on connaît, à savoir l’attribution, entre autres, de l’indemnisation à Bernard Tapie de son préjudice moral, 45 millions d’euros, somme totalement inédite semble-t-il dans l’histoire judiciaire française..
Ce que nous avait révélé la sentence du tribunal arbitral, c’est que le Lyonnais, et cette fois sous la houlette de Peyrelevade qui a succédé à Haberer, aurait volontairement et sciemment provoqué la faillite du groupe Tapie :
Continuons, en effet le rappel des épisodes précédents : Tapie achète Adidas à l’aide d’un prêt accordé par la SDBO filiale à 100 % du Crédit Lyonnais, pour un montant de 1,6 milliards, prêt-relai à court terme qui, aux termes d’un accord verbal (dont il n’existe pas de preuve, mais qui semble plausible vue la destination du prêt), devait être transformé en prêt à moyen terme. Tapie rembourse au Lyonnais la première échéance à l’aide d’un autre emprunt de 600 Millions auprès d’un consortium de banques étrangères, puis la deuxième échéance et par anticipation, 400 millions en vendant des actifs industriels (TF1 en particulier). Restaient donc dus au lyonnais 600 millions.
Après diverse péripéties secondaires, un protocole d’accord est signé en mars 1994 entre Tapie et la SDBO qui donne à Tapie quatre ans pour solder sa dette en vendant ses biens, y compris l’immeuble de la rue des Saints-Pères et sa collection de meubles anciens si cela s’avérait nécessaire, étant entendu que la dette était considérée comme payée même si ces actifs n’y suffisaient pas. En d’autres termes, cet accord permettait d’éviter une éventuelle cessation de paiements, une faillite.
Pourtant, sous un prétexte, Peyrelevade notifie à B. Tapie le 17 mai 1994 que l’accord est caduc, et entreprend une procédure de redressement, puis de liquidation judiciaire dans des circonstances que le tribunal arbitral qualifiera de tout à fait anormales et déloyales (campagnes de presse, publicités infamantes, etc).
J’avais à l’époque indiqué qu’à la lecture de cette sentence, celle-ci apparaissait moins comme la volonté de caractériser et déterminer le préjudice subi par les époux Tapie (nécessaire toutefois pour justifier de l’indemnisation ) qu’un déroulé implacable de l’énormité des fautes des dirigeants successifs du Lyonnais à leur encontre. On a la nette impression que les juges-arbitres ont souhaité que ces dirigeants, cette banque paient, soient punis et ont, semble-t-il, aligné l’indemnisation beaucoup plus sur la faute des auteurs que sur le préjudice de la victime.
Sauf que, les dommages-intérêts punitifs sont interdits par le droit français. On indemnise le dommage en fonction de celui-ci et non de la gravité de la faute, la punition relève, elle, du pénal par des amendes ou de la prison, ce qui rend cette décision très discutable. Et avec le bémol que c’est le contribuable français qui est sollicité pour payer à Tapie la punition qu’on a voulu infliger au Lyonnais et même pas à ses dirigeants !
Maintenant un troisième volet de l’histoire apparaît .
La Cour des comptes s’est penchée sur cette histoire et a trouvé un certain nombre d’anomalies dans la gestion du dossier.
Cette anomalie porte un nom, Jean-François Rocchi, ( peut-être deux, avec Bernard Scemama, le président de
l’EPFR, l’établissement public qui supervise et finance le
CDR, qui serait également visé par cette procédure). C’est un haut fonctionnaire, dépendant du Ministère des finances, et qui se trouvait être le Président dudit CDR, le
Consortium De Réalisation, l’organisme qui avait été créé pour reprendre tous les actifs pourris du Lyonnais, dont la créance sur Tapie.
Or la Cour des comptes constate que, sur instruction de Christine Lagarde ( et donc, suivez mon regard un peu plus haut…), c’est ce Jean-François Rocchi qui a pesé de tout son poids sur le conseil d’administration du CDR pour que celui-ci abandonne les poursuites contre Tapie et se tourne vers le tribunal arbitral, contre l’avis de l’avocat du CDR, (qui du coup a été remercié), contre l’avis de certains services de Bercy et contre l’avis également de la Cour des comptes qui, étant donné qu’un établissement public n’a pas le droit de recourir à une procédure d’arbitrage, n’était pas certaine que, juridiquement parlant, cela soit possible pour le CDR.
Plus grave, c’est le même Jean-François Rocchi qui , outrepassant largement le mandat que lui avait donné le conseil d’administration,
(et allant même jusqu’à en falsifier des procès-verbaux) aurait inscrit la proposition des 45 millions d’euros de dommages-intérêts pour le préjudice moral des époux Tapie !
Il faut signaler enfin, que contrairement à une affirmation de Christine Lagarde à l’été 2008, selon laquelle l’Etat et le contribuable avaient intérêt financièrement à cette procédure arbitrale (« Mes services m’ont indiqué que après déduction des impôts et des créances détenues par l’Etat 30 millions d’euros devront être réglés au bénéfice des époux Tapie »), le Nouvel Obs, calcule qu’en réalité, il leur resterait 260 millions d’euros, une fois payées les dettes. Soit huit fois plus !
Ajoutons que la commission des finances de l’Assemblée Nationale devrait sortit bientôt un rapport sur le même dossier. Nous verrons.
On se penchera sans doute un jour sur les raisons qui ont conduit le pouvoir Sarkozyste à avoir tant de mansuétude pour cet homme d’affaire très controversé.
Il y a selon moi deux explications possibles : l’une, très romanesque, suppose que Tapie aurait des dossiers compromettants sur Sarkozy, hypothèse sans le moindre commencement de début de preuve pour l’instant.
L’autre: juste un confraternité d’arrivistes sans scrupules. Ces deux-là se ressemblent…
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C’est comme…
C’est comme si vous ameniez votre voiture au garage et hop aussitôt que vous avez tourné le dos , le type prend la caisse pour aller faire du stock car avec, et quand il revient c’est à vous qu’il facture les dégâts…
J’adore cet article
On emprunte pour acheter puis on emprunte encore avec comme garantie ce qu’on n’a pas encore payé du premier coup….
Elle n’est pas formidable la vie?
Je viens de lire un livre sur Goldam sach écrit par un journaliste du monde. En parlant de cette banque et des autres du même acabit il a cette savoureuse description :
Leurs pratiques s’apparentent à un armateur auquel on donne mandat de transporter une cargaison, ce dernier arme un bateau et un équipage pour et dans le même temps arme son propre bateau charger de vous pirater en pleine mer.
Ranta c’est bien Marc Roche???
Mon neveu me l’a offert à Noël.
Oui furtif, c’est lui.
et comme toujours,c’est le citoyen contribuable qui met la main la poche pour éponger tout ça!
comment voulez vous après ça que l’on ait confiance en nos institutions et en ceux qui en tirent les ficelles ?
L’état aurait dû faire appel de la décision du tribunal arbitral, c’est son devoir. La cour des comptes a sévèrement critiqué ce dossier.
Impossible de revenir sur cette affaire sans volonté politique, bien qu’il soit acté que toute la procédure a été illégale.
Je vais me renseigner mais il me semble qu’il n’est pas possible de faire appel d’une décision d’un tribunal arbitral. Quelqu’un peut confirmer ?
Faut voir mais moi j’ai lu le contraire. Et apparemment l’appel aurait eud es chances de succès vu que la procédure était illégale:
une source
OK. Dont acte.
Sacré Tapie, le chantre d’un « libéralisme de gauche » 😆
repreneur de société le temps d’un crash…. Victimisé au possible, « j’ai fait de la prison, on m’a piqué mon hôtel et mes tableaux, ma femme n’en dort plus, quant aux enfants…. » Suffisamment victimisé avec étalage de souffrances pour que l’opinion accepte qu’elle lui paye quelque dizaines ou centaines de millions d’euros.
et Haberer ,alors Directeur Général du Crédit Lyonnais,qu’est ce qu’il est devenu ?:evil: parce qu’acheter la Métro Goldwin Mayer !..fallait oser ! et ce sont nos sous qui ont sorti le CL de la faillite 👿