Mon intérêt pour lui remonte à loin mais il est dû à un hasard : il habitait à côté d’un ami avec lequel je faisais de la musique et ses parents le connaissaient, j’avais 23 ans à l’époque. On adorait débarquer sans prévenir dans ses bureaux et se faire jeter au bout de 5 mn « parcequ’il avait du boulot », mais après nous avoir défiés au bilboquet, jeu dont il était fan et expert redoutable. Il en avait de nombreux modèles un peu partout sur ses étagères et ses tables à dessin. Il prétendait que c’était par mimétisme avec son crâne qu’il avait déjà chauve…[1]
Pour préparer cet article, en parcourant les rares textes sur son œuvre que l’on peut trouver sur le net et en relisant deux de ses livres, je me demandais comment je pourrais la caractériser en quelques mots.
C’est en relisant « Pourquoi des architectes » que l’on prend conscience de sa révolte contre une architecture qu’il juge aberrante. Le livre est d’une violence qu’on ne s’attend nullement à rencontrer dans un tel ouvrage , violence teintée de désespoir devant l’incompréhension de décideurs qui refusent certains de ses projets au profit de ce qu’il appelle «des casernes de gendarmes mobiles ». « Cependant, trop d’architectures ont ça pour visage, moitié frigidaire, moitié pensée de citerne. Comment supporter cet avoir dont les biens ne protègent pas de la mort mais l’infusent. Ils sont la masse morte et l’imbécillité pétrifiante. Pas gai ».
Il n’est pas possible dans le cadre d’un simple article de présenter toute son œuvre. J’ai choisi quatre bâtiments qui me semblent emblématiques, le quatrième, peut-être le plus connu, l’œuf, n’ayant jamais vu le jour et étant resté à l’état d’un projet merveilleux…
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L’ hôtel de la Caravelle à Saint-Anne en Guadeloupe.
Avant de faire comprendre pourquoi, à certains égards, c’est un bâtiment hors-normes André Bruyère tient toujours à rappeler que sur les aspects fonctionnels, budgétaires et techniques, tant en équipements qu’en gros œuvre, il est d’une rigueur implacable. Et que cela va de soi. Mais il y a tout le reste, là où il va s’exprimer.
Il crée une sorte de voile de béton qu’il qualifie de « molle » comportant des dissymétries, des volutes enveloppantes, sous laquelle il va abriter tous les espaces communs, tout ce qui n’est pas chambres à proprement parler : accueil, bureaux, salle à manger, salle de spectacle, boutiques, bar, espaces de rencontre etc. Mais cette voile qui a constitué son principal défi technique résolu avec l’aide de l’ingénieur Henri Trezzini crée des espaces toujours renouvelés. Sous cette voûte il y a deux étages dont le plancher du premier comporte des vides permettant de voir le rez-de-chaussée et une extraordinaire mise en scène par une passerelle qui descend en pente douce vers le bassin (en forme de poisson, mais dont on ne peut comprendre la forme que de haut, une facétie de Bruyère) et vous dépose devant la mer. Car c’est là que se révèle une idée qui me semble absolument géniale dans cette construction : permettre d’éviter la saturation du paysage. Il est là le détail merveilleux : l’architecte a fait exprès, en jouant avec la végétation et le bâtiment pour que l’on ne puisse voir la mer d’aucune chambre, tout juste la deviner depuis certaines d’entre elles et l’apercevoir à peine depuis les espaces communs.
Pourquoi cette idée totalement iconoclaste, anti-touristique à première vue ?
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Un laboratoire d’électronique pour la faculté des sciences de Paris, terminé en juillet 1968, St-Cyr-l’Ecole.
Puisqu’il s’agit d’un laboratoire, donc d’un endroit où les gens sont confrontés à des difficultés, des problèmes, ils ont une nécessité absolue de se rencontrer pour en parler.
La deuxième particularité de ce bâtiment correspond bien à une autre exigence de l’architecte : offrir, y compris à un bâtiment administratif, non seulement la fonctionnalité, mais aussi ce supplément d’âme qu’apporte la sensualité des courbes, le soin que l’on aura mis à sa réalisation, l’envie de faire beau et bien.
Le pavillon de l’ORBE, Hôpital Charles Foix à Ivry-sur-Seine
Ce troisième édifice dont malheureusement il n’y quasiment aucune photo disponible sur le net, sinon minuscules,est un lieu destiné à accueillir un service de gérontologie. C’est l’une de ses toutes dernières réalisations, elle a été inaugurée en janvier 1991.L’idée maîtresse de ce bâtiment, élaboré après un large et intense concertation avec le personnel soignant, est d’abord de mêler les lieux de vie et les lieux de soins : pas de couloirs, un jardin intérieur, des lits disposés de manière que les patients puissent décider de communiquer ou pas avec leur voisin, des portes séparées dans les chambres à deux lits pour que chacun ait la sienne ; dans les chambres collectives chacun à sa fenêtre avec un coin particulier, une banquette ou un fauteuil roulant ; tout est fait pour ouvrir les chambres sur un espace animé collectif consacré à des ateliers créatifs pour susciter l’envie des déplacements, d’activités, mais les portes vers l’extérieur, au contraire, sont toutes longitudinales pour ne pas inciter à la fugue… Une vasque plate à l’entrée pour boire, se laver les mains, se rafraîchir le visage. De la moquette au sol, en contradiction avec toutes les prescriptions d’asepsie et d’hygiène, mais tellement moins dure sous des pieds exténués par une longue vie…
André Bruyère, pour réfléchir à ce pavillon avait passé une nuit entière dans un lit de l’ancien service de gérontologie à écouter les peurs, les gémissements, les inconforts des patients avant de leur apporter ses réponses architecturales fondées sur ce que certains ont qualifié de « tendresses » vis à vis de ces personnes âgées. Le détail qui tue et qui est bien dans la manière de cet architecte de dépasser le « fonctionnel » même bien conçu : dans la salle de vie, la salle commune, il a fait mettre une fenêtre sculptée en forme « d’homme debout » pour inciter les vieux à se redresser…Voici ce qu’en a dit l’architecte, Roland Castro beaucoup plus connu, lui, dans un entretien récent : « J’ai un ami architecte, décédé maintenant, qui s’appelait André Bruyère. C’était un grand résistant, un des rares architectes convenables des années soixante – et il n’y en a pas eu beaucoup, donc on peut se souvenir de son nom. Il avait construit une maison médicalisée très matricielle, très enveloppante, très protégeante, pour des personnes en fin de vie dans un hôpital de la région parisienne. L’Assistance publique a publié des statistiques concernant son bâtiment et, par rapport aux prévisions, les gens mouraient trois fois moins vite! Il se demandait pourquoi on ne lui en commandait pas davantage et je lui rétorquais que si on faisait de très bons bâtiments pour les vieux, ils vivraient plus longtemps et que ça creuserait le trou de la Sécu… »
Ce bâtiment est certainement l’un des rares services de gérontologie du monde qui soit visité comme un monument historique. Il m’étonnerait qu’il y ait pensé, mais je me plais à imaginer une « tendresse » supplémentaire et involontaire d’André Bruyère : se débrouiller pour que tous ces petits vieux voient passer du monde…
Terminons par l’oeuf.
Après son échec pour le centre Pompidou, André Bruyère l’a retravaillé et proposé pour New York. Il aurait eu 125,50 m de haut très exactement, comporté 37 étages, aurait été construit dans la continuation d’une de ses habituelles voiles de béton qui aurait abrité des commerces et aurait comporté trois étages de parking souterrains.
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» Alors je propose à la Grande Ville quelques impressions autres : le répit, une surprise, l’humeur, la contestation et la découverte qu’entre les dures géométries vienne la douceur d’un volume, courbe en tous sens changeant, en contraste, de ces façades où l’angle tombe toujours droit du ciel, toujours semblable. Alors, l’Oeuf »
D’autres éléments sur André Bruyère rassemblés ici.
[1]Note : Incidemment, apprenant que nous faisions de la musique, il nous avait fait cadeau du premier steelpan que j’ai jamais vu : il l’avait ramené des caraïbes fasciné par le détournement que représentait cet instrument fabriqué dans le haut d’un fût d’essence.
Un sacré bonhomme….
Lectures :28529
http://stefaninijournal.com/evenements1006.htm
la maison Chaneac à Aix les bains.
(pas de photos persos, j’ai jamais réussi a la phographier correctement, encore plus difficile que les orchidées!)
Ca a l’air effectivement curieux, mais je me méfie un peu des formes pour les formes. Il faudrait habiter dedans pour voir. Ce que j’ai toujours apprécié chez Bruyère c’est qu’il ne transigeait jamais avec les aspects techniques et « l’habitabilité », la commodité.
j’ai un peu habité dedans, suprenant, et au final très commode.
je suis assez méfiant aussi du « les formes pour les formes » de nature rochonne et souvent agressé par les archis qui exposent leur « ventres » 🙄
hihi! cela me rapelle des discus enflammées avec Jean-louis ou pour faire de la provoc je lui disais qu’ils faudrait faire un » nuremberg des archis » pour crime contre l’humanité