Instrument impressionnant, complexe, multiformes et intimement lié au développement de notre musique vocale occidentale, l’orgue a toujours été un vecteur important de l’improvisation musicale.
Il y a plusieurs raisons à ce lien quasi fusionnel entre improvisation et organistes : d’abord les capacités techniques de l’instrument qui multiplient les possibilités sonores et orchestrales, qu’on appelle registration et qui favorisent la création. Puis vient la fonction historique de l’orgue : accompagnement vocal où le musicien devait broder sur les thèmes liturgiques, temps morts à la durée jamais identiques, accompagnement de rites en soliste… Pour ma part, c’est sans nul doute les capacités sonores quasi infinies sur la totalité du spectre auditif de l’oreille humaine qui incitent la personne devant les claviers à sortir de la partition du pupitre dans une divagation ayant le goût du chemin de traverse découvert au hasard d’une randonnée.
Il ne faut guère s’étonner alors si l’improvisation est une discipline-clé enseignée au conservatoire, qu’elle fait partie des épreuves habituelles des concours internationaux ou, plus localement, des épreuves pour le choix des titulaires d’instruments prestigieux.
Une version amusante et instructive de ces concours reste les matchs d’improvisation entre organistes, solitaires ou en équipe. Il revient l’anecdote souvent contée de la joute entre JS.Bach et L.Marchand, les deux organistes les plus virtuoses de leur époque en 1707 à Dresde (et où Marchand se déroba) et il est aisé de penser que la joute portait, en partie du moins, sur des compositions improvisées.
Le WE dernier j’ai pu assister à une joute entre deux équipes de trois organistes, tous jeunes mais néanmoins primés dans le domaine de l’improvisation.
L’instrument tout d’abord : le magnifique orgue de la cathédrale St Etienne de Châlons en Champagne. Le chef d’œuvre des Abbey, facteurs anglais, récemment restauré, un parfait exemple de l’esthétique symphonique de la fin du XIXème siècle avec des jeux de détails extraordinaires. J’ai eu la chance de pouvoir jouer, de passage, sur cet instrument avant sa restauration il y a fort longtemps et j’en garde un souvenir impérissable tellement le plaisir était au rendez-vous. Parfaitement équilibré et proportionné, il remplit la vaste nef à l’acoustique généreuse sans tomber dans l’excès propre à certains.
Les règles ensuite sont simples : les organistes découvrent une demi-heure avant le début de l’épreuve les thèmes sur lesquels ils devront improviser, les durées et les harmonisations demandées. Chaque équipe passe à tour de rôle et l’arbitrage du match se fait au sonomètre pour les applaudissements ou par vote de type bulletin ou par jury. Dans certains cas, l’improvisation est dite « tournante », il s’agit alors de céder sa place à son collègue en cours de morceau, sans que cela ne se remarque autrement que visuellement (généralement, pour rapprocher les artistes du public et afin de rendre la joute plus intéressante, une caméra retransmet ce qui se passe sur la console sur grand écran, ou alors la console est déportée près du public via des liaisons électroniques).
La difficulté porte sur plusieurs points :
D’abord appréhender correctement le thème (celui-ci varie entre chansons populaires, prénoms ou noms, thèmes grégoriens, textes seuls, génériques ou morceaux connus) et réaliser les variations nécessaires avec des exécutions virtuoses.
Ensuite il faut respecter la durée imposée et surtout, l’harmonisation demandée. Cette dernière est primordiale : le même thème pourra être exécuté suivant, liste non exhaustive, une harmonisation classique (Mozart ou Haydn), baroque (Bach) ou romantique (Brahms) … chaque exécutant ayant évidemment des facilités particulières plus ou moins marquées pour telle ou telle période.
Enfin il faut pouvoir utiliser tous les effets sonores de l’instrument et maîtriser la registration afin de créer une véritable composition orchestrale « à la volée » qui puisse également exprimer le thème retenu.
C’est sur ces critères là que sont notés les improvisateurs. Il faut reconnaître que, parfois, une improvisation qui échappe à ces règles peut nous être plus agréable : dur conflit entre le plaisir ressenti et le respect des règles ! Néanmoins ces joutes restent amicales, et le but n’est que de faire découvrir sous un autre aspect un instrument qui peut paraître lointain pour beaucoup. Aussi le résultat n’a que peu d’importance quand le plaisir est là ; les équipes se retrouvant autour d’un verre du breuvage local, en l’occurrence ici, le champagne.
Je vous met donc les liens des vidéos que j’ai prises : la qualité évidemment n’est pas comparable avec les enregistrements professionnels puisqu s’agit d’un i Phone, soyez indulgents.
Trois exemples :
Le premier : improvisation sur le thème de « plantons la vigne » avec une harmonisation assez pré romantique.
Le deuxième, il s’agit du même thème traité avec une harmonisation classique à la Haydn. Je pense que la différence est assez flagrante.
Le troisième exemple : il s’agit d’une improvisation sur le prénom Elodie, effectuée grâce à la correspondance des lettres avec les notes (notation anglo saxonne).
Lapa
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Très intéressant, merci. L’orgue est un instrument sur lequel je n’avais pas fait d’article à l’époque. Il le mérite pourtant : c’est l’instrument acoustique le plus puissant jamais inventé par l’homme et il est d’une complexité démentielle. J’ai la chance de connaître l’un des deux titulaires des orgues de la cathédrale de Montpellier, il m’a montré et expliqué l’instrument. J’ai été très surpris, au niveau du jeu, de constater qu’un organiste a rarement les deux mains sur le clavier simultanément tant il a à faire avec les registres. Il y a toutefois quelque chose qui m’a toujours gêné avec l’orgue d’église : ces instruments sont presque toujours installés dans des lieux où la réverbération est énorme et très longue et ce que l’auditeur entend en bas dans l’église est souvent de la bouillie…
Bouillie qui s’invite si on ne respecte pas trois critères essentiels:
– une composition et une facture (buffet, jeux, disposition des plans sonores…) adaptées au lieu
– une harmonisation de la tuyauterie idoine
– un jeu de l’organiste (registration et tempo) adapté à la réverberation de l’édifice
trois critères pas si faciles que ça à réunir…
Amusant quand on sait que pendant presque mille ans, les orgues n’ont sans doute bénéficié que d’acoustique sèche de plein air ou de petites pièces.
Cela me fait plaisir que vous le reconnaissiez. Effectivement, c’est assez difficile de réunir ces trois conditions. Pourquoi dites-vous que ces orgues n’ont « bénéficié que d’acoustique sèche de plein air ou de petites pièces » ?
L’introduction de l’orgue dans les églises ne date que du XIème siècle sans entrer dans les détails (cela pourra faire l’objet d’une saga complète), l’accompagnement du plain chant vers le VIème mais auparavant le rôle de l’hydraule était dans l’accompagnement des festivités, d’où des instruments « mobiles » qu’on retrouvait dans les jeux et fêtes de rue, pour les entrées et sorties des palais de l’empereur, dans quelques maisons de la haute bourgeoisie. Les plus gros pour la pompe du palais. Rien à voir avec les instruments actuels qui se sont sédentarisés sur les tribunes des édifices religieux de plus en plus vastes. On avait donc des instruments dits « portatifs » et des « positifs », de vrais meubles là. Plus tard, le positif est venu rejoindre le grand orgue à la tribune. C’est pour cela que beaucoup de buffet d’orgues (notamment Brabançons) montrent deux corps visibles.
je vais vous faire une saga si ça vous intéresse. Parce que historiquement, techniquement, politiquement et musicalement c’est passionnant 🙂
dans ce bas relief d’istambul, l’on distingue bien l’hydraule en bas à droite pour des festivités de plein air: http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Istambul_cokol1RB.JPG
Oui, oui, absolument, pour la saga, je vote pour ! Je remplis même les urnes !
bourrer les urnes? mais vous vous croyez sur certains sites!
bon de toute façon j’avais déjà commencé à y réfléchir pour AV, mais je préfère que ça se fasse ici.
J’avais un copain, en pension, qui jouait de l’orgue.
Comme on est con à 14 ans (je le suis d’ailleurs resté), je l’ai pris pour une bille…jusqu’à ce jour où je l’ai entendu jouer la toccata et fugue en ré mineur.
J’en suis resté comme deux ronds de flan.
Organistes improvisateurs….
beaucoup de liens via wiki…http://fr.wikipedia.org/wiki/Musique_d%27orgue
Effectivement l’orgue est un instrument passionnant..
Beautés méconnues des oeuvres de :
Maurice Duruflé…(requiem,prélude et fugue sur le nom d’A.L.A.I.N. -un pote mort à la guerre-)
Olivier Messiaen (apparition de l’église éternelle (sa première composition , l’ascension , corps glorieux, Nativité , etc…)
Et tant d’autres…
Claude,
On est vraiment désolés de la confusion de l’autre jour. Au point que j’en ai oublié de vous souhaiter la bienvenue parmi nous. C’est, pour moi en tous cas, toujours un plaisir d’accueillir un mélomane.
@ Claude
Je vous que nous pargaeons certains goûts musicaux : Duruflé et surtout Messiaen (lien sur la Méditation IX) dont je suis un fan.
@ Lapa
Très intéressant article. L’orgue est un instrument fabuleux. J’avais un copain très friqué en Suisse qui en avait un très gros et très beau chez lui. Je passais des heures à jouer dessus bien que n’y connaissant rien, juste envoûté par les sons que je pouvais produire. Rien à voir avec Messiaen !
Bon, ben là je dois avouer que mon ignorance va faire de moi un spectateur.
J’espère que terme journalisme/citoyen va vraiment se vérifier et que ce sont les commentaires qui vont enrichir l’article et m’apprendre ce que je ne sais pas.
Le deuxième extrait (à la Haydn) a ma préférence, sans que je puisse expliquer pourquoi : une légèreté, un tempo…
Merci pour cet article et pour les liens, j’ignorais totalement qu’il existait ce genre d’impro : j’aime apprendre ainsi!
Article original, et très bien écrit.
Merci d’avoir consacré du temps à nous faire partager cela !
Bonjour Léon…
J’ai parfaitement compris l’objet du malentendu et cela fait longtemps que je n’y pense plus…
Ton blog prend forme , mais il me semble que bien des choses délicates ou sensibles sont à régler…Cela demande aussi un peu de temps…
Je me permets d’y faire un saut de temps en temps car l’expérience est intéressante…
Amitiés .
Merci Lapa,
Superbe article.
Cela réveille en moi une madeleine proustienne.
J’ai quelques souvenirs vivaces d’organistes.
Mon père, organiste à ses heures et grand adorateur de JS Bach, avait ses entrées dans les églises où officiaient les grands organistes, St Sulpice notamment, et était accepté à la tribune des organistes.
Il m’avait emmener voir jouer pendant un office, un organiste génial, Marcel Dupré. ou là
J’étais assis presque à côté de lui pendant tout l’office, impressionné par cette épreuve physique autant que par le tonnerre sonore qu’il pouvait déclencher.
Plus tard et dans les mêmes conditions, c’était dans une autre église, j’avais aussi pu voir jouer une élève de M. Dupré, Marie-Claire Alain.
Ils y avait toujours un moment où, pendant l’office, souvent pendant l’entrée ou la sortie et lorsqu’ils n’accompagnaient aucun chant, ils improvisaient librement sur un thème.
De grands souvenirs !
Marie-Claire Alain ? Fichtre… Je n’ai jamais eu ce privilège.
vous en avez de la chance 🙂 pour ma part je me souvient d’une anecdote. Je divaguais à une tribune quand un monsieur très poli me rejoint (pour une fois je n’avais pas fermé à clé). Comme il avait l’air intéressé je lui explique le fonctionnement de l’orgue et lui donne un « mini cours » sur la facture de cet instrument. Très sympathique, il essaie et me remercie tout en étant très intéressé par mes explications.
Et ce n’est qu’après que j’ai su que c’était pascal Quoirin, un célèbre facteur d’orgues http://www.atelier-quoirin.com/ qui était de passage.
C’est plutôt lui qui aurait pu m’apprndre des choses! mais au moins n’avait il pas l’attitude pédante qu’on peut retrouver chez certains « spécailistes ». 😆
Aux grandes orgues, ses caresses aux claviers maîtrisées avaient une délicatesse à délier de dentellières délices et d’intempérantes et mutines amours matinales.
Je vois qu’il y en a qui aiment Messiaen, c’est tout à fait légitime, tant mieux pour eux car je n’ai à vrai dire jamais aimé ni compris sa musique.
Dans les grands compositeurs pour orgue, vu qu’ils n’ont pas été mentionnés, je voudrais citer Dietrich Buxtehude (1637-1707) et Nicolas de Grigny (1672-1703). Ce dernier est méconnu, sauf dans le milieu des amateurs de musique pour clavier baroque, mais son oeuvre unique (logique vu sa mort précoce) est encore supérieure aux deux messes de Couperin pour le même instrument. C’est une oeuvre que je connais bien et ce n’est pas pour rien que Bach l’a recopiée de sa main à Weimar vers 1713, le manuscrit est conservé à la bibliothèque de Berlin. Son oeuvre est d’une écriture raffinée dans ses polyphonies.
Buxtehude est plus connu, avec sa fougue, sa poésie, sa fantaisie imaginative et ses polyphonies aériennes, il y a moins besoin d’en faire la publicité. Ce sont deux musiciens qui se trouvent sans trop de difficultés dans les bibliothèques, surtout le deuxième.
Bien d’accord, Waldgänger.
Je ne comprends pas non plus Messiaen, sans savoir s’il y a quelque chose à comprendre. Un seul exemple: ce Chant du Merle n’a rien, mais rien à voir, ou à entendre avec le chant de l’oiseau, son esprit ou sa lettre.
Si Messiaen a produit quelques œuvres intéressantes, beaucoup sont à mon humble avis plus célèbres qu’audibles. Ainsi du Quatuor pour la Fin du Temps.
Ben… les goûts et les couleurs, etc. On peut aimer à la fois Buxtehude, Couperin et Messiaen, ce qui est mon cas. Le Quatuor pour la fin des temps est un chef d’œuvre, tout comme la Turangalila symphonie. Tiens, vous me donnez envie de les réécouter, ce que je n’avais pas fait depuis longtemps…
Oui, Marsu, il faut bien qu’on ne soit pas d’accord sur tout, ce serait monotone !
Mais ce n’est pas pour ça qu’on va s’insulter comme sur les sites-poubelles, vieille fripouille… 😉
En le réécoutant, je repensais à ce Chant du Merle. C’est vrai qu’il ne ressemble pas au son que produit la bestiole, mais il en conserve l’architecture secrète. C’est aussi ça le génie de Messiaen : cette transfiguration. Superbe !
Tout ce qu’a composé O. Messiaen jusqu’à 1950 est non seulement audible , mais souvent d’une grande intelligence et d’une grande beauté…Ses catalogues d’oiseaux m’apparaissent plus comme des défis qu’il se lance ,un approfondissement de son mysticisme à travers la nature , une recherche dans la transposition » impressionniste » et souvent un challenge pour de nouveaux interprêtes dans le cadre de la musique contemporaine où l’on trouve de tout ,dont des chefs d’oeuvre , qu’une musique accessible à tous . Il en est de même pour Boucourechliev (archipels)comme pour beaucoup d’oeuvres picturales qui vont vers l’abstraction la plus poussée , mais plus facilement perceptibles , ne serait-ce que parce que l’on peut consacrer trois minutes ou trois heures devant un tableau …
Il en est ainsi de même pour P.Boulez et ses « structures » qui a été un des chefs d’orchestre les plus fabuleux pour la précision et la profondeur de ses interprétations , d’ I. Stravinsky (le Sacre , Petrouchka, l’Oiseau de feu ) de Cl. Debussy ,de Bela Bartok (et son incroyable » Château de Barbe Bleu » dont il a fait deux versions, la première ne le satisfaisant pas tout à fait , et de tant d’autres…Bref si vous avez le choix entre plusieurs interprétations inconnues dont celle de Boulez , en choisissant ce dernier , vous avez automatiquement une référence incontournable.
Merci