Le mystère des pianos manquants

N.B.  Je recycle ici un article de mon blog perso que je n’alimente plus mais que je crois susceptible d’intéresser, parce qu’il fait référence à une histoire peu connue sous  la 2e guerre mondiale.
Dans les années 70 la France finissait de se couvrir de conservatoires municipaux et la demande en pianos d’occasion était forte. Et tous les marchands et réparateurs de pianos se sont trouvés bizarrement confrontés à une pénurie d’instruments d’occasion à restaurer, en particulier de marques françaises.
Cette situation qui a finalement conduit dans les années 80, pour satisfaire le marché français, à aller chercher des pianos anciens ( et généralement de très mauvaise qualité ) par wagons entiers en Grande Bretagne était, a priori inexplicable…

En effet, avant la 2e guerre, la France était un important producteur de pianos et, outre les très connus Gaveau, Erard et Pleyel, les fabricants étaient nombreux (une trentaine selon un rapide décompte). Cette pénurie  était donc tout à fait anormale.

C’est un ancien collègue, Jean-Marie H…, qui m’a fait parvenir un article (malheureusement non sourcé, mais qui semble inspiré par les livres de Willem de Vries) qui donne une explication de ces « pianos manquants  » : ils ont, tout simplement été raflés et expédiés en Allemagne par l’occupant nazi.

Pour l’essentiel, il s’agit de biens confisqués aux Juifs et aux franc-maçons, mais pas seulement. Tous les prétextes étaient bons, à commencer par celui des prises de guerre.

Dès 1940 a été crée au sein de l’ERR (EinsatzstabReichsleiter Rosenberg ) un Sonderstab Musik, dirigé par Herbert Gerigk, aux objectifs multiples.
Certains étaient purement idéologiques, faire revenir en Allemagne tout ce qui pouvait concerner des compositeurs allemands, partitions, manuscrits, correspondance etc, mais aussi lutter contre la musique « dégénérée » terme qui concernait aussi bien les compositeurs « modernes » que juifs moins modernes. Mais avec l’instauration de l’Action Meubles qui permettait de confisquer tous les biens meubles, de très importantes saisies de pianos ont eu lieu.

Willem de Vries, l’historien hollandais qui a le plus étudié l’action du Sonderstab Musik en Europe, renonce a faire le décompte exact des pianos ainsi enlevés dans toute la zone occupée, généralement regroupés sur Paris et expédiés en Allemagne entre 1940 et 1941, puis de mai 1942 à août 1944 à la suite de l’Action Meubles. Il note : 7 décembre 1942, dix pianos sont envoyés à Berlin pour la Direction de la SS. Il fait état également d’un inventaire d’avril 1943 qui décompte 1006 pianos stockés à Paris, pour l’essentiel au Palais de Tokyo en attente de leur transfert en Allemagne. Le dernier transport serait en date du 21 juillet 1944 portant sur 43 pianos et à destination de Francfort-sur-Oder. Les lieux de stockage, outre le palais de Tokyo, sont une aile du musée des beaux-arts, les camps de Bassano et Austerlitz, un garage de la rue de Richelieu… Le Sonderstab Musik revend les pianos qu’il a pillés à diverses organisations national-socialistes !

Lorsque les troupes d’occupation allemandes quittent Paris, elles y laissent près de deux mille pianos stockés dans divers dépôts.

Après la guerre seuls les pianos restés en France feront l’objet d’un inventaire complet. Il sera terminé le 20 avril 1945 et une gigantesque opération de restitution sera organisée.

Les pianos sont exposés ( dans de très mauvaises conditions de température et d’humidité) au jardin d’acclimatation, au palais de Tokyo, à la foire de Paris. Pour obtenir cette restitution, le spolié doit, avant la visite, en avoir fait au préalable la description. S’il est le seul à revendiquer un instrument qu’il a reconnu, il lui appartient de le faire transporter chez lui. Lorsque plusieurs personnes reconnaissent le même piano comme étant le leur, c’est le juge d’instance qui doit trancher in fine. Les pianos resteront exposés jusqu’en mai 1947, mais à peine la moitié d’entre eux sera restituée ( 900 sur 2073).

Le projet initial du gouvernement qui était de procéder, pour ce qui restait, à un vente des domaines sera intelligemment transformé.
Comme beaucoup de spoliés n’avaient pu récupérer leurs pianos disparus en Allemagne, on propose de leur concéder un contrat de prêt sur les pianos non revendiqués, renouvelable de trois mois en trois mois et ne pouvant excéder deux ans ; à charge pour eux de procéder à l’entretien, la réparation et à en payer les frais d’expertise et de transport. À l’issue de ces deux ans, après une nouvelle expertise, il est proposé à l’emprunteur de le racheter ou de le rendre.

Au total, le 14 janvier 1948, le chef du service des restitutions adresse le bilan suivant au directeur des finances extérieures : dans le seul département de la Seine il y a eu 8000 pianos signalés disparu, 2 221 ont été récupérés, 1356 ont été rendus, 134 prêtés, 443 remis aux domaines et 288 sont encore dans les dépôts.

Sur toute la France, une estimation grossière permet d’évaluer à près de 10 000 le nombre de pianos qui auront disparu de la circulation, sans compter un bon millier devenu à peu près irréparable et qui vont donc cruellement manquer sur le marché de l’occasion. La situation s’aggravera encore car à ces disparitions vont s’ajouter les faillites, dans les premières années de l’après-guerre, des petits puis de tous les grands fabricants de pianos français.

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7 Commentaires
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Léon
Léon
12 février 2011 17 h 15 min

Ben alors, ça pour un bide, c’est un bide… Wharf!

maxim
maxim
12 février 2011 17 h 37 min
maxim
maxim
12 février 2011 17 h 39 min
maxim
maxim
12 février 2011 17 h 42 min

désolé ça veut pas,je voulais passer  » les vieux pianos  » de Claude Léveillée,auteur compositeur interprète Canadien !

c’est sur You tube !

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
12 février 2011 20 h 22 min

Cette histoire de guerre manque un peu de gros navions

Buster
Membre
Buster
12 février 2011 22 h 06 min

Une chose me désespère.
J’imagine un hangar, rempli de pianos, sans pianiste.
Des pianos muets, qui dorment bêtement, comme des brouettes, ou des enclumes.

J’aime le bruit des brouettes qui roulent chargées de sable.
J’aime le chant des enclumes (bien que rarement entendu) dans la chaleur et les fumées du métal rougi.

Quand ils ne servent pas ces objets sont un peu bêtes, inertes ou immobiles.

Un hangar, silencieux, de 1000 pianos, bien rangés, avec des allées pour circuler, un garde pour surveiller, de la poussière partout, sur les « carrosseries ».
Avec chacun une histoire interrompue.
C’est quelque chose qui ressemble à ce que je pourrais imaginer de plus triste au monde.

Lapa
Administrateur
Lapa
14 février 2011 10 h 41 min

très intéressant je ne connaissais pas du tout cet aspect là de l’occupation.