Petit panier garni de jazz n°2 : les seconds couteaux

Quand je vais aux champignons, je prends mon second couteau, un faux Laguiole, car je crains trop de perdre le premier : vous pensez ! un Laguiole gravé avec mes initiales et fabriqué à l’usine, l’originale, la vraie…

Pourtant, ce fake qui m’accompagne partout me donne satisfaction en tout point.

Je n’ai aucun reproche à lui faire. Il est léger, il coupe, fait le job, tient la cadence. Bref, il m’apporte peut-être plus de plaisir et d’usage que le premier.

C’est un peu la même chose en jazz. Vous dites Saxophoniste, le puriste désigne Charlie Parker, vous dites Trompette, il répond invariablement Miles Davis, vous dites Piano, il vous cite sans ciller Oscar Peterson.

En piètre amateur de jazz que je fais, je dois avouer que, dans ma discothèque, ne figurent que très peu d’albums de ces grands noms du jazz. Pire, je n’éprouve aucune envie de compléter ma collection de leurs mythiques productions.

Esprit de contradiction ? En tout cas, ce tempérament me pousse à fouiller les bacs obscurs pour me forger mon propre avis.

Je suis comme qui dirait sur la réserve vis à vis des musiciens starifiées et l’histoire du jazz a ceci de lénifiant qu’elle leur consacre bien trop de lignes au détriment des fameux seconds couteaux.

Autant de bonnes raisons pour vous présenter deux de ces seconds couteaux qui ont vite trouvé leur place sur ma platine.

Le premier est Sonny Stitt, saxophoniste ténor de style jazz be-bop.

Originaire de Boston, Sonny Stitt est né en 1924 dans une famille de musiciens. A l’âge de 17 ans, il se produit déjà avec son saxophone alto dans un Big band.

Ce n’est qu’à partir de 1945 qu’il se tourne vers le sax ténor et même baryton, peut-être aussi, dit-on, pour éviter d’être systématiquement taxé de copier Charlie Parker.

Stitt est en tout cas assez bon pour être présenté à Miles Davis, une collaboration qui aurait pu être moins éphémère sans le fâcheux penchant de notre ami pour la bouteille. Un comble quand on connaît les propres addictions du sieur Davis.

Sa collaboration avec Gene Ammons est considérée comme sa meilleure période et c‘est aussi mon avis. Mais, qui ose encore, trente ans après sa mort, lui reprocher de si bien imiter le jeu de Charlie Parker ? Pas moi en tout cas, puisque grâce à lui, l’autre ne me manque pas plus que ça…

Mon deuxième choix va au trompettiste Blue Mitchell.

Entre nous, ces gens du jazz aiment à jouer avec les noms d‘emprunt. De là à me demander, puisque j’ai déjà le Red et le Blue à la maison, s’il me faut aussi chercher un Green Mitchell pour faire collector.

Né à Miami un poil plus tard que le premier, j’ai découvert que ce brillant trompettiste avait viré funk & soul et même commis le blues avec John Mayall.

Avant cela, Blue Mitchell avait décemment servi le jazz auprès de pointures comme Art Blakey, Horace Silver, ce qui dénote un esprit libre, une intelligence à se tenir à l’écart du bal des prétentieux, comme dirait Tonton Blier.

Question achat je suis donc, comme vous l’avez compris, plutôt marché de petits producteurs que grande surface.

L’expérience m’enseigne de me tenir à l’écart des produits phare et autres compils « masters du jazz » que me vante la seconde et dont la qualité n’est pas toujours au rendez-vous.

En clair, l’acoustique de l’enregistrement, l’osmose du band, et surtout le plaisir qu’un album, un morceau vous procure passe avant le reste, une affaire de goût et de vibration personnels.

En tout cas, après avoir lu et écouté cette modeste sélection issue du panier, je suis presque sûr que vous allez regarder vos couteaux de cuisine habituels avec un oeil neuf…

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rocla
rocla
13 septembre 2010 10 h 05 min

Exact Yohan , sans nier la valeur des Peterson Davis Tatum Gillespie et autres stars au firmamment du jazz il est nombre d’ excellents interprètes n’ ayant pas franchi la barre des critiques professionnels , dont on pourrait faire une liste se plusieurs kilomètres montrant leur iregnorance envers la musique et l’ art en général .

Celà va encore plus loin , un esprit libre et non formaté est ce qui manque le plus dans notre monde dogmatisé marchant aux adrénalines chapitre 1 verset 42 .

Tyner
Tyner
13 septembre 2010 13 h 21 min

Bonjour à tous et merci à Yohan !

Un petit lien de complément, avec un Sonny Stitt en sideman de luxe de Dizzy Gillespie :

http://www.youtube.com/watch?v=DggGN8E2vx0

[Morceau issu du disque « Duets », un incontournable : http://www.amazon.com/Duets-Dizzy-Gillespie/dp/B000004777 ]

Léon
Léon
13 septembre 2010 22 h 33 min

Les morceaux choisis et les interprètes que je ne connaissais absolument pas,( mais j’ai beaucoup de lacunes en jazz… ) sont superbes. Un vrai bonheur !

Waldgänger
Waldgänger
13 septembre 2010 23 h 09 min

Salut Yohan, je viens d’écouter tes deux vidéos, un vrai bonheur, avec une faiblesse particulière pour le second.

En musique baroque, je connais aussi le phénomène de starification de certains musiciens aux dépends d’autres. Mes amis s’y connaissent en musique de cette époque, et ils sont par exemple d’accord, et moi avec eux, sur Purcell et Haendel. On connait bien plus le premier alors que l’on pense tous que le second mériterait une place au moins égale (en réalité, on préfère tous Purcell).

Lorenzo
Lorenzo
14 septembre 2010 11 h 02 min

Yohan, merci de cet article bien intéressant.Je ne connaissais de ces seconds couteaux que les noms.Le Jazz est un monde extremement riche de musiciens, de mouvements de styles etc.. Au contraire de rocla je pense que les critiques professionnels ont beaucoup contribué á faire connaitre le Jazz dans son immense diversité. Que des noms comme Charlie Parker soient au firmament des musiciens de Jazz n’est pas un hasard,il est l’embléme de la révolution hard Bop.Alors les Coltrane, Monk,Duke Ellington, Davis,Lester Young,Armstrong, etc.. sont á juste titre la partie émergrante des artistes les plus connus. Mais il ne faudrait pas que ces arbres cachent l’étendue dense de la forêt des musiciens de Jazz, qui n’ont peut être pas la reconnaissace du grand public, mais qui font encore aprés leur mort, la joie de ceux qui veulent bien se donner la peine de parcourir cette jungle, de découvrir par exemple l’extraordinaire Lee Morgan,trompetiste fougueux promis au succés et á la notoriété des plus grands,s’il n’avait pas été abbatu d’un coup de flingue en pleine poitrine un soir de janvier 1972 par sa femme alors qu’il sirotait un whisky avec une autre.Il avait 33 ans. Combien d’autres talentueux,n’ont eu qu’une carriére météorique, dans ce monde violent des états Unis d’aprés guerre,ou l’alcool de contrebande et la drogue étaient si accessibles dans les speakeasy tenus par les gangsters ? la biographie de Charlie Parker,mort á 34 ans,par Ross Russel est parfaitement édifiante de la vie de jazzmen de cette époque. Alors comment s’y retrouver dans ce monde du jazz ? Deux livres hérissés d’une grande quantité de marque pages (ma forêt perso ;)) m’ont beaucoup aidé, et m’aident encore, á parcourir ce monde si riche et étendu, des grands maîtres aux plus obscurs et c’est lá leur mérite. Le premier d’André Francis simplement intitulé « JAZZ » au éditions du Seuil, collection Microcosme, plusieurs fois réedité et actualisé,qui propose en fin d’ouvrage un lexique, une bibliographie et surtout une discographie rattachée a chaque musicien.Un travail hors pair d’un passionné érudit. L’autre (tout aussi hérissé de mes repéres) est le « DICTIONNAIRE DU JAZZ » de Philippe Carles,André Clergeat,Jean Louis Comolli.Editions Robert laffont, collection Bouquins. Mon édition de 1994 comporte 1400 pages et est une somme fabuleuse de renseignements sur le sujet.Les musiciens et artistes bien sûr y sont décrits et commentés,mais aussi les orchestres, producteurs, styles, lieux, instruments,labels …liste non exhaustive. En lisant l’article et regardé la pochette… Lire la suite »

Lorenzo
Lorenzo
14 septembre 2010 13 h 00 min
Reply to  yohan

yohan,

les passionnés se rencontrent ! excellent endroit ce Paris Jazz Corner,des spécialistes super sympas ! et on y trouve des merveilles tant en Blues qu’en Jazz !
j’y allais souvent avant de partir de Paris fouiller dans leur stock sans cesse renouvelé.Amateurs de peinture également exposant des toiles de Patrick Delaunay
sur ces thémes.J’ai oublié le nom du patron mais á l’occasion dites lui que je suis toujours pas décidé á vendre le portrait de Charles Mingus de Delaunay,il
va surement se marrer !
Peut être aussi contacter Delaunay pour la galerie du site …. 😉

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
14 septembre 2010 23 h 18 min

Il a fallu un article sculpté au ciseau comme le tien pour me faire écouter du Jazz.Faut pas trop jouer avec ces souvenirs là , des copains disparus qui me tenaient la main sur ce chemin et qui se sont évanouis emportant leurs galettes avec eux.
Merci pour cette riche idée des seconds couteaux ces laboureurs sans gloire des sillons d’une terre qui me reste inconnue.
Je ne saurais dire pourquoi mais je lis ici comme un écho de l’article de Wald, une histoire d’appropriation par les marges…Ne m’en demande pas plus.

Merci

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
15 septembre 2010 14 h 15 min
Reply to  yohan

?? « que j’avais de si près tenus et tant aimés…??? » « Le vent je crois les a ôtés »?

snoopy86
Membre
snoopy86
15 septembre 2010 15 h 51 min
Reply to  D. Furtif

Furtif,

A Poitiers on peut recevoir TSF Jazz remarquable radio recommandée plus haut par Yohan

Pas chez toi ?

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
15 septembre 2010 18 h 13 min
Reply to  snoopy86

http://www.disons.fr/?p=5395&cpage=1#comment-9419 @Snoopy

Il y a comme une frontière à Chauvigny en matière de FM