Les Wikileaks du Clergé parisien

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Voilà un billet qui, à défaut de remuer le grand public, pourrait plaire aux animateurs de Disons.fr. et à quelques visiteurs réguliers. Ici, l’anticléricalisme primaire, secondaire et tertiaire a toujours eu bonne presse.
C’est aussi l’occasion de rappeler que la diffusion en masse de documents confidentiels ne date pas d’aujourd’hui et que les lanceurs d’alerte ne sont que rarement des doux rêveurs !

(Pour ne pas trop encombrer cet espace, j’ai mis la transcription de trois procès-verbaux sur mon blog)
Les exigences de Bulté de Chéry, prêtre aumônier du roi
Le père Félicien surpris en galante compagnie
Le prêtre Jolibert surpris avec une prostituée enceinte

C’est entre fin février et début juin 1790 (difficile d’être plus précis, car l’ouvrage ne comporte pas d’achevé d’imprimer), que parut La Chasteté du clergé dévoilée, ou Procès-verbaux des séances du clergé chez les filles de Paris, trouvés à la Bastille – A Rome, de l’imprimerie de la Propagande, et se trouve à Paris chez les marchands de nouveautés.

Le moment était bien choisi.
– A l’automne 1789, l’Assemblée Constituante nomma une Commission Ecclésiastique chargée de lui présenter un projet d’organisation de l’Église de France;
– le 2 novembre 1789, les députés votèrent la nationalisation des biens du clergé;
– le 13 février 1790, la Constituante prit un décret qui abolit les voeux monastiques et par voie de conséquence les ordres religieux contemplatifs;
– au printemps 1790, le vote décisif approche, la presse en débat avec passion;
– le 12 juillet 1790, l’Assemblée Constituante votera la (désastreuse) Constitution Civile du Clergé.

La Chasteté du clergé dévoilée se présente comme une impression romaine, dans la plus pure tradition des pamphlets antireligieux. Personne ne pouvait être dupe, c’était une production clandestine et parisienne (comme il s’en publiait des dizaines), en vente chez les Marchands de Nouveautés – comprendre chez quelques libraires ayant pignon sur rue, mais surtout dans le réseau des colporteurs, les boutiques et étals qui occupaient les arcades du Palais-Royal, plaques-tournantes pour la diffusion d’une littérature vendue sous le manteau. De tous temps, la diffusion de libelles politiques et scabreux ont fait bon ménage. Les moyens à mettre en oeuvre, les risques calculés, les profits escomptés, les précautions à prendre, les acteurs et la chaine économique étaient les mêmes.

Contrairement à beaucoup d’ouvrages du même tonneau, La Chasteté du Clergé dévoilée traite bien ce que le titre promet. C’est la transcription de 210 procès-verbaux établis par la police de l’Ancien Régime lors d’innombrables descentes ciblées dans des bordels parisiens entre 1750 et 1766. La lecture en est fastidieuse, tant cette littérature administrative manque d’originalité.

Le schéma narratif est toujours le même : Un indicateur prévient un inspecteur de police de la présence d’un ecclésiastique chez une prostituée, l’inspecteur se fait accompagner d’un commissaire, ils se rendent sur le lieu du délit, ils arrivent trop tôt, trop tard ou juste au bon moment. Ils s’assurent de l’identité de l’ecclésiastique , de celle de sa ou ses partenaires et des intentions du prêtre. Au pire, celui-ci est remis à ses supérieurs à l’issue de l’interrogatoire. L’ecclésiastique sera (ou non) sanctionné par son ordre, cela ne relève plus de la police des moeurs.

La quasi-totalité des ecclésiastiques pris en flagrant délit appartiennent au bas clergé parisien ou à la fraction inférieure du moyen clergé de province. De toute évidence, le compilateur de ce recueil n’a pas eu accès aux dossiers les plus sensibles, lesquels n’étaient probablement pas archivés à la Bastille.

Reste à savoir quel était le but de cette publication et qui pouvait en être le compilateur.

Le texte est précédé d’un avertissement de 24 pages. C’est un mélange de considérations morales et de pétitions de principes révolutionnaires. Il y est fait allusion au décret du 13 février 1790 sur les voeux monastiques et au but que se propose le compilateur : servir, dans cette circonstance à jamais mémorable, à éclairer nos législateurs, et à préparer pour l’avenir un meilleur ordre des choses.

Les documents publiés sont authentiques, mais ils sont vieux d’une bonne vingtaine d’années. La bibliothèque de l’Arsenal conserve des centaines de procès-verbaux similaires (Annexe 1), mais le compilateur de La Chasteté du Clergé dévoilée semble n’avoir eu accès qu’aux documents d’une période du règne de Louis XV, celle comprise entre 1750-1766, moment où la police était la plus active dans sa chasse aux mauvais prêtres. Dans le tome II (page 32 et suivantes), sont publiés le procès-verbal et une lettre relatifs à un prêtre lyonnais, le seul anonyme des quelques 210 ecclésiastiques nommés dans cette collection. D’après le compilateur, il s’agirait d’un abbé, député à la Constituante, dont il a décidé de préserver l’anonymat. Pourquoi avoir préservé l’anonymat de cette personnalité et non celui de prêtres moins connus, si ce n’est pour protéger quelqu’un d’idéologiquement proche ? (Annexe 2)

La Bibliothèque Nationale de France, à la suite de Barbier, attribue La Chasteté du Clergé dévoilée à Dominique Darimajou (né en 1761), un révolutionnaire qui finit sa carrière à la Cour des Comptes sous Charles X.

Robert Darnton dans Le Diable dans le bénitier, avec des arguments plus ou moins convaincants, attribue La Chasteté du Clergé dévoilée à Pierre-Louis Manuel (1751-1793), un libelliste de l’Ancien Régime, mais aussi (comme il se doit) un espion salarié par la police de Paris, embastillé pendant quelques semaines en 1786, fin connaisseur du milieu de l’imprimerie et de la librairie clandestine, puis membre de la Commune Provisoire de Paris où il exerça les fonctions d’administrateur de la police, du département de la librairie, des spectacles et… des attributions accessoires. Darnton se trompe peut-être, mais Manuel a toutes les compétences requises pour être au moins complice de cette publication.

Que ce soit Darimajou, Manuel ou un autre, le compilateur de La Chasteté du Clergé dévoilée chercha à jouer sur plusieurs tableaux : une opération commerciale ciblant les amateurs de publications scandaleuses et une opération politique dans le contexte des débats sur la Constitution Civile du Clergé. A courir plusieurs lièvres à la fois, on les manque souvent tous. La Chasteté du Clergé dévoilée ne fut pas un succès de librairie (pour preuve, elle ne fut ni contrefaite, ni rééditée !) et elle ne laissa pas grande trace dans la presse politique (son titre racoleur y était pour beaucoup). Il n’y eut guère que Les Révolutions de Paris, dédiées à la Nation pour en rendre compte dans leur numéro 49 du 12 au 19 juin 1790 (Annexe 3) et utiliser ce libelle au moment du débat sur le célibat des prêtres.

La Chasteté du Clergé dévoilée sombra rapidement dans l’oubli, pour n’être plus citée qu’en référence bibliographique. Le texte ne semble pas avoir été réédité au XIXème siècle et il faudra attendre Leo Taxil et les pamphlétaires anticléricaux du début du XXème siècle pour que quelques extraits de ces procès-verbaux soient offerts à un public plus large… avant qu’au XXIème siècle, la Bibliothèque Nationale de France ne mette l’ensemble du dossier en ligne pour le plus grand bonheur des amateurs de gaudriole ecclésiastique !

Petite bibliographie aléatoire :
– La Chasteté du Clergé dévoilée Texte intégral des 2 volumes sur Gallica
– Les Archives de la Bastille – Discipline des Moeurs, plusieurs centaines de documents sur Gallica
– Biographie de Pierre-Louis Manuel sur le site de l’Assemblée Nationale
Myriam Deniel-Ternant  – Paris, capitale de la déviance ecclésiastique au siècle des Lumières (2013)
– Robert Darnton – Le Diable dans le bénitier. L’art de la calomnie en France, 1650-1800 (avec un chapitre consacré à Pierre-Louis Manuel)

Annexe 1 – Rapport de l’inspecteur Marais, 3 février 1765
Archives de la Bastille, Discipline des Moeurs, années 1765-1769 – BNF

 

Annexe 2  – Fin du rapport de l’inspecteur Marais et justification de l’anonymat de ce prêtre
La Chasteté du Clergé dévoilée, tome II, p. 34 (Source BNF)

 

Annexe 2  – Justification de l’anonymat de ce prêtre (suite)
La Chasteté du Clergé dévoilée, tome II, p. 35 (Source BNF)

 

Annexe 3 – Les Révolutions de Paris – Juin 1790 (Source BNF)

 

Annexe 3 – Les Révolutions de Paris – Juin 1790 (Source BNF)

 

Annexe 3 – Les Révolutions de Paris – Juin 1790 (Source BNF)

 

Portrait de Pierre-Louis Manuel – 1792
Source : Bibliothèque Nationale de France
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8 Commentaires
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D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
18 mai 2018 22 h 17 min

Les associations d’idées se télescopent dans mon esprit…
Clergé fornicateur, jardin et affaire politique.
Mes actuelles lubies horticoles sont voisines de mon vif intérêt pour une histoire célèbre d’ancien régime, où puissant ecclésiastique, fille de petite vertu , aventurière et Reine de France se trouvaient mêlés ….
C’était au bosquet de Vénus…Ex Labyrinthe et futur de la Reine

Dora
Membre
Dora
19 mai 2018 14 h 26 min
Reply to  D. Furtif

Hello!
« La quasi-totalité des ecclésiastiques pris en flagrant délit appartiennent au bas clergé parisien ou à la fraction inférieure du moyen clergé de province. » Je me souviens d’une toile représentant une des pièces de l’appartement d’un cardinal, d’un évêque ou d’un pape où une trappe au sol était ouverte sur un escalier permettant d’accéder à un logement tenu secret où la compagne d’un des cadres de l’église élevait ses enfants. Les curés issus du peuple n’avait que le second choix, les prostituées. Les autres menaient grande vie : compagne, vins fins et bonne chaire!

Cosette
Cosette
19 mai 2018 20 h 14 min

29 MARS 1790 : le pape condamne le texte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

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le but de cette publication
je pencherai plus sur une opération 100% politique, sinon l’auteur s’il visait une « opération commerciale » n’aurait pas seulement publié que des procès-verbaux … lecture fastidieuse… il aurait brodé sur des détails « croustillants » à la place d’un shéma narratif toujours le même qui n’a pas intéressé grand monde finalement.

De plus, il me paraît que cette « oeuvre » n’est pas forcément anticlérical ; je me demande en quoi ça dérangeait les révolutionnaires que des curés fréquentent des prostituées. Peut-être étaient-ils à cette époque plus tatillons que les catholiques sur les rapports sexuels. Enfin faut voir…

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
19 mai 2018 20 h 44 min
Reply to  Cosette

Bin Causette…
Il faut bien dire qu’à part quelques aristos et hommes d’église rares aussi, la bourgeoisie est pour la plupart traditionaliste….
Il ne faut pas se faire d’illusions sur le caractère « LUMINEUX » des hommes des lumières…
Le fondement de l’esprit franc maçon est assez brumeux lui aussi….
….
En bref , un homme comme Robespierre représente l’esprit général des hommes de le Révolution….
L’athéisme le scandalise et l’Être suprême est son dada perso….
….
Il ne faut pas oublier le lexique de ce temps là avec le mot qui envoya le plus à la guillotine…= LA VERTU
Ils le mettaient à toutes les sauces comme une véritable Curie Romaine.

En passant
Si la Papauté s’élevait contre le statut des prêtres Jureurs c’est avant tout
– pour condamner la Vente des Biens du clergé
– l’expulsion de l’Église du monde Judiciaire ( pour raison pépettes)
– la fin des impôts comme la dîme
.
Il y avait bien des raisons philosophiques et purement religieuses mais elles ne furent pas trop mises en avant.
Car il faut bien le dire = la grande masse de la population était créationniste et il n’y avait pas trop à craindre de ce coté là
L’avènement de Champollion et plus tard de Darwin fut un gigantesque contrepied…ainsi que la baisse énorme du prix des livres.

Dora
Membre
Dora
21 mai 2018 14 h 41 min
Reply to  D. Furtif

Que les révolutionnaires, les Républicains ne puissent pas concevoir une société sans croyance, sans s’appuyer sur un mythe comme celui de l’être suprême est révélateur de l’emprise de l’église catholique sur la vie quotidienne, du pouvoir et de la force de conviction qu’elle représentait. Supprimer le calendrier grégorien, c’était supprimer les fêtes religieuses mais aussi une liste de prénoms. J’ai visité le musée de la Révolution française près de Grenoble. Y sont exposées des assiettes dont les motifs faisant référence à la famille royale avaient été grattées par leur propriétaire pour échapper à l’échafaud. A la fin du XIXème siècle, un aïeul ayant été maltraité par des religieuses dans un orphelinat avait rayé la religion de sa vie, refusant le baptême et l’éducation religieuse de ses enfants. Ayant participé aux grèves durant cette période, il se retrouvait avec ses collègues dans des soirées pour des pratiques occultes où ils faisaient parler les morts. Comme Victor Hugo pour sa fille, il devait chercher un contact avec sa mère morte lorsqu’il avait 5 ans.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
21 mai 2018 20 h 12 min

Illustration en complément .
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Les exigences du prêtre Bulte de Chery
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Publié chez Lavigue Pravda
https://lavigue.blogspot.fr/1970/05/les-exigences-de-bulte-de-chery-pretre.html

Fabien
Fabien
24 mai 2018 11 h 41 min

Bonjour à tous,
ils faudrait joindre à cet article une étude sur les Populations du Cap.

Bon OK. Je sors….