Adieu capitaine, à Dieu va !

La marine marchande, la mar-mar comme on dit, a connu son Everest à la fin du XIXème, début XXème siècle avec le passage du Horn. A l’époque, les grands voiliers devaient passer ce cap mythique et affronter ses tempêtes dantesques pour se rendre dans le Pacifique, qui au Chili pour charger des nitrates, qui à San Francisco dans cet ouest américain alors en plein développement. Il arrivait que le calme plat y règne aussi, laissant le navire rouler comme une barrique. Certains ne purent le franchir, leurs capitaines devant se résoudre à faire demi tour et rejoindre leur destination par le cap de Bonne-Espérance, puis l’Indien et traverser tout le Pacifique.

L’arrêt de mort de cette aventure vint de l’ouverture du canal de Panama. Initié par Ferdinand de Lesseps, celui-là même qui avait ouvert le canal de Suez, et après quelques milliers de morts et un fiasco financier, les ricains achèveront l’ouvrage. Finis les grands voiliers, place aux turbinards !

C’est ainsi que, encore de nos jours, vous pouvez rencontrer là-bas, si vous cherchez bien, des panaméens fiers d’être français. Et lorsque vous êtes sur rade à San Cristobal en attente, vous pouvez compter sur le pilote ou les lamaneurs pour vous montrer, avec une pointe d’ironie, les traces laissées par Lesseps. Alors pour vous venger, hissez donc le pavillon de courtoisie à l’envers ! Et toc, non mais !

Mais je m’égare. Je voulais juste vous parler d’un grand bonhomme, un grand capitaine : .Jean Recher

Les pêches maritimes ont connu, elles aussi, leur Everest. Ce fut la pêche à la morue à Terre-neuve. Pendant des siècles les pêcheurs français ont exploité ses grands bancs, le bonnet flamand…

De partout, des navires armaient pour Terre-neuve. Ils venaient de Fécamp, Saint-Malo, Bordeaux… Eh oui, Bordeaux fut un grand port de pêche avec cet armement la « SNPL », Société Nouvelle des Pêches Lointaines, ses navires se nommaient Jutland, Groënland … Ils étaient beaux !

Conditions de vie et de navigation aussi terribles qu’au Horn mais en permanence car ici on ne fait pas que passer, on y vit, on y pêche pendant de longs mois, avec les glaces en plus et dans la brume. Le poisson commande, les hommes subissent. Parfois une escale à Saint Pierre ou Saint Jean de Terre-neuve permet à peine de se dérouiller le gosier.

Quand la météo est trop dure, on fait cabane, mais pendant ce temps la morue ne rentre pas. Les capitaines sont soumis à la dure loi de la concurrence. « Tu pêches pas assez, va voir ailleurs. Dégage ! », alors il faut vraiment que la météo soit très, très dure pour ne pas mettre en pêche et les hommes sur le pont dégustent.

Quand tu commences à 25-26 ans comme jeune capitaine, ce sont des paroles que tu ne veux pas entendre, une humiliation que tu ne veux pas subir. Alors tu deviens un abruti comme les autres.

Comme partout où l’argent commande, les hommes deviennent des abrutis. Et des abrutis il y en a eu à Terre-neuve sauf un, le capitaine Jean Recher.

Sa passion pour ce métier séculaire, le respect qu’il a pour ses hommes, durs au travail et durs au mal, l’admiration qu’il leur porte, le capitaine Recher nous l’a transmis dans un bouquin fabuleux : « Le grand métier ». A lire d’urgence.

Pour comprendre un peu ce que fut cette époque, Le film, de Pierre Schoendoerffer, « le Crabe-tambour » tape dans le mille. On y voit le Shamrock, dernier commandement du Cpt Recher, en situation.

Jean Recher a largué les amarres définitivement en 2005, il reste une référence pour les gens de mer.

Adieu capitaine, à Dieu va et merci pour tout !

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9 Commentaires
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Léon
Léon
22 mars 2011 8 h 12 min

On vous rappelle qu’il suffit de cliquer sur l’image pour l’agrandir. Ces épopées maritimes restent passionnantes, merci Xavier !

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
22 mars 2011 9 h 14 min

Les bateaux de Bordeaux en firent rêver plus d’un, de ceux qui étaient scotchés aux rangs de vigne.
Mon « Henri » crèvera de n’avoir pas pu y monter à temps.Les eaux du Vardar ne conduisaient pas à Valparaiso .

ranta
ranta
22 mars 2011 11 h 04 min

Bonjour Xavier, dites-moi, vous avez navigué avec cet homme, n’est-ce pas ?

Léon
Léon
22 mars 2011 19 h 09 min

La morue qui était un poisson populaire, devient vraiment hors de prix, même la morue salée qui est à la base de la brandade nimoise dont j’ai une fameuse recette pour ceux que cela intéresse…

asinus
Membre
asinus
22 mars 2011 19 h 19 min

yep m’a donné envie de relire……
Leur navire s’appelait la Marie, capitaine Guermeur. .

Il était très ancien, comme la Vierge de faïence sa patronne. Ses flancs épais, à vertèbres de chêne, étaient éraillés, rugueux, imprégnés d’humidité et de saumure ; mais sains encore et robustes, exhalant les senteurs vivifiantes du goudron. Au repos il avait un air lourd, avec sa membrure massive, mais quand les grandes brises d’ouest soufflaient, il retrouvait sa vigueur légère, comme les mouettes que le vent réveille. Alors il avait sa façon à lui de s’élever à la lame et de rebondir, plus lestement que bien des jeunes, taillés avec les finesses modernes
P Loti  » pecheurs d’islande »

Causette
Causette
25 mars 2011 18 h 32 min

Bonjour Xavier,
Je note le bouquin du capitaine Recher, Le grand métier, à lire prochainement car j’en suis certaine il doit être passionnant. Le film documentaire d’Inès Léraud est très intéressant avec ses témoignages.

Voici une petite chanson Terre Neuvas, avec Léon guitariste 😆

(sur arte+7, je signale ce film documentaire, crimes contre la planète: Comment la marine australienne essaie de mettre fin à la pêche illégale et massive de légines, poisson très apprécié pour sa blancheur et pratiquement sans arête – très apprecié en Chine et au Japon.)