Egypte. Malgré l’appel de l’appareil militaire, les grèves se développent

Du Yemen à Alger les évènements se bousculent et se masquent les uns les autres. C’est le lot habituel de la poursuite de l’actululu et de l’absence de temps pour l’analyse. C’est le lot de ceux qui sont soumis au rythme factice de la politique spectacle et de sa livraison par les média audio visuels .

Alors prenons un peu de temps

La veille du jour où Moubarak démissionnait, le quotidien officiel  Al Ahram titrait

« Les travailleurs égyptiens rejoignent la révolution. » Rappelons-nous ce que disait Lord Ferdinand. Il ne faut pas s’en tenir à la vision centrée sur la place Tahrir. Il ne faut pas gober ce que le monde médiatique montre de lui-même en travestissant la réalité profonde de la crise traversée par l’Égypte. Si Internet et Face book ont joué un rôle, il ne faut pas surestimer ce rôle et  ne voir que lui.

Depuis  trois jours des dizaines d’ouvriers et d’ouvrières s’étaient mis en grève dans l’industrie pétrolière, les arsenaux, au siège de  l’autorité du canal de Suez. Les transports, le textile, le ciment, la métallurgie, les hôpitaux, les universités, les télécommunications, etc…sont bloqués et paralysés. Que demandent les Egyptiens ?

  • Des augmentations de salaires, un salaire minimum à 1200 livres égyptiennes (150euros), la fin des disparités salariales et de meilleures conditions de travail.

A peine au pouvoir, les généraux décidaient, le 12 février, d’interdire les activités syndicales et appelaient à la reprise du travail.

En dépit des mises en garde de l’armée, mercredi 16 février, des grèves et des sit-in touchaient de très nombreux secteurs. À l’aéroport du Caire les manifestants l’intérieur du terminal réclamaient  de meilleurs salaires et une couverture santé. A Ismaïlia, sur le canal de Suez, des employés des services publics de l’irrigation, l’éducation et la santé ont manifesté devant le bâtiment du  gouvernement pour de meilleurs salaires. Dans les banques, les grèves furent si massives que la Banque centrale d’Egypte a décidé unilatéralement de fermer toutes les banques du pays pendant une semaine.

Dimanche 20 février, elles ont rouvert, mais les employés ont fait savoir qu’ils maintenaient leurs revendications, parmi lesquelles la fin du népotisme et de la corruption. A ce jour, les salariés de la banque Misr, rejetant la proposition de la Banque centrale pour qu’ils soient représentés par leurs propres directeurs. C’est tout le fonctionnement du régime corrompu qu’ils remettent en cause. C’est le premier pas vers la démocratie et la vérité de leur représentation. Le patron ne parle pas au nom des ouvriers.

Les travailleurs de la banque Misr  refusent cette fausse représentation et désignent leurs propres délégués pour négocier.

Les salariés de la Banque nationale d’Egypte suivent la même  voie.

Dans l’usine minière Abu Amda, 200 travailleurs sont en grève

  • contre les bas salaires,
  • contre  l’augmentation du nombre d’heures travaillées
  • et contre les conditions déplorables de travail. Ils ont bloqué la route qui relie Le Caire à Alexandrie.

Rien n’est réglé  L’armée est intervenue pour les en déloger et leur a demandé de désigner un délégué pour présenter leurs revendications auprès de la direction. Les deux camps s’observent encore.

Le 21 février, 70 employés de la chaine de magasins Omar Effendi  ont manifesté devant le siège, dans le centre du Caire. Depuis quelques jours dans de nombreuses administrations et universités, les personnels demandent la démission des responsables coupables de corruption. À Mahalla-al- Kubra , ville du delta 15 000 ouvriers et ouvrières de l’usine de tissage et filature Misr qui emploie 24 000 salariés, la plus grande d’Egypte, ont repris leur grève, le 16 février, après trois jours de congé. Leurs revendications portent sur les salaires et sur des faits de corruption

  • Ils ont mis fin  à leur grève le 20 février, après avoir obtenu 25% d’augmentation des salaires et la démission du    directeur impliqué dans des actes de corruption. ¦

DOCUMENT

Déclaration des travailleurs  grévistes de l’usine de tissage et filature Misr à Mehalla al Kubra le 16 février 2011

«  Nous travailleurs grévistes ….déclarons  nous refusons d’être membre de la fédération syndicale égyptienne gouvernementale    . Nous décidons de rejoindre la nouvelle fédération de syndicats indépendants qui s’est constituée le 30 janvier 2011 »

L’armée, colonne vertébrale du régime

En démissionnant le 11 février  Moubarak a bien pris soin de confier le pouvoir au Conseil suprême des forces armées. Les forces liées à l’ancien régime tiennent au maintien de l’illusion savamment entretenue

« L’unité de l’armée et du peuple »

Mais l’armée peut-elle se ranger aux cotés du peuple ?

L’armée égyptienne est la colonne vertébrale du régime, Moubarak en faisant lui-même partie   et, la veille de sa démission, le 10 février, quand il refusait encore de partir, elle se rangeait à ses côtés.

Le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui,  qui  préside le Haut Comité militaire issu du Conseil suprême et  qui gouverne, a été le ministre de la Défense de Moubarak pendant vingt ans. Il a participé comme chef d’état-major à la  première guerre du Golfe aux cotés de la coalition  En décembre 2008-janvier 2009, il a autorisé, avec Moubarak, les bombardiers israéliens à survoler l’espace aérien égyptien et fermé le passage entre Gaza et Rafah quand l’Etat d’Israël a bombardé la population vivant dans la bande de Gaza. Dès le 12 février, répondant à l’exigence de l’administration Obama quelques heures plus tôt, le Conseil suprême des forces armées annonçait qu’il respecterait tous les traités régionaux et internationaux, c’est-à-dire en particulier, l’accord de 1979 avec l’Etat d’Israël

Les USA octroient 1,3 milliards de dollars par an depuis  la signature des accords de paix avec Israël en 1979  , avec  l’aval du Congrès américain.

L’armée égyptienne et son train de vie dépendent de cette manne

Cette aide militaire sert à payer les tanks Abrams conçus aux Etats-Unis et montés dans les faubourgs  du Caire sous contrat avec General Dynamics. Boeing vend à l’Egypte les hélicoptères CH-17 Chinook, Lockheed Martin vend ses F-16 et  Sikorsky Aircraft des hélicoptères Black Hawk.

Les dernières années ont rapporté

  • à Lockheed Martin               3,8 milliards de dollars
  • à General Dynamics            2,5
  • à Boeing                              1,7

Des rapports très étroits existent entre les plus hautes autorités américaines et égyptiennes

Quand le soulèvement populaire a commencé, le chef d’état-major de l’armée   égyptienne, Sami Enan était aux USA.  Il a interrompu sa visite pour rentrer  précipitamment au Caire

Mohamed Hussein Tantaoui a le contact régulier avec le secrétaire à  la Défense américaine Robert Gates. Ils se ont téléphonés quotidiennement. Les jeunes et les travailleurs égyptiens savent que ces milliards d’aide américaine ont  permis de maintenir la dictature du régime qui les opprime et qui sème la misère.

Place Tahrir, la foule lançait : « Hosni Moubarak, Omar Souleimane, vous êtes tous deux des agents américains!» Véritable charpente du régime, la caste militaire égyptienne jouit de privilèges honteux

Elle a droit à des logements, des voitures, des clubs, des formations, des vacances  luxueuses et détient une part importante de l’économie du pays.

Que lit-on dans l’EXPRESS de ce samedi matin 26/02? ( extrait de l’article )

L’armée égyptienne alimente la colère des manifestants La dispersion par la force d’une manifestation au Caire, dans la nuit de vendredi à samedi, alimente les craintes des militants qui accusent l’armée au pouvoir en Egypte de « trahir le peuple ».

Les manifestants, qui célébraient place Tahrir les deux semaines de la chute d’Hosni Moubarak et réclamaient la démission des ministres compromis avec l’ancien régime, accusent les soldats d’avoir, une fois minuit passé, éteint les lampadaires, tiré en l’air et fait usage de matraques pour disperser la manifestation. Le Conseil suprême des forces armées, qui dirige le pays dans l’attente des élections présidentielle et législatives prévues dans six mois, a dit samedi qu’il n’avait pas donné l’ordre de « charger » les manifestants.

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Le Conseil suprême des forces armées est confronté à un double défi: répondre aux aspirations démocratiques du peuple, ce qui impose la suppression des mécanismes totalitaires mis en place par Moubarak, et remettre l’économie en route, dont( sic NDLR) mettre fin aux grèves sur les salaires et les conditions de travail.

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L’armée s’est engagée à empêcher une « contre-révolution » mais a été confrontée vendredi à des manifestations dans tout le pays, réclamant une modification en profondeur de la Constitution et la démission du Premier ministre Ahmed Chafic. Les protestataires réclament la formation d’une équipe de technocrates dans l’attente des élections, tandis que l’armée a maintenu à leurs postes les ministres de la Défense, de la Justice, de l’Intérieur et des Affaires étrangères, nommés par Moubarak avant son départ.

Clément Guillou et Jean-Loup Fiévet pour le service français

Par Reuters

Combien de temps devrons-nous faire semblant de croire aux semblants de pas fait exprès et aux exprès de faire semblant.


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COLRE
COLRE
28 février 2011 10 h 17 min

Bonjour Furtif, merci de tenir pour nous le fil, vaille que vaille, tout va trop vite… entre la Tunisie, l’Egypte et aujourd’hui la Lybie, les nouveaux événements chassent les précédents…

maxim
maxim
28 février 2011 13 h 42 min

eh oui,et pour l’instant personne n’est en mesure de prédire comme tout ça va se terminer ! résultat de tout ça,les prix gonflent aux pompes,l’état et les sociétés pétrolières anticipent le mouvement,le pekin moyen,vous,moi,les autres subissent sans pouvoir faire grand chose…

bientôt le litre de 95 Sp va atteindre les 2 € ! ça va foutre une merde pas possible !

à terme si le révolution enfle et gagne le Maroc et d’autres pays du Maghreb et du Moyen Orient,toutes les économies mondiales vont être bouleversées,il va falloir dans toutes les nations industrialisées prendre de nouvelles dispositions si les prix de revient du transport deviennent insupportables,et même la Chine qui s’enrichit sur les exportations risque de subir de sérieux revers !

alors en attendant que tout se calme,on ne peut que compter les coups et puis c’est à peu près tout ce que l’on peut faire !

Causette
Causette
28 février 2011 18 h 58 min

Bonsoir, Momo est sur le pont! avec leurs forces humanitaires les Naméricains devraient arriver en Libye prochainement. C’est sa tournée, coka pour tout le monde.

yohan
yohan
28 février 2011 19 h 11 min

A la galerie, ils sont tous chaud bouillant. Tous persuadés que les révoltes de la rue vont inexorablement déboucher sur des gouvernements démocratiques. « Je l’avais prédit », claironne Momo, le prophète. Toutes les révolutions sont parfumées au jasmin, vu de chez eux. On ne voudrait pas briser leur rêve. De toute façon, si ça tourne au vinaigre, ce sera la faute des naméricains et Momo fera alors plein de nartiks avec plein de gros navins et des photos partout partout.

ranta
ranta
28 février 2011 20 h 19 min
Reply to  yohan

MoriSSe espère, prie pour que ça tourne au vinaigre : et son fond de commerce alors ? Comment veux tu qu’il continue à fabriquer de la haine si il n’y a plus de matière premières ?

hans lefebvre
hans lefebvre
1 mars 2011 8 h 54 min

Bravo pour la formule finale!

Causette
Causette
2 mars 2011 19 h 14 min

J’ai l’impression que même l’Huma ne parlait pas des travailleurs égyptiens en grève.

L’agence de notation Fitch a rétrogradé les notes de l

Causette
Causette
2 mars 2011 19 h 42 min
Reply to  Causette

rhâ !

La candidature de Amr Moussa pour la présidence égyptienne est annoncée. Il sera invité sur Rfi dimanche prochain. La commission chargée de travailler à l’amendement de la constitution a proposé de limiter à 2 le nombre de mandats et de faciliter la candidature, propositions qui seront soumises à un référendum dans les deux mois.

L’agence de notation Fitch, dont le principal actionnaire le Français Marc Ladreit de Lacharrière, a rétrogradé les notes de la Tunisie « pour incertitudes entourant la stabilité et sa politique économique… » et de la Libye « pour les conditions politiques et économiques chaotiques. » Rien sur l’Egypte?

Le groupe Vinci annonce le redémarrage du chantier du métro du Caire. Le groupe avait fait évacuer les 180 expatriés début février.
Et Juppé annonce aujourd’hui « Je serai au Caire dimanche pour manifester notre solidarité à tous les peuples de la région ».

Bizarrerie du ouèb:
il y avait un article de La Tribune fr en date du 24 février 2011, titré Comment les Chinois préparent leur « révolution de jasmin »
De la confiscation des revenus du travail des salariés chinois. En Tunisie, en Egypte, en Lybie, c’est toujours le peuple privé des richesses du pays pas quelques uns qui disent à ceux-ci: dégagez. Les Français sont aussi travailleurs que les autres
Avis de recherche! il a disparu?